(LA COMTESSE, PARMENÈS)
PARMENÈS
Je suis charmé, Madame, des noms caressants que ma sœur vous donne, et de l'amitié qui commence si bien entre vous deux.
LA COMTESSE
Je n'ai rien vu de si aimable qu'elle, et… toute sa famille lui ressemble.
PARMENÈS
Nous vous sommes obligés de ce sentiment ; mais vous avez, dit-on, un secret à me confier.
LA COMTESSE
(soupire.)
Hem ! oui.
PARMENÈS
De quoi s'agit-il, Madame ? Serait-ce quelque service que je pourrais vous rendre ? Il n'y a personne ici qui ne s'empresse à vous être utile.
LA COMTESSE
Vous avez bien de la bonté.
PARMENÈS
Parlez hardiment, Madame.
LA COMTESSE
Les lois de mon pays sont bien différentes des vôtres.
PARMENÈS
Sans doute que les nôtres vous paraissent préférables ?
LA COMTESSE
Je suis pénétrée de leur sagesse ; mais…
PARMENÈS
Quoi ! Madame ? achevez.
LA COMTESSE
J'étais accoutumée aux miennes, et l'on perd difficilement de mauvaises habitudes.
PARMENÈS
Dès que la raison les condamne, on ne saurait y renoncer trop tôt.
LA COMTESSE
Cela est vrai, et personne ne m'engagerait plus vite à y renoncer que vous.
PARMENÈS
Voyons, puis-je vous y aider ? Je me prête autant que je puis à cette difficulté qui vous reste encore.
LA COMTESSE
Vous la nommez bien ; elle est vraiment difficulté. Mais, Prince, ne pensez-vous rien, vous-même ?
PARMENÈS
Nous autres hommes, ici, nous ne disons point ce que nous pensons.
LA COMTESSE
Faites pourtant réflexion que je suis étrangère, comme on vous l'a dit. Il y a des choses sur lesquelles je puis n'être pas encore bien affermie.
PARMENÈS
Eh ! quelles sont-elles ? Donnez-m'en seulement l'idée ; aidez-moi à savoir ce que c'est.
LA COMTESSE
Si j'avais de l'inclination pour quelqu'un, par exemple ?
PARMENÈS
Eh bien ! cela n'est pas défendu : l'amour est un sentiment naturel et nécessaire ; il n'y a que les vivacités qu'il en faut régler.
LA COMTESSE
Mais cette inclination, on m'a dit qu'il faudrait que je l'avouasse à celui pour qui je l'aurais.
PARMENÈS
Nous ne vivons pas autrement ici ; continuez, Madame. Avez-vous du penchant pour quelqu'un ?
LA COMTESSE
Oui, Prince.
PARMENÈS
Il y a toute apparence qu'on n'y sera pas insensible.
LA COMTESSE
Me le promettez-vous ?
PARMENÈS
On ne saurait répondre que de soi.
LA COMTESSE
Je le sais bien.
PARMENÈS
Et j'ignore pour qui votre penchant se déclare.
LA COMTESSE
Vous voyez bien que ce n'est pas pour un autre. Ah !
PARMENÈS
Cessez de rougir, Madame ; vous m'aimez et je vous aime. Que la franchise de mon aveu dissipe la peine que vous a fait le vôtre.
LA COMTESSE
Vous êtes aussi généreux qu'aimable.
PARMENÈS
Et vous, aussi aimée que vous êtes digne de l'être. Je vous réponds d'avance du plaisir que vous ferez à mon père quand vous lui déclarerez vos sentiments. Rien ne lui sera plus précieux que l'état où vous êtes, et que la durée de cet état par votre séjour ici. Je n'ai plus qu'un mot à vous dire, Madame. Vous et les vôtres, vous m'appelez Prince, et je me suis fait expliquer ce que ce mot-là signifie ; ne vous en servez plus. Nous ne connaissons point ce titre-là ici ; mon nom est Parmenès, et l'on ne m'en donne point d'autre. On a bien de la peine à détruire l'orgueil en le combattant. Que deviendrait-il, si on le flattait ? Il serait la source de tous les maux. Surtout que le ciel en préserve ceux qui sont établis pour commander, eux qui doivent avoir plus de vertus que les autres, parce qu'il n'y a point de justice contre leurs défauts.
L'Île des esclaves, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, se déroule sur une île utopique où les rapports sociaux sont inversés pour rétablir la justice. L'intrigue débute...
L'Heureux Stratagème, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1733, raconte les manœuvres subtiles de deux amants pour raviver leur amour mis à l'épreuve. La marquise et le chevalier,...
L'Héritier de village, comédie en un acte écrite par Marivaux en 1725, raconte les mésaventures d’un jeune homme naïf, Eraste, nouvellement désigné comme héritier d’un riche villageois. L’histoire se déroule...
Les Serments indiscrets, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1732, explore les contradictions de l’amour et de la parole donnée. L’intrigue tourne autour de Lucile et Damis, deux...
Les Fausses Confidences, comédie en trois actes écrite par Marivaux en 1737, met en scène les stratagèmes de l’amour et les jeux de manipulation pour conquérir un cœur. L’histoire suit...