Texte modernisé, édition Michaud, 1907.
Les "Essais" de Montaigne sont une œuvre majeure de la littérature française et de la philosophie de la Renaissance. Publiés pour la première fois en 1580, ces écrits sont considérés comme l'un des premiers exemples de l'essai en tant que genre littéraire. Montaigne s'y livre à une réflexion introspective, un examen de soi qui lui permet d'explorer sa propre condition humaine et celle de ses contemporains. Il aborde une multitude de sujets allant de la morale à la politique, en passant par l'éducation, la sexualité, la mort, et les relations humaines.
Montaigne se distingue par son approche personnelle et subjective. Plutôt que de chercher à établir des vérités universelles, il présente ses opinions, ses doutes, ses observations, tout en encourageant le lecteur à faire preuve de scepticisme et de réflexion critique. Il utilise sa propre expérience comme point de départ pour ses réflexions, mettant en avant l'idée que la connaissance de soi est essentielle pour comprendre le monde. Les "Essais" sont ainsi un miroir de l'âme humaine, où Montaigne examine ses pensées et ses émotions avec une honnêteté désarmante.
L'auteur se sert souvent d'anecdotes et de récits personnels pour illustrer ses idées. Les réflexions sur la vie et la mort, par exemple, l'amènent à traiter de la manière dont les humains appréhendent leur destinée. Son célèbre essai sur la mort, où il expose sa pensée sur l'acceptation de la mort comme une partie intégrante de la vie, témoigne de sa profonde méditation sur ce thème. Montaigne aborde aussi la question de la culture et des mœurs, mettant en avant la relativité des valeurs. Son essai "Des cannibales" est une critique des préjugés européens à l'égard des peuples autochtones et souligne la richesse des différentes cultures.
Un autre aspect fondamental des "Essais" est l'exploration des relations interpersonnelles. Montaigne décrit ses amitiés et ses interactions avec d'autres penseurs, notamment son admiration pour La Boétie, qu'il évoque avec une profonde émotion. La manière dont il aborde la confiance, l'amour, et les tiraillements entre l'individualité et la communauté est révélatrice de son époque tout comme de son propre cheminement intérieur.
La structure même de l'œuvre, avec ses digressions et ses réflexions enchevêtrées, évoque une forme de pensée vivante et fluide, qui privilégie l'exploration plutôt que la conclusion définitive. Montaigne s’interroge souvent sur les contradictions de l'expérience humaine, acceptant la complexité et l'ambiguïté de la condition humaine.
Les "Essais" ont eu un impact durable non seulement sur la littérature, mais aussi sur la philosophie moderne. Ils préfigurent l'idée du sujet moderne, centré sur l'existence individuelle, l'expérience personnelle et la diversité des points de vue. Montaigne devient ainsi une voix prépondérante dans le dialogue sur la nature humaine, l’éthique, et la connaissance, encourageant chacun à cultiver sa propre pensée critique et son autonomie intellectuelle.
La soumission vous concilie d’ordinaire ceux que vous avez offensés ; parfois une attitude résolue produit le même résultat. — La façon la plus ordinaire d’attendrir les cœurs de ceux que nous avons offensés, quand, leur vengeance en main, nous...
La tristesse est une disposition d’esprit des plus déplaisantes. — La tristesse est une disposition d’esprit dont je suis à peu près exempt ; je ne l’aime, ni ne l’estime ; bien qu’assez généralement, comme de parti pris, on l’ait...
L’homme se préoccupe trop de l’avenir. — Ceux qui reprochent aux hommes de toujours aller se préoccupant des choses futures, et nous engagent à jouir des biens présents et à nous en contenter, observant que nous n’avons pas prise sur...
Il faut à l’âme en proie à une passion, des objets sur lesquels, à tort ou à raison, elle l’exerce. — Un gentilhomme de notre société, sujet à de très forts accès de goutte, avait coutume de répondre en plaisantant,...
Jadis on réprouvait la ruse contre un ennemi. — Lucius Marcius qui commandait les Romains, lors de leur guerre contre Persée, roi de Macédoine, voulant gagner le temps qui lui était encore nécessaire pour que son armée fût complètement sur...
