(Achille, Alcime.)
ALCIME
Ce triomphe à tout autre eut été difficile.
Le grand Achille seul pouvoit dompter Achille,
Et l'heureux art de vaincre un si juste courroux
Passe tous les exploits qui font parler de vous.
Flatter vos ennemis, leur céder votre tente,
Ordonner pour Hector une pompe éclatante,
Sont des effets, Seigneur, si grands, si relevés,
Qu'à votre seul courage ils étoient réservés.
Chacun en a pour vous redoublé son estime.
ACHILLE
C'est trop peu pour ma gloire, il faut plus faire, Alcime.
Privés du grand Hector les Troyens sont défaits.
Prêt à vaincre, je veux leur demander la paix,
Et pour leur épargner la honte de se rendre,
Moi-même leur offrir ce qu'ils n'osent prétendre.
ALCIME
Ah, Seigneur, c'est ici, deux fois victorieux,
Qu'Achille tout entier se découvre à mes yeux.
Suivez la voix du ciel qui veut conserver Troie,
Nos Grecs las de combattre en auront de la joie,
Déjà depuis longtemps ils pressent leur retour.
ACHILLE
Ils peuvent l'espérer sur la foi de l'amour,
Pour réparer les maux qu'il causa par Hélène,
Alcime, il m'a fait voir la jeune Polixène,
Et c'est en l'épousant que je veux assurer
Les liens d'une paix qui doit toujours durer.
ALCIME
Vous aimez Polixène ?
ACHILLE
Oui, je l'adore, Alcime,
L'amour que j'ai pour elle égale mon estime,
Et de ma liberté l'entier engagement,
À ses premiers regards n'a coûté qu'un moment.
Si tu savois l'état où d'abord je l'ai vue !
La rencontre à mon cœur fut sans doute imprévue,
Dans les plus fiers transports qu'exhaloit mon courroux
Je la vis tout à coup pleurer à mes genoux.
Résolu de braver tout l'éclat de ses charmes,
Je ne pus un moment résister à ses larmes,
Ma tremblante fureur s'en laissa désarmer,
La haine m'animoit, je ne sus plus qu'aimer,
Et si j'en eusse crû ma passion extrême,
À ses pieds devant tous j'aurois prié moi-même.
Ah, contre un ennemi qui cause nos malheurs
Qu'un bel objet est fort quand il verse des pleurs !
Le corps d'Hector rendu satisfit son envie.
Que n'eus je le pouvoir de lui rendre la vie !
Au moins à ce défaut j'allai dans Troie exprès
Honorer son tombeau de quelques vains regrets.
Priam qui m'y reçut en roi digne de l'être
Dans son propre Palais me fit traiter en maître.
La pompe dont au Camp pour Hector j'ai pris soin
Sembloit le convier d'en être le témoin ;
Dans ma Tente à mon tour je l'attirai sans peine,
Et tout cela, pour être auprès de Polixène,
Pour jouir de sa vue, et ne point m'arracher
À l'unique plaisir qui me puisse toucher.
ALCIME
L'amour peut tout, Seigneur, mais…
ACHILLE
Je t'entends Alcime,
Je quitte Briseis, tu vas m'en faire un crime.
Il est vrai, Briseis m'aime avec tant d'ardeur
Que ce coup imprévu lui percera le cœur,
Je conçois les ennuis dont je serai la cause,
Je l'en plains, mais enfin je me dois quelque chose,
Et je n'ai pas vaincu pour souffrir qu'à son choix
Ma Captive ait l'orgueil de me faire des lois.
Malgré tout le pouvoir que la guerre me donne,
Qu'elle me laisse à moi, je lui rends sa Couronne.
Un Trône, dont les droits, si je veux, me sont dûs
Est un prix assez grand pour des soupirs perdus.
ALCIME
Ayant aimé toujours Patrocle avec tendresse
Vous cessez tout à coup d'aimer une maîtresse ?
L'exemple est peu commun, et l'on voit rarement
Qu'un véritable ami soit infidèle Amant.
ACHILLE
L'amour et l'amitié, n'ont rien qui se ressemble,
C'est les connoître mal que les confondre ensemble,
Leurs droits sont différents en durée, en douceur,
La raison cause l'une, et l'autre vient du cœur ;
Et comme la raison quand elle veut qu'on aime,
Contente de son choix est toujours elle-même,
On doit peu s'étonner que dans ses longs progrès
Une forte amitié ne se rompe jamais :
Mais, Alcime, le cœur s'engage par surprise,
Sans prendre son aveu l'amour le tyrannise,
Et quand d'un bel Objet il se laisse charmer,
Il aime sans savoir qu'il a dessein d'aimer.
Le penchant qui l'entraîne en commençant de naître
Est une aveugle ardeur dont il n'est pas le maître,
Et comme elle est contrainte, il en voit le retour
Quand le temps fait languir les forces de l'amour.
ALCIME
Mais pour vous Polixène à vaincre est-elle aisée ?
Souillé du sang d'Hector…
ACHILLE
Son ombre est apaisée,
Et le coup malheureux qui causa son trépas
Fut un crime du Sort, et non pas de mon bras.
Polixène oubliant cette triste victoire,
Ne voudra regarder que l'amas de ma gloire,
De son cœur tant d'éclat viendra sans peine à bout,
Et pour le mériter le nom d'Achille est tout.
ALCIME
Ce nom est au dessus de tout ce qu'on peut dire,
Mais on peut n'aimer pas toujours ce qu'on admire,
Et le cœur fier de soi se rend moins aisément
Aux vertus d'un héros, qu'aux soupirs d'un Amant.
ACHILLE
Du succès de mon feu je ne suis point en peine,
J'en ai trop consulté les yeux de Polixène,
Pour moi, quand je m'approche, ils ont tant de douceur,
Que leur tranquillité me répond de son cœur,
C'est un entier oubli de ce qu'on m'a vu faire,
Point de marques d'aigreur pour la mort de son frère.
Le triomphe secret de m'avoir adouci
lui fait naître…
ALCIME
Seigneur, Briseis vient ici.
ACHILLE
Cache-lui mon secret, elle pourra l'apprendre
Du bruit qui dans le camp doit bientôt s'en répandre,
Quand j'aurai vu Priam, il faudra m'exposer
À ce que sa douleur lui pourra faire oser.
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