Le Galant doublé
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ACTE III - Scène première

Thomas Corneille

ACTE III - Scène première


(DOM FERNAND GUZMAN)

GUZMAN
Quoi, quand vous prétendiez l'entretenir chez elle,
Le rendez-vous, Monsieur, étoit chez ISABELLE ?
C'est là que l'Inconnue avoit su vous mander ?

DOM FERNAND
C'est là que de la fourbe il a fallu m'aider,
Et que le jeu pour moi passoit la raillerie,
Si je n'eusse aussitôt payer d'effronterie.
Quelquefois au besoin ce vice est de saison.

GUZMAN
Mais comment n'avoir pas reconnu la maison ?

DOM FERNAND
Comment l'aurois-je pu, si dans une autre rue
L'on me tenoit ouverte une porte inconnue,
D'où, sans qu'on m'ait rien dit, je me suis rencontré
Dans un appartement où jamais je n'entrai ?
Le plus fin en ma place eût donné dans le piège,
Mais le don d'impudence est un grand privilège,
Je l'ai mis en pratique, et je m'en suis tiré.

GUZMAN
C'est un talent en vous de tout temps admiré ;
Mais l'abord d'une Femme est un péril honnête,
Lorsque prise pour dupe elle a martel en tête,
Et vous deviez trembler ainsi pris au filet,
D'en voir deux à la fois vous sauter au colet.
Qui lors par impudence évite qu'on l'échine,
En a provision, Monsieur, de la plus fine,
C'est un pas qu'à franchir peu de gens ont appris,
Et tout subtil qu'il est, le diable y seroit pris.

DOM FERNAND
Aussi, pour en sortir j'aurois eu plus d'obstacle,
Si le Ciel pour m'aider n'avoit fait un miracle.
Contre l'ordre commun il a fait qu'en ce jour,
On avoit vu la prudence accompagner l'amour,
Et que du rendez-vous ISABELLE en colère,
Ait eu dans son dépit le pouvoir de se taire.
Ainsi pour moi le pas étoit moins hasardeux
Tant que j'ai pu me voir avec toutes les deux,
Pour quelques mots couverts je m'en suis trouvé quitte
Mais dès que l'Inconnue a fini sa visite,
Et qu'ayant malgré moi voulu se retirer,
Seul avec ISABELLE on m'a fait demeurer,
En me traitant de fourbe, et Suivante et Maîtresse
M'ont pensé mettre alors au bout de mon adresse.
Dom Dionis en moi leur étant trop connu…

GUZMAN
Je vous tiens fort heureux d'en être revenu.
Deux Femmes ! Rendez grâce aux heureuses Planètes
Qui vous ont de leurs mains su tirer bragues nettes,
Car tout autre que vous, quoi qu'adroit à mentir,
Eût laissé la perruque avant que de sortir.
Mais de vos feux errants les voyant éclaircies,
Comment avez-vous pu vous les rendre adoucies,
Et quel charme assez fort apaisant leur courroux,
À détourner l'orage, et rabattu les coups ?
Pour moi, j'aurois fort craint le saut par la fenêtre.

DOM FERNAND
J'ai feint effrontément de ne les pas connoître,
Et comme l'Inconnue avoit dit mon vrai nom,
Sur ce déguisement j'ai toujours tenu bon.
De leur Dom Dionis, qu'elles nommoient sans cesse,
Pour un jeu concerté j'ai fait passer l'adresse,
Et comme tout n'étant que pour m'embarrasser,
Niant jusques au bout, je me suis fait chasser.

GUZMAN
Vous laisserez pester ISABELLE à son aise ?

DOM FERNAND
Au contraire, GUZMAN, il faut que je l'apaise,
Et que je fasse effort à lui mettre en l'esprit,
Qu'elle croit trop l'erreur qui contre moi l'aigrit.
Ayant à soutenir ce second personnage,
Ici, pour le jouer, je l'attends au passage,
Et sur un autre ton ayant su m'accorder,
Comme Dom Dionis, je prétends l'aborder.
J'ai su par DOM JUAN qu'elle est chez une Tante,
Et feignant tout le jour de l'avoir crue absente,
Privé d'un rendez-vous dont je devois jouir,
Je préviendrai sa plainte, et pourrai l'éblouir.

