(DOM FERNAND ISABELLE BEATRIX GUZMAN)
DOM FERNAND
Madame, enfin le Ciel à mon amour propice,
N'a pu de vos desseins approuver l'injustice,
Ni souffrir plus longtemps qu'un ordre rigoureux
Privât de votre vue un Amant malheureux.
Il a fait naître exprès une telle rencontre,
Aujourd'hui malgré vous à mes yeux il vous montre,
Et m'offre la douceur dont un destin jaloux
M'a tantôt empêché d'aller jouir chez vous.
J'ose au moins me flatter de vous voir assez bonne,
Pour consentir au bien que le hasard me donne,
Et ne murmurer pas, que contre mon espoir
Il accorde à mes vœux le plaisir de vous voir.
ISABELLE
Pour vous le faire croire, il suffit de vous dire
Que plus je vous connois, et plus je vous admire.
Les divertissements que vous vous choisissez
Ne trouveront jamais qui les estime assez,
Votre agréable humeur galamment les ordonne ;
Mais afin d'épargner votre double personne,
À qui d'elle avec vous parlai-je maintenant ?
Est-ce à Dom Dionis, ou bien à DOM FERNAND ?
Êtes-vous de Grenade, ou venez-vous de Flandre ?
DOM FERNAND
De telles questions ont droit de me surprendre ;
Vous avez déjà su par d'autres que par moi,
Qu'en Flandre assez longtemps on m'a vu dans l'emploi,
Le désir du repos a causé ma retraite.
Cependant en ces lieux j'ai trouvé ma défaite,
Et mon cœur que l'amour n'avoit pu surmonter,
Charmé de vos appas, n'a su leur résister ;
Vous le savez, mais las ! Je crains bien que votre âme
Nr cède au repentir d'avoir souffert ma flamme,
Et que ce rendez-vous ôté cruellement,
Ne soit déjà l'arrêt de mon bannissement.
ISABELLE
Prévenir les sujets que j'aurois de me plaindre,
C'est fort adroitement pratiquer l'art de feindre.
Si j'avois pu tantôt tomber dans le panneau,
Vous me feriez encor y donner de nouveau ;
Mais quoi que mon esprit n'ait pas tant de lumières,
Il faut pour l'éblouir des fourbes moins grossières,
Et celles que par là vous pourrez attraper,
Auront un grand talent à se laisser duper.
DOM FERNAND
Quelle énigme est-ce ci ? Madame…
ISABELLE
Je vous prie,
Afin d'ennuyer moins, changez de batterie ;
C'est assez sur ce ton, vous ne m'y prendrez pas.
DOM FERNAND (, à BEATRIX.)
Tout ici de mon trouble augmente l'embarras.
Tire-moi de la peine où tu vois qu'on me laisse ;
Quelqu'un m'a-t-il su nuire auprès de ta Maîtresse ?
BEATRIX, quelle erreur tient ses sens obsédés ?
BEATRIX
Ah, Monsieur DOM FERNAND, vous vous dégrenadez ?
Vous ne me prenez plus pour amie ou parente !
DOM FERNAND
Enfin je n'ai point l'âme assez intelligente,
Il faut s'expliquer mieux. De quoi m'accuse-t-on ?
Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ? Que croit-on de moi ?
GUZMAN
Bon.
Voilà vous parler ferme, avisez à répondre.
ISABELLE
Quoi, ce que vous oyez est peu pour vous confondre ?
DOM FERNAND
Faute d'y rien comprendre, on m'en voit interdit.
BEATRIX
Madame, il veut, je crois, nous renverser l'esprit.
Donc tantôt tout du long me traitant d'Inconnue,
Vous n'avez point nié de m'avoir jamais vue,
De vous être adouci pour m'en conter un peu ?
DOM FERNAND
Moi, je l'aurois nié ? Pourquoi ce désaveu,
Si t'ayant malgré toi dans la rue arrêtée…
BEATRIX
Avec combien de soin la pièce est concertée !
Vous n'attraperez rien à prendre ce détour.
DOM FERNAND
GUZMAN.
GUZMAN
Ce sont, Monsieur, gentillesses de Cour.
