Le Galant doublé
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ACTE II - Scène II

Thomas Corneille

ACTE II - Scène II


(ISABELLE BEATRIX)

BEATRIX
Ce choix vous va causer un peu d'inquiétude ;
Si Dom Félix fait voir son amour par ses soins,
Dom Dionis pour vous n'en témoigne pas moins,
Votre cœur doit parler c'est à vous de l'entendre.

ISABELLE
En se déférant trop, il craint de se méprendre
Ces Soupirants d'office, en tous lieux si chéris,
Sont d'aimables Amants, mais de fâcheux Maris ;
En vain la plus parfaite aura touché leur âme,
S'ils l'adorent Maîtresse, ils la méprisent Femme,
Et leurs vœux attachés à de nouveaux appas,
Dédaignent ce qu'ils ont pour tout ce qu'ils n'ont pas.
Voilà ce qui suspend tout ce que je propose.

BEATRIX
De vrai, le mariage est une étrange chose,
Et qui s'en peut louer, pour en bien discourir,
Au métier de forçat n'auroit guère à souffrir.
La chaîne en est, dit-on, si rude et si pesante,
Que qui n'en gémit point a l'âme bien constante,
Et quand il faut choisir, jeune, galant, fleuri,
Adroit, aimable, beau, c'est toujours un Mari,
On est bien empêché comme on s'y doit conduire,
Trop de précaution souvent ne fait que nuire,
En vain pour mieux échoir on y fait cent façons,
Puisque enfin les meilleurs ne sont jamais trop bons.
Sans qu'un semblable choix nous chagrine d'avance,
Il faut jeter les dés au hasard de la chance,
Et dire en risquant tout, puisque enfin on le veut,
Dieu nous la donne bonne, et vienne ce qui peut.

ISABELLE
C'est en dire un peu trop.

BEATRIX
Ce n'est point là satire,
Madame ; croyez-moi, l'on n'en sauroit trop dire.
Il est de ces rêveurs, il est de ces jaloux,
Qui se font plus de mal qu'ils n'en craignent de nous.
Qu'une Femme s'échappe à voir un peu le monde,
Leur chagrin en murmure, et leur dépit en gronde,
Et dans leur rêverie à rendre un esprit fou,
L'on n'est sage jamais si l'on n'est loup-garou.
Pour moi qui ne suis pas d'humeur trop endurante,
Si jamais un Mari l'assemblage me tente,
Le contrat d'union dans mon petit calcul
Aura plus d'une clause, ou demeurera nul.
Il me sera permis de danser et de rire,
Je verrai mes Amis sans qu'il y trouve à dire,
Et saurai le réduire à ne rien redouter
De toutes les douceurs qu'on me viendra conter.

ISABELLE
Tu crois qu'il tiendra tout ?

BEATRIX
Et bien, quitte à se battre.
Si j'enrage une fois il enragera quatre,
Et me mettant au pis, je sais qu'il trouvera
Plus de fâcheux moments qu'il ne m'en donnera.
Après tout, le meilleur est de vivre sans Maître.

ISABELLE
C'est un état heureux, et je le sais connoître ;
Mais de quelque douceur qu'il flatte nos esprits,
Le nom de vieille fille est un nom de mépris.

BEATRIX
Aussi, ce qui doit bien refroidir notre envie,
Quand on est marié, c'est pour toute sa vie,
Et pour qui s'en repent, à vous parler sans fard,
L'espoir de se voir veuve est un triste hasard.
Cette faveur du Ciel est toujours trop tardive,
Nos beaux jours sont passés quand ce grand jour arrive,
Et le plus souvent même abusant nos souhaits,
Il nous rit, il nous flatte, et n'arrive jamais.
Mais pour vos deux Amants, quel dessein est le vôtre ?
Vous sentez-vous égale, et pour l'un et pour l'autre ?

ISABELLE
Le choix, à dire vrai, n'est pas facile entre eux,
Je tiens l'un plus galant, l'autre plus amoureux.
D'abord Dom Dionis, en m'expliquant sa flamme,
Éblouit ma raison, charma toute mon âme ;
Mais si j'en juge bien, je lui vois chaque jour
Plus de galanterie avecque moins d'amour.
De cette passion il n'a que l'habitude,
Il en prends les dehors, soupire par étude,
Et je crois, quand il tâche à lui donner crédit,
Que son cœur ne sait rien de tout ce qu'il me dit.

BEATRIX
Dom Félix pourra donc emporter la balance ?

ISABELLE
Si son feu brille moins, j'y crois plus de constance,
Et je tiens qu'à l'hymen un esprit arrêté
Doit moins chercher l'éclat que la solidité.

BEATRIX
Pourquoi permettre donc que son Rival vous voie ?

ISABELLE
Pour juger mieux encor ce qu'il faut que j'en croie,
Et c'est pour me pouvoir expliquer avec lui,
Qu'il avoit eu de moi rendez-vous aujourd'hui.
Tu sais que LEONOR a rompu la partie.

BEATRIX
Ma foi, je n'aurois point péché par modestie.
Sa visite à demain eût reçu le renvoi,
On doit à ses Amis quand on a fait pour soi.

ISABELLE
LEONOR seule ici me priant de l'attendre,
C'est le moins, BEATRIX, que je pouvois lui rendre.
Mais je la vois entrer.


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