ACTE II - Scène 5
Sganarelle (regardant son argent.)
Ma foi ! cela ne va pas mal ; et pourvu que…
Léandre
Monsieur, il y a longtemps que je vous attends, et je viens implorer votre assistance.
Sganarelle (lui prenant le poignet.)
Voilà un pouls qui est fort mauvais.
Léandre
Je ne suis point malade, Monsieur, et ce n'est pas pour cela que je viens à vous.
Sganarelle
Si vous n'êtes pas malade, que diable ne le dites-vous donc ?
Léandre
Non pour vous dire la chose en deux mots, je m'appelle Léandre, qui suis amoureux de Lucinde, que vous venez de visiter ; et comme, par la mauvaise humeur de son père, toute sorte d'accès m'est fermé auprès d'elle, je me hasarde à vous prier de vouloir servir mon amour, et de me donner lieu d'exécuter un stratagème que j'ai trouvé, pour lui pouvoir dire deux mots, d'où dépendent absolument mon bonheur et ma vie.
Sganarelle (paraissant en colère.)
Pour qui me prenez-vous ? Comment oser vous adresser à moi pour vous servir dans votre amour, et vouloir ravaler la dignité de médecin à des emplois de cette nature ?
Léandre
Monsieur, ne faites point de bruit.
Sganarelle (en le faisant reculer.)
J'en veux faire, moi. Vous êtes un impertinent.
Léandre
Eh ! Monsieur, doucement.
Sganarelle
Un malavisé.
Léandre
De grâce !
Sganarelle
Je vous apprendrai que je ne suis point homme à cela, et que c'est une insolence extrême…
Léandre (tirant une bourse qu'il lui donne.)
Monsieur.
Sganarelle (tenant la bourse.)
De vouloir m'employer… Je ne parle pas pour vous, car vous êtes honnête homme, et je serais ravi de vous rendre service ; mais il y a de certains impertinents au monde qui viennent prendre les gens pour ce qu'ils ne sont pas ; et je vous avoue que cela me met en colère.
Léandre
Je vous demande pardon, Monsieur, de la liberté que…
Sganarelle
Vous vous moquez. De quoi est-il question ?
Léandre
Vous saurez donc, Monsieur, que cette maladie que vous voulez guérir est une feinte maladie. Les médecins ont raisonné là-dessus comme il faut ; et ils n'ont pas manqué de dire que cela procédait, qui du cerveau, qui des entrailles, qui de la rate, qui du foie ; mais il est certain que l'amour en est la véritable cause, et que Lucinde n'a trouvé cette maladie que pour se délivrer d'un mariage dont elle était importunée. Mais, de crainte qu'on ne nous voie ensemble, retirons-nous d'ici, et je vous dirai en marchant ce que je souhaite de vous.
Sganarelle
Allons, Monsieur vous m'avez donné pour votre amour une tendresse qui n'est pas concevable ; et j'y perdrai toute ma médecine, ou la malade crèvera, ou bien elle sera à vous.