La parole des gens de guerre, même sans que cela dépende d’eux, est sujette à caution. — Dernièrement, non loin de chez moi, à Mussidan, un détachement ennemi qui occupait cette ville, contraint par les nôtres de se retirer, criait...
Il n’est pas toujours vrai que la mort nous libère de toutes nos obligations. — La mort, dit-on, nous libère de toutes nos obligations. J’en sais qui ont interprété cette maxime de singulière façon. Henri VII, roi d’Angleterre, s’était engagé...
L’esprit est une terre qu’il faut sans cesse cultiver et ensemencer ; l’oisiveté la rend ou stérile ou fantasque. — De même que nous voyons des terres non cultivées, si elles sont grasses et fertiles, produire à foison des milliers...
Montaigne déclare qu’il manque de mémoire ; inconvénients qu’il en éprouve. — Il n’est homme à qui il convienne, moins qu’à moi, de parler de mémoire. Cette faculté me fait pour ainsi dire complètement défaut ; et je ne crois...
Certaines gens ayant à parler en public, ont besoin de préparer ce qu’ils ont à dire ; d’autres n’ont pas besoin de préparation. — Jamais il n’a été donné à personne de réunir tous les dons de la nature ;...
Les anciens oracles avaient déjà perdu tout crédit, avant l’établissement de la religion chrétienne. — Pour ce qui est des oracles, il est certain que, depuis longtemps déjà avant la venue de Jésus-Christ, ils avaient commencé à perdre de leur...
En quoi consistent la résolution et la constance. — Avoir de la résolution et de la constance, ne comporte pas que nous ne nous gardions pas, autant que cela nous est possible, des maux et des inconvénients qui peuvent nous...
Il n’est pas de sujet si futile, qui ne mérite de prendre place dans ces Essais, faits de pièces et de morceaux.Attendre chez soi un grand personnage dont la visite est annoncée, est plus régulier que d’aller au-devant de lui,...
La vaillance a ses limites ; et qui s’obstine à défendre à outrance une place trop faible, est punissable. — La vaillance a ses limites, comme toute autre vertu ; ces limites outrepassées, on peut être entraîné jusqu’au crime. Cela...
La lâcheté ne devrait pas être punie de mort chez un soldat, à moins qu’elle ne soit le fait de mauvais desseins. — J’ai entendu dire autrefois à un prince, très grand capitaine, qui, à table, vint à nous faire...
Les hommes aiment à faire parade de toute science autre que celle objet de leur spécialité. — Pour toujours apprendre quelque chose dans mes relations avec autrui (ce qui est un des meilleurs moyens de s’instruire), j’ai attention, dans mes...
La peur est la plus étrange de toutes les passions. — « Je demeurai frappé de stupeur, les cheveux hérissés et sans voix (Virgile). » — Je ne suis pas très versé dans l’étude de la nature humaine, suivant l’expression...
Ce n’est qu’après notre mort, qu’on peut dire si nous avons été heureux ou non ; incertitude et instabilité des choses humaines. — « Il ne faut jamais perdre de vue le dernier jour de l’homme, et ne déclarer personne...
Qu’est-ce que philosopher ? — Cicéron dit que philosopher, n’est autre chose que se préparer à la mort. Peut-être est-ce parce que l’étude et le recueillement reportent en quelque sorte notre âme en dehors de nous, et la dégagent du...
Des effets de l’imagination. — « Une imagination fortement préoccupée d’un événement, peut l’amener (Sénèque), » disent les gens d’expérience.Je suis de ceux sur lesquels l’imagination a beaucoup d’empire ; chacun l’éprouve plus ou moins, mais il en est chez...
Dans toute profession, on ne fait bien ses affaires qu’aux dépens d’autrui. — Demades, d’Athènes, prononça une condamnation contre un homme de cette ville qui faisait commerce des choses nécessaires aux enterrements, lui reprochant d’en tirer un trop grand profit,...
De la force de l’habitude. — Celui-là me paraît avoir très bien apprécié la force de l’habitude auquel est due l’invention de ce conte d’une femme de la campagne qui, ayant coutume de caresser et de porter dans ses bras...