Lorsque le jeu leur plaît, le plus fin n'y voit goutte.
DOM FERNAND
Mais, Madame, de grâce, éclaircissez mon doute,
Ne puis-je au moins savoir de quoi vous vous plaignez ?
BEATRIX
De vous voir archi-fourbe, et des plus raffinés.
DOM FERNAND
Moi ?
BEATRIX
Qui voudra l'ouïr, c'est la même innocence.
DOM FERNAND
Mais enfin…
ISABELLE
Mais enfin quelle est votre espérance ?
Si je sais qu'en secret d'une Inconnue épris,
Vous êtes DOM FERNAND, et non Dom Dionis,
Pourquoi sous ce faux nom tâcher à me surprendre ?
Arriver de Grenade, et me parler de Flandre,
Et de l'Armée enfin vous feignant de retour,
Me cacher qu'un procès vous amène à la Cour ?
DOM FERNAND
Ce conte pour me nuire est un froid stratagème.
Madame, qui le fait ?
ISABELLE
J'ai tout su de vous-même.
DOM FERNAND
De moi ? Sans être fou, pourrois-je à mes dépens…
BEATRIX
Ma foi, vous n'aviez pas tantôt votre bon sens.
ISABELLE
La rencontre chez moi vous étoit imprévue.
DOM FERNAND
Quoi, Madame, aujourd'hui chez vous je vous ai vue ?
ISABELLE
Vous y veniez sans peine, attiré par l'amour.
DOM FERNAND
Parle ; m'as-tu, GUZMAN, quitté de tout le jour ?
GUZMAN
Ah !
ISABELLE
L'honnête garant que vous faites paroître !
DOM FERNAND
Mais il vous peut…
GUZMAN
Oui dea, je puis piéger mon maître,
Il est amant d'honneur si jamais il en fut.
ISABELLE
De vos déguisements je découvre le but,
Pour conserver toujours quelque place en mon âme
Vous me voulez cacher votre nouvelle flamme,
Mais n'en croyez pas tant l'espoir que vous prenez,
L'un pour l'autre tous deux nous ne sommes point nés.
À la seule Inconnue adressez votre hommage.
Aussi bien ma parole à Dom Félix m'engage,
Et jamais à vous voir je n'ai su me forcer,
Qu'aux moments de chagrin que j'avois à passer.
DOM FERNAND
Ce n'est pas sans raisons que de justes alarmes,
Étonnant mon espoir, m'en défendoient les charmes,
Sans chercher un prétexte aux mépris qu'on me rend.
Le peu que je mérite en est un assez grand.
Ne dites point qu'ailleurs je partage ma flamme,
Mais dites qu'un Rival a su toucher votre âme,
Et que sa passion engageant votre foi,
Pour en remplir l'attente, il faut rompre avec moi.
ISABELLE
Vous n'avez point d'intrigue avec une inconnue ?
DOM FERNAND
Pour vous seule d'amour mon âme est prévenue,
Et cette ardeur est telle…
ISABELLE
On en connoît le prix.
DOM FERNAND
Madame…
ISABELLE
Adieu, c'est trop.
DOM FERNAND
Retiens-la, BEATRIX,
Aide-moi de mes feux à prouver l'innocence.
BEATRIX
Je ne sais quasi plus ce qu'il faut que j'en pense.
Madame, accordez-lui…
ISABELLE
Quoi, tu peux l'écouter ?
BEATRIX
Mais ne trouveriez-vous aucun lieu de douter ?
S'il est DOM FERNAND, comme il semble paroître,
Pourquoi s'obstiner tant à ne vouloir pas l'être ?
Sur quel espoir si loin pousser la fiction ?
ISABELLE
Tu te laisses gagner à la compassion,
Et crois que jusqu'au cœur son déplaisir arrive ?
BEATRIX
C'est mon plus grand défaut, je suis trop compassive,
Et parmi mes galants d'amour et d'amitié,
J'en sais sur mon papier plus de cent de pitié ;
Il est des étourdis, que refuser d'entendre,
C'est contraindre autant vaut sur l'heure à s'aller pendre,
J'évite le désastre, et fais tout pour le mieux.
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