La mort d'Achille
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ACTE V - Scène VII

Thomas Corneille

ACTE V - Scène VII


(Briseis, Alcime, Phénice.)

BRISEIS
Pyrrhus est-il au temple, et le ciel adouci…

ALCIME
J'ai rencontré Pyrrhus à trente pas d'ici.
Sur le bruit du tumulte il couroit vers Achille ;
Mais les Dieux ont rendu son secours inutile,
Et tandis que pressé du plus sensible ennui,
Il est d'Agamemnon allé chercher l'appui,
Il a voulu qu'ici je vinsse vous apprendre
Les malheurs que sur nous le Ciel vient de répandre,
Achille qu'on croyoit être au dessus du sort,
Achille…

BRISEIS
Et bien Achille ?

ALCIME
Il est mort.

BRISEIS
Il est mort ?

ALCIME
Polixène déjà vers le temple conduite,
Avec Priam son père a pris soudain la fuite,
Il la ramène à Troie, où tristes et confus
S'ils gardent quelque espoir, il n'est plus qu'en Pyrrhus ;
Mais quoi qu'il soit allé, pour servir Polixène,
Suspendre de nos Chefs la fureur trop certaine,
Pour empêcher les maux qu'elle me fait prévoir,
Je doute que Pyrrhus ait assez de pouvoir.

BRISEIS
Non, tu me fais, Alcime, un rapport incroyable,
Achille vit encor, Achille invulnérable
N'a pu se voir sujet à la fureur du Sort.

ALCIME
Cependant d'un Mortel il a reçu la mort.
Un seul endroit au fer pouvoit donner passage,
Pâris l'a découvert, ce coup est son ouvrage.
Sitôt que le perfide a vu son sang couler,
"C'est assez, a-t-il dit, j'ai su me l'immoler,
Cet ennemi d'Hélène à mon amour ravie
Ne peut perdre de sang qu'il ne perde la vie,
C'est l'ordre du Destin. Puisqu'Achille n'est plus,
Les Grecs doivent trembler, Troie aura le dessus,
Allons de cette mort lui porter la nouvelle."
Ils se sont retirés, et la douleur mortelle
Où d'Achille expirant le malheur nous a mis,
Les a quand ils ont fui laissés sans ennemis.

BRISEIS
Il est donc vrai qu'Achille ait pu perdre la vie ?
Et bien barbare, enfin ta rage est assouvie,
Les Dieux n'en ont que trop écouté le transport,
Triomphe, il t'est permis de jouir de sa mort.
Trouves-y les douceurs dont tu t'osois répondre,
Brave un ingrat mourant, sois fière à le confondre,
Et songe, après un bien si cher à tes souhaits
Quel sera ton bonheur à ne le voir jamais.
Dieux, suis-je encor moi-même ? Achille est mort ! Phénice,
Aurais-tu crû le Ciel capable d'injustice ?
Souffrir qu'Achille…

PHENICE
Il meurt, et sa mort vous abat,
Mais songez-vous qu'Achille étoit parjure, ingrat ?
Que tout à Polixène, il n'aspiroit qu'à suivre
Ce que l'amour pour elle…

BRISEIS
Ah, que ne peut-il vivre,
Quoi qu'une autre à mes yeux triomphât de sa foi,
Je le verrois du moins, ce seroit tout pour moi,
Le remords de ma perte et de son injustice
Peut-être lui feroit partager mon supplice,
Il souffriroit peut-être en me voyant souffrir.
N'a-t-il rien dit, Alcime, et l'as-tu vu mourir ?

ALCIME
À peine il a du coup senti la rude atteinte
Qu'il tombe, et d'un regard qui fait naître la crainte
Reprochant à Pâris son indigne attentat,
"Il faut céder, dit-il, au destin qui m'abat,
Je meurs ; du lâche coup dont la rigueur m'entraîne,
L'infamie étoit due au Ravisseur d'Hélène :
Il s'arrête à ces mots, et voyant les Troyens
Le laisser par leur fuite entre les bras des Siens ;
S'étant tourné vers moi ; le ciel est juste, Alcime,
Tu le vois, m'a-t-il dit, ma mort punit mon crime,
Et venge Briseis de l'affront qu'à sa foi
Par l'hymen qui me perd, je faisois malgré moi.
Dis-lui que d'un mépris si dur si peu croyable
Plus que ma volonté le Destin est coupable,
Et qu'à l'ordre absolu qui me l'a fait trahir
Un fatal Ascendant m'a forcé d'obéir.
Dis-lui qu'en la quittant, plein pour elle d'estime,
Mon cœur de ses ennuis…"

BRISEIS
N'achève point, Alcime,
Et pour m'accabler moins, cache moi qu'en mourant
Achille ait plaint l'amour que son malheur me rend,
C'est enfoncer le trait où je sens la blessure.
Dis-moi, dis-moi plutôt qu'il fut lâche, parjure,
Et que de ma Rivale indignement charmé
Il meurt du seul regret de n'être point aimé.
Dieux ! pour comble de maux, quand tout me désespère,
Faut-il que ses remords désarment ma colère,
Et qu'au triste moment qu'Achille perd le jour
Achille repentant mérite mon amour ?
Non, il n'est que trop vrai, ma frayeur étoit vaine,
Achille n'auroit point épousé Polixène,
Prêt à donner sa main il eut vu Briseis,
Sa flamme rallumée eut plaint mes feux trahis,
Et dans son cœur gêné sa gloire eut fait renaître
Tous les traits que son crime avoit fait disparaître,
C'est trop, délivrons-nous de ce cruel ennui,
Puisqu'il est mort fidèle, il faut mourir pour lui.
Mais avant que mon bras venge ce que je pleure,
Pâris en est la cause, il faut que Pâris meure,
Et que par mille horreurs, et la flamme et le fer,
De ce lâche assassin me fassent triompher.
Je verrai lors mon sang couler avecque joie
Si je le puis verser sur les cendres de Troie.
Allons, Phénice, allons, en de pareils malheurs
C'est mal user du temps que le perdre à des pleurs.
Pressons Agamemnon de servir ma colère,
S'il le faut éblouir, consentons qu'il espère,
Ma mort aura vers lui de quoi me dégager,
Quand s'armant pour Achille, il m'aura su venger.


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