Magnanimité du duc de Guise à l’égard de qui méditait de l’assassiner. — Jacques Amyot, grand aumônier de France, me contait un jour le fait suivant, tout à l’honneur d’un de nos princes d’entre les plus hauts en dignité, bien...
Les pédants sont et ont été de tous temps méprisés et ridiculisés malgré leur savoir. — J’ai souvent souffert, en mon enfance, de toujours voir le pédant qui instruit la jeunesse, jouer dans les comédies italiennes un rôle grotesque, et...
Montaigne déclare n’avoir que des données assez vagues sur les sciences ; néanmoins, tout en traitant des sujets sur lesquels il n’a que des connaissances superficielles, il se gardera d’imiter ces trop nombreux écrivains qui empruntent dans une large mesure...
L’ignorance et la simplicité se laissent facilement persuader ; mais si l’on est plus instruit, on ne veut croire à rien de ce qui paraît sortir de l’ordre naturel des choses. — Ce n’est peut-être pas sans motif que la...
Le discours de La Boétie sur la servitude volontaire a été le point de départ de l’amitié qui l’unit si étroitement à Montaigne. — Contemplant le travail d’un peintre que j’employais chez moi, il me prit envie de regarder comment...
Madame, dans ce que je vous offre ici, rien n’est de moi ; parce que tout ce qui est de moi est déjà vôtre ; ou s’il ne l’est pas, n’est pas digne de vous ; mais j’ai tenu à...
Il faut de la modération, même dans l’exercice de la vertu. — Comme si nous avions le toucher infectieux, il nous arrive de corrompre, en les maniant, des choses qui par elles-mêmes sont belles et bonnes. La vertu peut devenir...
Fausse opinion que l’on a quelquefois des peuples que l’on dit « barbares ». — Quand le roi Pyrrhus passa en Italie et qu’il eut reconnu la formation de combat que prenait l’armée que Rome envoyait contre lui : «...
On ne croit à rien si fermement qu’aux choses qui ne peuvent être soumises au raisonnement. — L’inconnu est le véritable champ d’action de l’imposture ; outre que son étrangeté même lui donne crédit, comme il échappe aux raisons ordinaires,...
Abandonner la vie quand elle est misérable et tourmentée, n’a rien que d’ordinaire et naturel ; mais se donner la mort au milieu de toutes les prospérités et pour se soustraire aux joies de ce monde et de la volupté...
La fortune agit dans les conditions les plus diverses, parfois elle se substitue à la justice. — L’inconstance de la fortune au pas mal assuré, fait qu’elle se présente nécessairement à nous dans les conditions les plus diverses.Y a-t-il quelque...
Utilité dont serait, dans chaque ville, un registre public où chaque habitant pourrait insérer des annonces et des avis. — Feu mon père, homme d’un jugement dune grande netteté, qui ne s’était formé que par l’expérience aidée de ses dispositions...
La nature nous a-t-elle formés pour être vêtus ? — Quel que soit le sujet que je veuille traiter, je me heurte à quelque bizarrerie des coutumes admises, tellement elles ont la haute main sur tout ce qui nous touche....
Il ne faut pas juger des autres d’après nous. — Je ne donne pas dans cette erreur si communément répandue de juger des autres d’après moi ; je crois aisément que bien des choses en eux peuvent différer essentiellement de...
Un vainqueur pleure souvent la mort du vaincu, et ce ne sont pas toujours des larmes feintes. — Nous voyons, dans l’histoire, Antigone savoir très mauvais gré à son fils de lui avoir présenté la tête du roi Pyrrhus son...
Les méchants sont nombreux, nul doute que leur société ne soit funeste ; c’est un motif pour rechercher la solitude. — Laissons de côté toute comparaison qui serait trop longue, entre la vie du monde et celle de celui qui...
Cicéron et Pline le jeune étaient des ambitieux ; ils ont été jusqu’à solliciter les historiens de faire l’éloge de leurs faits et gestes. — Encore un fait qui fera ressortir la différence entre Épicure et Sénèque d’une part, Cicéron...
