(BLECTRUE, FONTIGNAC, BLAISE, SPINETTE)
FONTIGNAC
Ah ! voilà l'honnête homme dé qui nous sont vénus les prémiers rayons dé lumière. Vénez, Monsieur Blectrue, approchez dé vos enfants, et récévez-les entre vos bras.
BLAISE
Oh ! je lui ai déjà rendu mes grâce.
BLECTRUE
Et moi, je les rends aux dieux de l'état où vous êtes. Il ne s'agit plus que de vos camarades.
BLAISE
Je venons d'en rater un tout à l'heure ; et les autres sont bian opiniâtres, surtout le courtisan et le phisolophe.
SPINETTE
Pour moi, j'espère que je ferai entendre raison à ma maîtresse, et que nous demeurerons tous ici ; car on y est si bien !
BLECTRUE
Je me proposais de vous le persuader, mes enfants ; dans votre pays vous retomberiez peut-être.
BLAISE
Pargué ! noute çarvelle serait biantôt fondue. La raison dans le pays des folies, c'est comme une pelote de neige au soleil. Mais à propos de soleil, dites-moi, papa Blectrue : tantôt, en passant, j'ons rencontré une jeune poulette du pays, tout à fait gentille, ma foi, qui m'a pris la main, et qui m'a dit : vous velà donc grand ! Ça vous va fort bian ; je vous en fais mon compliment. Et pis, en disant ça, les yeux li trottaient sur moi, fallait voir ; et pis : mon biau garçon, regardez-moi ; parmettez que je vous aime. Ah ! Mademoiselle, vous vous gaussez, ai-je repris ; ce n'est pas moi qui baille les parvilèges, c'est moi qui les demande. Et pis vous êtes venu, et j'en avons resté là. Qu'est-ce que ça signifie ?
BLECTRUE
Cela signifie qu'elle vous aime et qu'elle vous en faisait la déclaration.
BLAISE
Une déclaration d'amour à ma parsonne ! et n'y a-t-il pas de mal à ça ?
BLECTRUE
Nullement. Comment donc ? c'est la loi du pays qui veut qu'on en use ainsi.
BLAISE
Allons, allons, vous êtes un gausseux.
SPINETTE
Monsieur Blectrue aime à rire.
BLECTRUE
Non, certes, je parle sérieusement.
FONTIGNAC
Mais dans lé fond, en France céla commence à s'établir.
BLECTRUE
Vous voudriez que les hommes attaquassent les femmes ! Et la sagesse des femmes y résisterait-elle ?
FONTIGNAC
D'ordinaire effectivément ellé n'est pas robuste.
BLAISE
Morgué ça est vrai, on ne voit partout que des sagesses à la renvarse.
BLECTRUE
Que deviendra la faiblesse si la force l'attaque ?
BLAISE
Adieu la voiture3 !
BLECTRUE
Que deviendra l'amour, si c'est le sexe le moins fort que vous chargez du soin d'en surmonter les fougues ? Quoi ? vous mettrez la séduction du côté des hommes, et la nécessité de la vaincre du côté des femmes ! Et si elles y succombent, qu'avez-vous à leur dire ? C'est vous en ce cas qu'il faut déshonorer, et non pas elles. Quelles étranges lois que les vôtres en fait d'amour ! Allez mes enfants, ce n'est pas la raison, c'est le vice qui les a faites ; il a bien entendu ses intérêts. Dans un pays où l'on a réglé que les femmes résisteraient aux hommes, on a voulu que la vertu n'y servît qu'à ragoûter les passions, et non pas à les soumettre.
BLAISE
Morgué ! les femmes n'ont qu'à venir, ma force les attend de pied farme. Alles varront si je ne voulons de la vartu que pour rire.
SPINETTE
Je vous avoue que j'aurai bien de la peine à m'accoutumer à vos usages, quoique sensés.
BLECTRUE
Tant pis, je vous regarde comme retombée.
SPINETTE
Hélas ! Monsieur, actuellement j'en ai peur.
BLAISE
Eh ! morgué, faites donc vite. Venez à repentance ; velà voute taille qui s'en va.
SPINETTE
Oui, je me rends ; je ferai tout ce qu'on voudra ; et pour preuve de mon obéissance, tenez, Fontignac, je vous prie de m'aimer, je vous en prie sérieusement.
FONTIGNAC
Vous êtes bien pressante.
SPINETTE
Je sens que vous avez raison, Monsieur Blectrue ; et je vous promets de me conformer à vos lois. Ce que je viens d'éprouver en ce moment me donne encore plus de respect pour elles. Allons, ma maîtresse gémit ; permettez que je travaille à la tirer d'affaire ; je veux lui parler.
BLAISE
Laissez-moi vous aider itou.
BLECTRUE
Je vais de ce pas dire qu'on vous l'amène.
FONTIGNAC
Et moi, dé mon côté, jé vais combattré les vertigés dé mon maître.
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