Le Galant doublé
-
ACTE II - Scène VI

Thomas Corneille

ACTE II - Scène VI


(ISABELLE LEONOR DOM FERNAND BEATRIX JACINTE)

ISABELLE (, à BEATRIX)
Nous le verrons, mais Dieux ! Ma surprise est extrême,
Je vois Dom Dionis.

BEATRIX
Madame, c'est lui-même.

ISABELLE
Il aime LEONOR, et m'ose cajoler !

BEATRIX
Bons Dieux ! Quel maître fourbe !

ISABELLE
Il faut dissimuler.

LEONOR (, à ISABELLE.)
Sachant quelle aventure à soupirer m'expose,
Voyez en DOM FERNAND le sujet qui la cause.
Vos sentiments ont droit d'en régler seuls la fin.

DOM FERNAND (, à ISABELLE.)
Je dois beaucoup, Madame, à mon heureux destin,
Qui me laissant toujours inconnu ce que j'aime,
Me fait connoître au moins comme une autre elle-même,
L'amitié qui vous joint m'en persuade assez.

ISABELLE
Je ne m'étonne point si vous me connoissez.
Pour peu qu'avec un cœur l'on ait d'intelligence,
De tout ce qu'il chérit on a la connoissance,
Et l'amour qui du sien vous fait suivre la loi,
Doit faire autant pour vous que l'amitié pour moi.
J'en ai déjà tiré des lumières secrètes
Qui m'ont en un moment appris ce que vous êtes,
Je sais presque de vous tout ce qu'on peut savoir.

DOM FERNAND
Un si brillant esprit ne se peut décevoir ;
Mais si vous vous rendez à de justes prières,
Madame, faites-m'en partager les lumières.
De ce charmant objet j'adore la beauté
Sans avoir pu tirer mon feu d'obscurité,
Son nom qu'elle me cache étonne ma constance.

ISABELLE
Elle vous fait grand tort par cette défiance,
Et sur ce que de vous je puis justifier,
Elle verra bientôt comme on doit s'y fier.

LEONOR
Prendre déjà sa cause ! À moins qu'il vous corrompe…

ISABELLE
Vous me ferez reproche en cas que je vous trompe.

LEONOR
Il faut vous l'avouer, si DOM FERNAND me plaît,
Dès l'abord comme vous je vis tout ce qu'il est,
Le cœur grand, l'âme belle, une entière franchise
Mais de ses sentiments je craignois la surprise,
Les plus prompts quelquefois ne sont pas les meilleurs.

ISABELLE
À vous dire le vrai, je le connois d'ailleurs.
Un Ami qui d'erreur est assez incapable,
M'en avoit fait une peinture aimable,
Dont les traits délicats ayant gagné ma foi,
Ne m'avoient rien caché de tout ce que j'y vois.
L'air, la mine, l'esprit, enfin tout se rapporte.

DOM FERNAND
Je lui suis obligé d'une estime si forte.

ISABELLE
Jamais d'un vrai mérite on ne fit plus de cas.

LEONOR
Et c'est ?

ISABELLE
Dom Dionis.

DOM FERNAND
Je ne le connois pas.

ISABELLE
Ne le connoître pas ! Certes cela m'étonne,
Vous est-il inconnu, s'il ne l'est à personne ?
Un Cavalier civil, poli, galant, parfoit,
Qui pensant ce qu'il dit, plaît dans tout ce qu'il fait,
Point fourbe, point trompeur, point de ces lâches âmes
Qui cherchent en tous lieux à promener leurs flammes,
Et d'ailleurs il se dit de vos meilleurs Amis.

DOM FERNAND
L'erreur m'est favorable où quelque abus l'a mis.

ISABELLE
Deux noms divers en lui pourroient causer le vôtre.
Qui m'est connu sous l'un, vous le sera sous l'autre.
Dom Dionis pourtant est le seul que je sais.

DOM FERNAND
Quoi qu'il ait pu dire, il vous aura dit vrai,
S'il a su vous jurer que mon amour extrême
Engage tous mes vœux à la beauté que j'aime.
J'apprends qu'on la marie, et ce fatal revers
Accable un malheureux qui languit dans ses fers.
Ne pouvant m'éclaircir du père ni du gendre,
Je forme cent desseins sans savoir lequel prendre.
Dans ces obscurités daignez me secourir,
Vous voyez qu'à vous seule on me fait recourir.
Soulagez les ennuis dont mon âme est pressée.

ISABELLE
Je ne vais pas si vite à dire ma pensée,
Et si de son aveu j'ose en prendre le droit,
Je crains de l'engager à plus qu'elle ne croit.

LEONOR
Non, à votre amitié tout mon cœur s'abandonne,
Il en croira soudain quoi que son zèle ordonne,
Et pour vous donner lieu d'en mieux délibérer,
Je vous laisse tous deux, et vais me retirer,
Adieu.

DOM FERNAND (, à LEONOR.)
Souvenez-vous que mes peines cruelles
Ne peuvent…

LEONOR
Vous aurez tantôt de mes nouvelles.

BEATRIX
Madame, nous pouvons enfin le régaler.

ISABELLE
Voyons son impudence avant que de parler.


Autres textes de Thomas Corneille

Stilicon

La pièce "Stilicon" de Thomas Corneille est une tragédie historique en cinq actes qui se déroule dans la Rome antique et met en scène des intrigues politiques, des trahisons, des...

Persée et Démétrius

La pièce "Persée et Démétrius" de Thomas Corneille est une tragédie en cinq actes qui explore les thèmes de la rivalité familiale, de l’ambition politique, de la jalousie et des...

L'Inconnu

La pièce "L'Inconnu" de Thomas Corneille est une comédie en cinq actes où les thèmes de l'amour, des stratagèmes et des quiproquos sont centraux. L'histoire met en scène une veuve,...

Les Illustres Ennemis

La pièce "Les Illustres Ennemis" de Thomas Corneille est une tragédie en cinq actes qui explore des thèmes classiques tels que l'honneur, l'amour contrarié, la vengeance, et les tensions familiales....

Le Festin de pierre

La pièce "Le Festin de pierre", écrite par Thomas Corneille et créée en 1677, est une adaptation en vers de la célèbre comédie "Dom Juan" de Molière (1665). Elle raconte...



Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2025