(FLORIS, LE COURTISAN, BLAISE)
FLORIS
Enfin, le ciel a donc exaucé nos vœux.
LE COURTISAN
Vous le voyez, Madame.
BLAISE
Ah ! c'était biau à voir !
FLORIS
Que vous êtes aimable de cette façon-là !
LE COURTISAN
Je suis raisonnable, et ce bien-là est sans prix ; mais, après cela, rien ne me flatte tant, dans mon aventure, que le plaisir de pouvoir vous offrir mon cœur.
BLAISE
Ah ! nous y velà avec son cœur qui va bailler… Apprenez-li un peu son devoir de criauté.
LE COURTISAN
De quoi ris-tu donc ?
BLAISE
De rian, de rian ; vous en aurez avis. Dites, Madame ; je m'arrête ici pour voir comment ça fera.
FLORIS
Vous m'offrez votre cœur, et c'est à moi à vous offrir le mien.
LE COURTISAN
Je me rappelle en effet d'avoir entendu parler ma sœur dans ce sens-là. Mais en vérité, Madame, j'aurais bien honte de suivre vos lois là-dessus : quand elles ont été faites, vous n'y étiez pas ; si on vous avait vue, on les aurait changées.
BLAISE
Tarare ! on en aurait vu mille comme elle, que ça n'aurait rian fait. Guarissez de cette autre infirmité-là.
FLORIS
Je vous conjure, par toute la tendresse que je sens pour vous, de ne me plus tenir ce langage-là.
BLAISE
Ça nous ravale trop : je sommes ici la force, et velà la faiblesse.
FLORIS
Souvenez-vous que vous êtes un homme, et qu'il n'y aurait rien de si indécent qu'un abandon si subit à vos mouvements. Votre cœur ne doit point se donner ; c'est bien assez qu'il se laisse surprendre. Je vous instruis contre moi ; je vous apprends à me résister, mais en même temps à mériter ma tendresse et mon estime. Ménagez-moi donc l'honneur de vous vaincre ; que votre amour soit le prix du mien, et non pas un pur don de votre faiblesse : n'avilissez point votre cœur par l'impatience qu'il aurait de se rendre ; et pour vous achever l'idée de ce que vous devez être, n'oubliez pas qu'en nous aimant tous deux, vous devenez, s'il est possible, encore plus comptable de ma vertu que je ne la suis moi-même.
BLAISE
Pargué ! vélà des lois qui connaissont bian la femme, car ils ne s'y fiont guère.
LE COURTISAN
Il faut donc se rendre à ce qui vous plaît, Madame ?
FLORIS
Oui, si vous voulez que je vous aime.
LE COURTISAN
(, avec transport.)
Si je le veux, Madame ? mon bonheur…
FLORIS
Arrêtez, de grâce, je sens que je vous mépriserais.
BLAISE
Tout bellement ; tenez voute amour à deux mains : vous allez comme une brouette.
FLORIS
Vous me forcerez à vous quitter.
LE COURTISAN
J'en serais bien fâché.
BLAISE
Que ne dites-vous que vous en serez bien aise ?
LE COURTISAN
Je ne saurais parler comme cela.
FLORIS
Vous ne sauriez donc vous vaincre ? Adieu, je vous quitte ; mon penchant ne serait plus raisonnable.
BLAISE
Ne vélà-t-il pas encore une taille qui va dégringoler ?
LE COURTISAN
(, à Floris qui s'en va.)
Madame, écoutez-moi : quoique vous vous en alliez, vous voyez bien que je ne vous arrête point ; et assurément vous devez, ce me semble, être contente de mon indifférence. Quand même vous vous en iriez tout à fait, j'aurais le courage de ne vous point rappeler.
FLORIS
Cette indifférence-là ne me rebute point ; mais je ne veux point la fatiguer à présent, et je me retire.
L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...
Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...
Les Fausses Confidences, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1737, met en scène les stratagèmes de l’amour et les jeux de manipulation pour conquérir un cœur. L’histoire suit...