La diversité des opinions sur les biens et les maux est grande ; la mort elle-même n’apparaît pas à tous comme un mal. — Les hommes, dit une ancienne sentence grecque, sont tourmentés par l’idée qu’ils se font des choses,...
Le vain désir d’acquérir de la réputation nous fait renoncer à des biens réels. — De toutes les rêveries du monde, la plus admise, la plus universellement répandue, est le soin de notre réputation et de notre gloire, auxquelles nous...
Extrême différence que l’on remarque entre les hommes ; on ne devrait les estimer qu’en raison de ce qu’ils valent par eux-mêmes. — Plutarque dit quelque part qu’il trouve que la distance d’une bête à une autre bête est moins...
Interdire l’usage de l’or et de la soie à certaines classes de la société, dans le but d’enrayer le luxe, c’est aller à l’encontre de ce que l’on se propose. — La manière dont nos lois cherchent à enrayer les...
Le sage peut commander à ses passions, il ne peut les empêcher d’émouvoir son âme ; aussi faut-il regarder comme très extraordinaires ces hommes qui, dans les plus importantes circonstances de leur vie, ont pu se livrer au sommeil. —...
Il importe peu que dans une action de guerre un chef ne fasse pas tout ce que commande le devoir ou la bravoure, pourvu qu’il obtienne la victoire. — La bataille que nous avons livrée à Dreux présente des particularités...
Il est des noms qui sont pris en mauvaise part ; certains sont, par tradition, plus particulièrement usités dans telle ou telle famille de souverains ; d’autres sont plus ou moins répandus chez tel ou tel peuple. — Quelque diversité...
En maintes occasions on peut être incertain sur le parti à prendre. — Par exemple, faut-il poursuivre à outrance un ennemi vaincu ? — « À propos de toutes choses, il est aisé de parler soit pour, soit contre, »...
Me voici devenu grammairien, moi qui n’ai jamais appris une langue que par routine et qui ne sais même pas encore ce que c’est qu’un adjectif, un subjonctif et un ablatif.Chez les Romains, les chevaux avaient différents noms suivant l’emploi...
Il est naturel de tenir aux usages de son pays, cela rend plus surprenante encore l’instabilité des modes en France. — J’excuserais volontiers, chez mes compatriotes, de n’admettre comme modèle et de ne considérer comme étant la perfection, que leurs...
En toutes choses le jugement est nécessaire. Application qu’en a faite Montaigne dans ses Essais ; comment il les a écrits. — Le jugement est un outil qui s’applique à tout et trouve partout son emploi ; aussi ces Essais...
La rhétorique est l’art de tromper. — Un rhétoricien des temps passés disait que son métier consistait à « faire paraître grandes et admettre comme telles des choses petites » ; autant dire que c’est un cordonnier s’appliquant à faire...
Exemples de la parcimonie avec laquelle ont vécu certains hommes illustres de l’antiquité. — Attilius Régulus, qui commandait l’armée romaine en Afrique, écrivit aux pouvoirs publics, alors qu’il était dans toute la gloire que lui valaient ses victoires sur les...
L’imperfection de l'homme est démontrée par l’inconstance de ses désirs. — Si quelquefois nous nous amusions à nous considérer, et que le temps que nous employons à observer autrui et à nous enquérir de choses qui ne nous regardent pas,...
Certaines subtilités et les talents frivoles ne méritent pas d’être encouragés. — Les hommes recourent parfois à certaines subtilités frivoles et vaines pour attirer l’attention ; tel est le cas de ceux qui écrivent des poèmes entiers, dont chaque vers...
Mieux vaut ne rien sentir, que sentir bon. — On dit que chez certains, tels qu’Alexandre le Grand, la sueur, par suite d’une complexion rare et tout à fait extraordinaire du corps, exhale une odeur agréable, et Plutarque et d’autres...
Profession de foi de Montaigne. — J’émets dans ce chapitre des idées fantaisistes, mal définies, aux solutions indécises, comme font dans les écoles ceux qui proposent à débattre des questions sujettes à controverse. J’en agis ainsi non pour prouver la...