GUZMAN
Et vous la voulez croire assez dupe et novice,
Pour ne pas découvrir le nœud de l'artifice ?

DOM FERNAND
Mais on a vu des gens se ressembler si bien,
Qu'à les voir séparés on n'y connoissoit rien ;
Si la rencontre est rare, elle est du moins possible.

GUZMAN
Monsieur, dans ce dessein votre honte est visible.
Si les traits du visage ont un rapport parfoit,
Ou la taille, ou la voix en détruisent l'effet ;
Mais à moins que pour vous la foi n'entraîne l'âme…

DOM FERNAND
Aussi je ne prétends abuser qu'une Femme,
Et je n'en sache point qu'on ne puisse obliger,
Quand on sait bien s'y prendre, à croire de léger.
Outre que DOM JUAN secondant mon adresse,
Par de nouveaux détours fera valoir la pièce ;
Pour appuyer la fourbe il est de tout instruit.

GUZMAN
S'il a quelque talent, il peut faire grand fruit ;
Qui prend de vos leçons a de hauts avantages.
Enfin pour l'Inconnue, elle est cassée aux gages,
Il ne s'en parle plus, c'est autant de vidé ?

DOM FERNAND
Mon cœur de ses attraits est toujours possédé,
Jamais un plus beau feu n'eut tant de violence.

GUZMAN
Monsieur, ayez de grâce un peu de conscience,
Gardez-vous bien de suivre un conseil hasardeux,
Qui vous les vouloir faire épouser toutes deux.
Peut-être punit-on en matière pareille,
Et celui qui consent, et celui qui conseille,
Et je me trouverois assez peu soulagé,
Que l'on vous accourcît si j'étois allongé.

DOM FERNAND
Tu vas un peu trop vite en faveur d'ISABELLE,
Je la veux adoucir, non pas à cause d'elle,
Mais de peur que l'aigreur de son ressentiment
N'engage l'Inconnue à quelque changement.
Elle va de ma foi lui donner mille ombrages,
Si je ne sais jouer tous les deux personnages,
Et faire, dans l'état d'un nœud si surprenant,
Tantôt Dom Dionis, et tantôt DOM FERNAND.
Voilà quel est mon but.

GUZMAN
Tant pis.

DOM FERNAND
Il te chagrine ?

GUZMAN
C'est qu'en mon cœur déjà l'amour prenoit racine,
Et que pour BEATRIX ravi de n'en bouger,
Si vous tournez casaque, il faut le déloger.

DOM FERNAND
Donc BEATRIX te plaît ?

GUZMAN
Monsieur par de là plaire.
Ce seroit bien mon fait, si j'étois son affaire,
Et comme de tout temps les Belles m'ont tenté,
Je me hasarderois à l'incongruité.
Se charger d'une Femme en est une assez haute.

DOM FERNAND
Vraiment, je suis fâché du repos qu'elle t'ôte ;
Mais crois-tu voir en elle assez pour t'engager ?

GUZMAN
J'y vois plus qu'il ne faut pour me faire enrager.
La Coquine a des yeux, dont la mutinerie
Passe le plus fripon de la friponnerie,
Et les malins regards qu'elle m'a su darder,
Navrant un pauvre cœur, prennent sans demander.

DOM FERNAND
Avec toi pour l'hymen obtiens qu'elle s'engage.

GUZMAN
J'y fais réflexion, trêve de Mariage.
Galante comme elle est, qui que vous épousiez,
Quand vous en seriez saoul, vous me l'emprunteriez ;
Mais je la vois venir, Monsieur.

DOM FERNAND
C'est ISABELLE.

GUZMAN
Peste ! Encor une fois que la friponne est belle !
Mon cœur en tombe presque en suffocation.

DOM FERNAND
C'est ici qu'il me faut pousser la passion.


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