ACTE III - Scène 3
Sganarelle
Voici la belle nourrice. Ah ! Nourrice de mon cœur, je suis ravi de cette rencontre, et votre vue est la rhubarbe, la casse et le séné qui purgent toute la mélancolie de mon âme.
Jacqueline
Par ma figué ! Monsieu le Médecin, ça est trop bian dit pour moi, et je n'entends rien à tout votte latin.
Sganarelle
Devenez malade, nourrice, je vous prie ; devenez malade pour l'amour de moi : J'aurais toutes les joies du monde de vous guérir.
Jacqueline
Je sis votte sarvante : j'aime bian mieux qu'an ne me guérisse pas.
Sganarelle
Que je vous plains, belle nourrice, d'avoir un mari jaloux et fâcheux comme celui que vous avez !
Jacqueline
Que velez-vous, Monsieu, c'est pour la pénitence de mes fautes ; et là où la chèvre est liée, il faut bian qu'alle y broute.
Sganarelle
Comment ! un rustre comme cela ! un homme qui vous observe toujours, et ne veut pas que personne vous parle !
Jacqueline
Hélas ! vous n'avez rien vu encore, et ce n'est qu'un petit échantillon de sa mauvaise humeur.
Sganarelle
Est-il possible ? et qu'un homme ait l'âme assez basse pour maltraiter une personne comme vous ? Ah que j'en sais, belle nourrice, et qui ne sont pas loin d'ici, qui se tiendraient heureux de baiser seulement les petits bouts de vos petons. Pourquoi faut-il qu'une personne si bien faite soit tombée en de telles mains, et qu'un franc animal, un brutal, un stupide, un sot… Pardonnez-moi, nourrice, si je parle ainsi de votre mari.
Jacqueline
Eh, Monsieu, je sais bien qu'il mérite tous ces noms-là.
Sganarelle
Oui, sans doute, nourrice, il les mérite, et il mériterait encore que vous lui missiez quelque chose sur la tête, pour le punir des soupçons qu'il a.
Jacqueline
Il est bien vrai, que si je n'avais devant les yeux que son intérêt, il pourrait m'obliger à queuque étrange chose.
Sganarelle
Ma foi ! vous ne feriez pas mal de vous venger de lui avec quelqu'un. C'est un homme, je vous le dis, qui mérite bien cela ; et si j'étais assez heureux, belle nourrice, pour être choisi pour…
En cet endroit, tous deux apercevant Lucas qui était derrière eux et entendait leur dialogue, chacun se retire de son côté, mais le médecin d'une manière fort plaisante.