Qu’entend-on par durée naturelle de la vie de l’homme. — Je ne puis admettre la façon dont nous établissons la durée de la vie. Je vois les sages lui assigner une limite beaucoup moindre qu’on ne le fait communément. «...
Trop de contradictions se rencontrent dans l’homme, pour qu’on puisse les expliquer. — Ceux qui s’adonnent à la critique des faits et gestes des hommes ne se trouvent sur aucun point aussi embarrassés que lorsqu’ils cherchent à grouper ceux émanant...
Tous les vices ne sont pas de même gravité ; il y a des degrés entre eux. — Le monde n’est que variété et dissemblance ; les vices ont tous un point commun, et ce point c’est que tous sont...
On dit que philosopher, c’est douter ; à plus forte raison est-ce être dans le doute que d’émettre, comme je le fais, des idées niaises et fantasques ; mais c’est affaire aux apprentis de s’enquérir et de discuter et au...
En traduisant Plutarque, Amyot nous a rendu un réel service. — Je donne avec raison, ce me semble, la palme à Jacques Amyot, sur tous nos écrivains français, non seulement pour la simplicité et la pureté de son style, ce...
On dissimule en vain, l’âme se dévoile toujours par quelque côté. — Nous trouvant un jour en voyage, mon frère le sieur de la Brousse et moi, pendant nos guerres civiles, nous rencontrâmes un gentilhomme qui marquait bien. Il était...
Le raisonnement et la science ne suffisent pas contre les difficultés de la vie, il faut encore l’expérience. — Il est difficile que le raisonnement et l’instruction, alors même que nous avons la conviction, soient assez puissants pour nous mettre...
Les distinctions honorifiques sont éminemment propres à récompenser la valeur. — Les historiens de l’empereur Auguste remarquent que lorsqu’il s’agissait de services militaires, il avait pour règle d’être excessivement prodigue de cadeaux envers ceux qui le méritaient, tandis qu’il était...
À Madame d’Estissac.Comment Montaigne a été amené à écrire et à faire de lui-même le sujet de ses essais, et pourquoi il consacre ce chapitre à Madame d’Estissac. — Madame, si la singularité et la nouveauté qui, d’habitude, donnent du...
Mauvaise habitude de la noblesse de nos jours de ne s’armer, aux armées, qu’au dernier moment. — C’est un tort de la noblesse de notre époque qui dénote de la mollesse, qu’au contact de l’ennemi, elle ne prenne les armes...
En écrivant ses Essais, Montaigne n’a pas de plan arrêté et laisse libre cours à sa fantaisie. — Je ne doute pas qu’il ne m’arrive souvent de parler de choses qui sont mieux et plus exactement traitées par les hommes...
La bonté a l’apparence de la vertu ; caractères qui les différencient. — Il me semble que la vertu est chose autre et plus noble que le penchant à la bonté qui est naturellement en nous. Les âmes bien équilibrées...
Est-il vrai que la science soit la mère de toutes les vertus ? — La science est, je le reconnais, chose très grande et très utile ; ceux qui la méprisent font preuve de bêtise. Je n’estime pourtant pas que...
Peu d’hommes témoignent à leur mort d’une réelle fermeté d’âme. — Quand nous jugeons de la fermeté dont quelqu’un a fait preuve au moment de la mort, qui est assurément l’affaire capitale de la vie humaine, il faut tenir compte...
Notre choix entre deux choses de même valeur est déterminé par si peu, qu’on est en droit d’en conclure que tout ici-bas est doute et incertitude. — C’est une plaisante idée que de concevoir l’esprit en suspens entre deux choses...
La difficulté de les obtenir et la crainte de les perdre, est ce qui donne le plus de prix à nos jouissances. — Il n’y a pas de raison à laquelle on ne puisse objecter une raison contraire, disent les...
À Dieu seul appartiennent gloire et honneur ; l’homme manque de tant d’autres choses autrement nécessaires, qu’il est bien puéril à lui de rechercher celle-ci. — En tout, il y a le nom et la chose. Le nom est un...
