La mort d'Achille
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ACTE I - Scène III

Thomas Corneille

ACTE I - Scène III


(Polixène, Pyrrhus, Ilione, Antilochus.)

POLIXÈNE
Hélas ! Que lui demandez-vous ?
Tremblez, Prince, tremblez au nom de Polixène,
Laissez la céder seule au destin qui l'entraîne,
Et ne vous livrez point, sans l'avoir mérité,
Aux malheurs d'un parti que les dieux ont quitté.
Pour attirer sur moi leur plus rude colère,
Le crime est assez grand d'avoir Priam pour père,
Ne le partagez point. Me vouloir épouser
C'est empêcher la paix que l'on va proposer.
Quand d'abord mon hymen en dut être le gage
La guerre n'avoit fait que son moindre ravage,
Sa fureur étoit lente, et nous laissoit encor
Et le jeune Troile, et le vaillant Hector.
Dans l'instant qu'un Traité semble un projet facile,
Patrocle qui périt arme contre eux Achille,
Et les faisant tomber sous l'effort de son bras,
Nous ramène l'horreur des plus sanglants combats.
Vous y replongerez la déplorable Troie
Si votre amour encor à les finir s'emploie ;
Ma main est un présent funeste à vous offrir,
Et l'oser demander c'est chercher à périr.

PYRRHUS
Pourquoi, lorsque le Ciel nous voit d'un œil propice,
D'un si cruel augure écouter l'injustice ?
Ces feux qui sur votre âme ont eu quelque pouvoir
N'eurent jamais l'appui d'un si riant espoir.
Briseis dont pour vous l'amitié s'intéresse,
Pourra tout sur Achille, il l'aime avec tendresse.
La trêve de ses soins est le premier effet,
La paix suivra sans doute, Hector est satisfait,
Priam à notre Hymen consentira sans peine.
Aurai-je contre moi la seule Polixène,
Et mon amour est-il d'un prix si ravalé
Qu'à de vaines terreurs il doive être immolé ?

POLIXÈNE
Prince, veuillent les dieux que foible, et trop timide,
Mon cœur de nos malheurs injustement décide.
Si j'en crois l'apparence ils sont prêts à cesser,
Tout nous promet l'hymen que vous voulez presser,
Briseis s'intéresse au feu qui vous anime,
Achille est sans colère, et Priam vous estime.
Cependant malgré moi je vois de toutes parts
De noirs fleuves de sang effrayer mes regards.
Vous savez de mon sort ce qu'a prédit Cassandre,
L'œil farouche, égaré, je crois toujours l'entendre.
À peine elle eut appris qu'on nous vouloit unir
Que sur ce triste hymen pénétrant l'avenir,
Fuis Polixène, fuis l'impitoyable Achille,
Me dit-elle, tu prends un espoir inutile,
Vouloir donner ta main, c'est courir au tombeau,
Achille est destiné pour être ton bourreau.
Jugez, Prince, jugez après cette menace
Si mon cœur sans sujet se trouble, s'embarrasse,
Si de vaines frayeurs le rendent interdit.

PYRRHUS
Peut-on craindre un malheur que Cassandre a prédit ?
En vain d'un si grand Art elle usurpe la gloire,
Jamais on ne l'a crue, et vous la voulez croire.
Non, ne m'opposez point que les Destins jaloux
Combattent les bontés que j'attendois de vous.
Dites, dites, plutôt, que quoi qu'il ait pu faire,
L'infortuné Pyrrhus n'a jamais su vous plaire,
Que ce parfoit amour qu'il a fait éclater
Du cœur qu'il attaquoit n'a pu rien mériter,
Et que si de Priam la favorable estime
Peut rendre auprès de vous son espoir légitime,
Il prétendroit en vain à rien plus, qu'à jouir
De la foible douceur de vous voir obéir.

POLIXÈNE
Ah, Pyrrhus, est-ce ainsi que vous rendez justice
Aux frayeurs dont pour vous j'éprouve le supplice ?
Si la crainte m'expose aux plus rudes combats
Craint-on de voir périr ce que l'on n'aime pas ?
Vous tenez de Priam l'empire de mon âme ;
Mais quand il m'ordonna d'écouter votre flamme,
Je ne sais si mon cœur pour flatter votre espoir
N'avoit point en secret prévenu mon devoir,
Et s'il m'eut pû souffrir sur un ordre contraire
La même déférence aux volontés d'un père.
C'est vous faire assez voir ce qui me fait agir,
Je dirai plus ; peut être en devrois je rougir.
Hector, l'appui de Troie, et l'effroi de la Grèce
N'avoit que trop, hélas, mérité ma tendresse,
Je l'aimois, on le sait. Il n'est plus cet Hector,
J'en ai pleuré la perte, et je la pleure encor,
Dans les vives douleurs qu'elle ajoute à ma peine,
Je sais qu'à son Vainqueur je dois toute ma haine,
Et cependant, malgré ce qu'il me fait souffrir,
Quand à mes tristes yeux Achille vient s'offrir,
Je me souviens plutôt qu'Achille est votre père,
Que je ne puis songer qu'il a tué mon frère.
L'image de son sang par ses mains répandu
S'efface au souvenir de ce qui vous est dû.
Point pour lui de fierté ? quelques maux qu'il me coûte,
Je le laisse approcher, je le vois, je l'écoute,
Et Pyrrhus tient pour lui, quoi qu'encor ennemis,
Et ma haine enchaînée, et mon courroux soumis.
Pour vous garder ma foi triompher de moi-même,
Si ce n'est point aimer, dites-moi comme on aime.

PYRRHUS
Ah, pardonnez, Madame, à l'erreur d'un amant
Qui se perd dans sa crainte, et s'alarme aisément.
Cet Hymen que poursuit ma juste impatience,
N'a rien sans votre aveu qui flatte ma constance,
Et l'honneur d'être à vous dont je me sens charmé
Toucheroit peu mon cœur si je n'étois aimé.

POLIXÈNE
Vous ne l'êtes que trop, mais j'ose le redire,
Vous en soupirerez ainsi que j'en soupire.
Poursuivez un Hymen à votre espoir si doux,
Quoi qu'on fasse, les dieux ne seront point pour nous,
Leur jalouse fureur seroit mal établie
S'ils souffroient que nos coeurs… Prince, adieu, je m'oublie,
Dans l'invincible effroi des malheurs que j'attends,
C'est redoubler mes maux que vous voir plus longtemps,
Plus je m'arrête ici, plus je devines sensible,
N'attendez rien pour moi, qu'une sort affreux, terrible,
Et pour vous consoler, en de si rudes coups,
Songez que si je meurs, je mourray toute à vous.


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