La mort d'Achille
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ACTE I - Scène I

Thomas Corneille

ACTE I - Scène I


(Briseis, Pyrrhus, Antilochus, Phénice.)

BRISEIS
Prince, n'en doutez point, je l'obtiendrai d'Achille.
Pour vous auprès de lui tout me sera facile,
Et quoique mon amour veuille exiger du sien,
Son cœur est trop à moi pour me refuser rien.
Vos yeux en sont témoins ; pour fléchir son courage
En vain le vieux Priam a tout mis en usage.
En vain ce triste roi, pour le corps de son fils,
A joint les pleurs d'Hécube à des présents exquis.
Insensible à ces pleurs, trois fois d'une âme fière
Il a de tous les deux rejeté la prière,
Et par tout ce que peut la plus vive douleur,
Hécube ni Priam n'ont pu toucher son cœur.
Sitôt qu'à ses genoux j'ai fait voir Polixène,
Que j'ai parlé pour elle, il a cédé sans peine,
Et deux mots de ma bouche ont fait en un moment
Ce que la terre entière eut tenté vainement.
J'ai proposé la trêve, et soudain avec joie
Il a pour quelques jours laissé respirer Troie,
Rendu le corps d'Hector, et lui-même honoré
Les cendres d'un héros si justement pleuré.

PYRRHUS
Après avoir forcé sa colère à se rendre,
L'illustre Briseis a droit de tout prétendre.
Par cette majesté dont brillent ses appas
Quels obstinés refus ne vaincroit-elle pas,
Elle qui triomphant du destin qui la brave
A fait de son vainqueur un glorieux esclave,
Soumis le fier Achille, et par un doux revers,
Trouvé l'art de régner au milieu de ses fers ?
C'est en ce grand pouvoir, Madame, que j'espère.
Que n'obtiendra-t-il point d'un amant et d'un père ?
Un mot en ma faveur couronne mon amour,
Achille vous adore, il m'a donné le jour,
Et sait trop ce que peut un beau feu sur une âme
Pour vouloir mettre obstacle au succès de ma flamme.
La guerre n'a produit que trop d'affreux effets,
Nous vous devons la trêve, accordez-nous la paix,
Et pour faire cesser tous les sujets de haine,
Obtenez que l'hymen m'unisse à Polixène.
Priam qui pleure un fils à ses larmes rendu,
Le recouvrant en moi, n'aura plus rien perdu.

BRISEIS
Malgré le sang d'Hector qu'Achille a dû répandre,
Il se peut que Priam aime Pyrrhus pour gendre,
Qu'il consente à l'hymen qui flatte vos souhaits,
Mais ce n'est point assez pour nous donner la paix.
Une trop rude guerre à votre espoir s'oppose,
Il faut pour l'étouffer en supprimer la cause,
Rendre, malgré Pâris, Hélène à Ménélas.

PYRRHUS
Pour apaiser les Grecs que ne fera-t-on pas ?
Après la mort d'Hector que les Dieux ont soufferte,
Troie enfin sans défense est sûre de sa perte.
Tandis que cette mort y fait régner l'effroi,
Gagnez l'esprit d'Achille, et tout sera pour moi,
C'est de là que dépend le repos de ma vie.
Vôtre propre intérêt à parler vous convie.
Pour vous donner la main, vous rendre vos États,
Vous savez qu'il attend la fin de nos combats,
Et qu'il ne veut que voir la guerre terminée
Pour conclure avec vous un heureux hyménée.
Faites votre bonheur en assurant le mien.

BRISEIS
Achille pour ma gloire est un brillant soutien,
Disposer de son cœur c'est être plus que Reine ;
Mais pourrez-vous toucher celui de Polixène ?
Il faut vous l'avouer, si sa beauté vous plaît
Ses larmes dans son sort m'ont fait prendre intérest,
Je sens que ses malheurs attendrissent mon âme,
J'en partage l'atteinte, et malgré votre flamme,
Si le don de sa main contraignoit ses désirs,
Je les écouterois plutôt que vos soupirs ;
Songez ce qu'est un cœur qui s'arrache à soi-même.

PYRRHUS
Je dirois trop peut être en disant qu'elle m'aime,
Mais au moins si le sort ne m'avoit point trahi
Je pourrois me flatter de n'être pas haï.
Dans l'un de nos combats pris par Hector son frère,
Je la vis, et la voir, fut aimer à lui plaire,
Puisqu'en moi sa beauté fit dés le premier jour
D'un Prisonnier de guerre, un prisonnier d'amour.
Vers elle en un moment, tous mes vœux se tournèrent,
Mes timides regards d'abord s'en expliquèrent,
Et le trouble des siens avec soin consulté
Ne me fit que trop voir que j'étois écouté.
De ces muets témoins de mes flammes secrètes
Cent soupirs échappés furent les interprètes,
Tout leur fut favorable, et soit qu'à tant d'ardeur
De la belle Princesse on crut devoir le cœur,
Soit que par mon hymen on se fît une joie
De pouvoir prévenir les disgrâces de Troie,
Priam dont sans rançon j'obtins ma liberté
Me permit tout l'espoir dont je m'étois flatté.
Charmé de ce succès je viens trouver Achille.
Quel revers ! mon espoir fut un bien inutile.
Achille en ce moment tout saisi de fureur
Ne parloit que de sang, ne méditoit qu'horreur ;
Patrocle avoit péri. Dans son impatience
Troie entière étoit due à sa juste vengeance.
Hector fut le premier qu'il jura d'immoler,
J'adorois Polixène, et je n'osai parler.
Les effets ont rempli cette funeste envie,
C'est peu qu'Achillle ait vu tomber Hector sans vie,
Trois fois, pour assouvir ses furieux transports,
Autour des murs de Troie il a traîné son corps,
Et si sa haine en vous n'eut point trouvé d'obstacles,
Peut être eussions-nous vu de plus sanglants spectacles.
L'étouffant pour vous plaire il a par mille honneurs
De ses emportements réparé les rigueurs,
Et si bien modéré son humeur violente,
Qu'à Priam depuis hier il a cédé sa tente.
C'est de là qu'à toute heure il rend ce roi témoin
Que satisfaire Hector est son unique soin,
Un vain tombeau dressé pour apaiser son ombre
De ces honneurs rendus vient d'augmenter le nombre.
Et pour un ennemi, jamais tant d'amitié
D'un vainqueur adouci ne fit voir la pitié.

BRISEIS
Vous aurez pris ce temps pour revoir Polixène ?

PYRRHUS
Je l'ai vue, et n'ai pu lui parler de ma peine,
Ses pleurs qui pour Hector coulent presque toujours
Des larmes de la Reine accompagnent le cours ;
Mais de ses tristes yeux la langueur, quoique extrême,
A semblé m'assurer qu'elle est encor la même,
Et malgré sa douleur j'ai vu je ne sais quoi
Qui forçoit ses regards à s'expliquer pour moi.

BRISEIS
Prince, s'il est ainsi, je n'ai plus rien à dire,
Achille sur ses vœux m'a donné plein empire,
Et pourvu que Priam réponde à nos souhaits,
Je vais sur l'heure agir, soyez sûr de la paix.
Mon cœur comme le vôtre est tout à Polixène,
Et si… Mais quel sujet de nouveau me l'amène ?

PYRRHUS
Madame, en ma faveur daignez lui protester…

BRISEIS
Voyez qu'elle s'avance, il la faut écouter.


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