La présomption nous fait concevoir une trop haute idée de notre mérite ; mais pour fuir ce défaut il ne faut pas tomber dans l’excès contraire et s’apprécier moins qu’on ne vaut. — Il y a une autre sorte de...
Si, dans son livre, Montaigne parle si souvent de lui-même, c’est pour laisser un souvenir de lui à ses amis. — Oui, me dira-t-on, se prendre soi-même pour sujet d’un ouvrage, est excusable, mais seulement chez quelques hommes faisant exception...
Le zèle religieux est souvent excessif et conséquemment dangereux. — Il est fréquent de voir les bonnes intentions, lorsqu’elles sont menées sans modération, aboutir aux pires résultats. Dans ce conflit qui fait que la France est, à l’heure présente, en...
Les hommes ne sauraient goûter de bonheur sans mélange, toujours quelque amertume se joint à la volupté. — La faiblesse de notre condition fait que les choses ne peuvent, dans leur simplicité et pureté naturelle, être employées telles ; tout...
C’est un devoir pour un prince de mourir debout, c’est-à-dire sans cesse occupé des affaires de l’État. — L’empereur Vespasien, au cours de la maladie dont il mourut, ne laissait pas de vouloir s’occuper des affaires de l’empire ; et,...
Montaigne, petit et trapu, courait volontiers la poste dans sa jeunesse. — Je n’étais pas des moins résistants à courir la poste, exercice auquel conviennent les gens de ma taille, petite et trapue ; mais j’y ai renoncé, il fatigue...
Les états politiques sont sujets aux mêmes vicissitudes et accidents que le corps humain ; lorsque la population s’accroît outre mesure, on recourt aux émigrations à la guerre, etc. — Il existe, dans ce qui est la règle universelle des...
Montaigne ne trouve rien de comparable à cette grandeur des Romains ; n’étant encore que simple citoyen, César donne, vend et propose des trônes. — Je ne veux dire qu’un mot de ce sujet inépuisable, pour montrer la simplicité de...
Exemples de personnes devenues soit goutteuses, soit borgnes, pour avoir feint de l’être pendant quelque temps. — Il y a dans Martial, où on en trouve de toutes sortes, des bonnes et des mauvaises, une épigramme des meilleures. Il y...
Usage, chez certains rois barbares, de cimenter leurs alliances en entrelaçant leurs pouces, les faisant saigner, et suçant le sang l’un de l’autre. — Tacite raconte que chez certains rois barbares, les engagements les plus sacrés se contractaient en joignant...
Vérité de l’adage qui fait l’objet de ce chapitre ; le vrai brave épargne son ennemi vaincu, le lâche l’injurie et le frappe quand même il est réduit à l’impuissance. — J’ai souvent entendu dire que la poltronnerie est la...
Caton le censeur et Caton d’Utique ; la vertu de celui-ci l’emporte de beaucoup sur celle du premier. — Ceux qui mettent sur le même rang Caton le censeur et Caton d’Utique, celui qui s’est lui-même donné la mort, assimilent...
Par le mot vertu, il faut entendre ici la force d’âme ; ce n’est pas en des élans impétueux, mais passagers, qu’elle consiste ; elle demande de la constance et se rencontre rarement. — L’expérience me montre qu’il y a...
Description d’un enfant et d’un pâtre monstrueux ; ce qui nous paraît tel, ne l’est pas pour la nature. — Je me borne au simple énoncé d’un fait, laissant aux médecins le soin de le commenter : J’ai vu, avant-hier,...
Il vaut mieux confier les enfants aux soins du gouvernement que de les laisser à leurs parents. — Plutarque est partout admirable ; il l’est surtout, quand il apprécie les actions humaines. On peut lire les belles choses qu’il dit,...
L’intimité que j’ai avec ces deux philosophes, l’aide dont ils me sont en ma vieillesse et aussi pour mon livre composé uniquement de ce que j’ai puisé chez eux, me font une obligation de défendre leur honneur.Combien est fausse la...
Nous apprendre à commander nos passions, tel est le but de la philosophie ; d’entre toutes, l’amour est celle qui semble faire naître en nous les appétits les plus violents. — La philosophie ne pense pas avoir mal employé ses...
