(MÉGISTE, FONTIGNAC, BLAISE, SPINETTE, LE MÉDECIN)
MÉGISTE
Messieurs, voilà un de vos camarades qui m'a demandé en grâce de vous l'amener pour vous voir.
BLAISE
Eh ! où est-il donc ?
FONTIGNAC
Jé né l'aperçois pas non plus.
LE MÉDECIN
Me voilà.
BLAISE
Ah ! je voyais queuque chose qui se remuait là ; mais je ne savais pas ce que c'était. Je pense que c'est noute médecin ?
LE MÉDECIN
Lui-même.
SPINETTE
Allons ! mes amis, il faut tâcher de le tirer d'affaire.
LE MÉDECIN
Eh ! Mademoiselle, je ne demande pas mieux ; car en vérité, c'est quelque chose de bien affreux que de rester comme je suis, moi qui ai du bien, qui suis riche et estimé dans mon pays.
FONTIGNAC
Né comptez pas l'estimé dé ces fous.
LE MÉDECIN
Mais faudra-t-il que je demeure éloigné de chez moi, pauvre, et sans avoir de quoi vivre ?
BLAISE
Taisez-vous donc, gourmand. Est-ce que la pitance vous manque ici ?
LE MÉDECIN
Non ; mais mon bien, que deviendra-t-il ?
BLAISE
Queu pauvreté avec son bian ! c'est comme un enfant qui crie après sa poupée. Tenez, un pourpoint, des vivres et de la raison, quand un homme a ça, le velà garni pour son été et pour son hivar ; le voilà fourré comme un manchon. Vous varrez, vous varrez.
SPINETTE
Dites-lui ce qu'il faut qu'il fasse pour redevenir comme il était.
BLAISE
Voulez-vous que ce soit moi qui le traite ?
FONTIGNAC
Sans douté ; l'honnur vous appartient ; vous êtes lé doyen dé tous.
BLAISE
Eh ! morgué, pus d'honneur, je n'en voulons pus tâter ; et je sais bian que je ne sis qu'un pauvre réchappé des Petites-Maisons.
FONTIGNAC
Rémettons donc cet estropié d'esprit entré les mains dé Madémoisellé Spinetté.
SPINETTE
Moi, Messieurs ! c'est à moi à me taire où vous êtes.
LE MÉDECIN
Eh ! mes amis, voilà des compliments bien longs pour un homme qui souffre.
BLAISE
Oh dame, il faut que l'humilité marche entre nous ; je nous mettons bas pour rester haut. Ça vous passe, mon mignon ; et j'allons, pisque ma compagnée l'ordonne, vous apprenre à devenir grand garçon, et le tu autem2 de voute petitesse : mais je vas être brutal, je vous en avartis ; faut que j'assomme voute rapetissement avec des injures : demandez putôt aux camarades.
FONTIGNAC
Oui, votre santé en dépend.
LE MÉDECIN
Quoi ! tout votre secret est de me dire des injures ? Je n'en veux point.
BLAISE
Oh bian ! gardez donc vos quatre pattes.
SPINETTE
Mais essayez, petit homme, essayez.
LE MÉDECIN
Des injures à un docteur de la Faculté !
BLAISE
Il n'y a ni docteur ni doctraine ; quand vous seriez apothicaire.
LE MÉDECIN
Voyons donc ce que c'est.
FONTIGNAC
Bon, jé vous félicité du parti qué vous prénez. Madémoisellé Spinetté, laissons faire maître Blaisé, et l'écoutons.
BLAISE
Premièrement, faut commencer par vous dire qu'ou êtes un sot d'être médecin.
LE MÉDECIN
Voilà un paysan bien hardi.
BLAISE
Hardi ! je ne sis pas entre vos mains. Dites-moi, sans vous fâcher, étiez-vous en ménage, aviez-vous femme là-bas ?
LE MÉDECIN
Non, je suis veuf ; ma femme est morte à vingt-cinq ans d'une fluxion de poitrine.
BLAISE
Maugré la doctraine de la Faculté ?
LE MÉDECIN
Il ne me fut pas possible de la réchapper.
BLAISE
Avez-vous des enfants ?
LE MÉDECIN
Non.
BLAISE
Ni en bien ni en mal ?
LE MÉDECIN
Non, vous dis-je. J'en avais trois ; et ils sont morts de la petite vérole, il y a quatre ans.
BLAISE
Peste soit du docteur ! Eh ! de quoi guarissiez-vous donc le monde ?
LE MÉDECIN
Vous avez beau dire, j'étais plus couru qu'un autre.
BLAISE
C'est que c'était pour la darnière fois qu'on courait. Eh ! ne dites-vous pas qu'ou êtes riche ?
LE MÉDECIN
Sans doute.
BLAISE
Eh mais, morgué, pisque vous n'avez pas besoin de gagner voute vie en tuant le monde, ou avez donc tort d'être médecin. Encore est-ce, quand c'est la pauvreté qui oblige à tuer les gens ; mais quand en est riche, ce n'est pas la peine ; et je continue toujours à dire qu'ou êtes un sot, et que, si vous voulez grandir, faut laisser les gens mourir tout seuls.
LE MÉDECIN
Mais enfin…
FONTIGNAC
Cadédis, bous né tuez pas mieux qu'il raisonne.
SPINETTE
Assurément.
LE MÉDECIN
(, en colère.)
Ah ! je m'en vais. Ces animaux-là se moquent de moi.
SPINETTE
Il n'a pas laissé que d'être frappé, il y reviendra.
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