Selon Montaigne, les commentaires de César devraient être le bréviaire de tout homme de guerre. — On dit de plusieurs grands capitaines qu’ils ont eu une préférence marquée pour certains auteurs : Alexandre le Grand avait Homère : Scipion l’Africain,...
Quelques épigrammes de Montaigne contre les femmes de son siècle qui ne témoignent leur affection à leurs maris que quand ils sont morts. — Les femmes vraiment bonnes ne se comptent pas par douzaines, comme chacun sait ; notamment quand...
Si on me demandait de choisir entre tous les hommes venus à ma connaissance, je crois possible d’en trouver trois que je placerais au-dessus de tous les autres.Prééminence d’Homère sur les plus grands génies ; estime que l’on en a...
Comment Montaigne faisait son livre ; il n’y travaillait que dans ses moments de loisir. — Je ne mets la main à cette sorte de fagotage qu’est ce livre formé de tant de pièces diverses, que lorsque je n’ai absolument...
Personne n’est exempt de dire des niaiseries, le mal est d’y mettre de la prétention : « Cet homme va probablement nous dire avec emphase quelques grosses sottises (Térence). » Ce second point ne me touche pas ; je ne...
Tout, en ce monde, est soumis à des changements continuels ; c’est ce qui fait que Montaigne, qui se dépeint au jour le jour, peut ne pas se montrer constamment avec les mêmes sentiments et les mêmes idées. — Les...
La diversité des occupations est un des caractères principaux de l’âme humaine ; le commerce des livres est de ceux qui la distraient. — Il ne faut pas se mettre sous la dépendance exclusive de son humeur et de son...
C’est par la diversion que l’on peut arriver à calmer les plus vives douleurs ; on console mal par le raisonnement. — J’ai été autrefois chargé de consoler une dame qui était dans une réelle affliction ; car la plupart...
La vieillesse est si naturellement portée vers les idées tristes et sérieuses que, pour se distraire, elle a besoin de se livrer quelquefois à des accès de gaîté. — À mesure que nos réflexions ayant un caractère d’utilité, sont plus...
Différence des opinions des philosophes sur les causes de divers usages et accidents : sur « Dieu vous bénisse » dit à qui éternue, sur le mal de mer ; digression sur la peur. — Il est aisé de constater...
Qui connaît les grandeurs et leurs incommodités, peut les fuir sans beaucoup d’efforts ni grand mérite. — Puisque nous ne pouvons atteindre aux grandeurs, vengeons-nous en médisant d’elles ; d’ailleurs, ce n’est pas absolument médire d’une chose que d’y trouver...
En punissant les coupables, la justice ne saurait avoir d’autre but que d’empêcher les autres hommes de commettre les mêmes fautes ; c’est ainsi que l’aveu que Montaigne fait de ses défauts, doit servir à corriger les autres. — C’est...
Montaigne plaisante sur la manie qu’il a d’enregistrer tout ce qui lui passe par la tête ; c’est là une occupation qu’il pourrait prolonger indéfiniment. — Il n’y a peut-être pas de vanité plus réelle que d’écrire sur ce sujet,...
Montaigne ne se passionnait pour rien, se gardait de prendre aucun engagement, résistait même à ce à quoi le poussaient ses propres affections pour n’être pas entraîné, parce qu’une fois pris on ne sait plus où l’on va. — Si...
Critique du changement opéré dans le calendrier par la réforme grégorienne. — Il y a deux ou trois ans, qu’en France, l’année a été réduite de dix jours. Que de changements devaient résulter de cette réforme ; c’était au fond...
Presque toutes nos opinions ne se forment que par l’autorité d’autrui ; nous admirons Socrate sans le connaître, sur sa réputation ; s’il vivait à notre époque, peu d’hommes feraient cas d’un enseignement donné sous la forme simple et naïve...
L’expérience n’est pas un moyen sûr de parvenir à la vérité, parce qu’il n’y a pas d’événements, d’objets absolument semblables ; on ne peut, par suite, juger sainement par analogie. — Il n’y a pas de désir plus naturel que...