(Briseis, Pyrrhus, Polixène, Antilochus, Ilione, Phénice.)
POLIXÈNE
Ne vous étonnez point si dans notre infortune
J'ose encor me résoudre à vous être importune.
Il est, vous le savez, d'un cœur grand, généreux,
De se faire toujours l'appui des malheureux,
Et ce que vos bontés m'ont obtenu d'Achille,
M'ayant fait voir qu'en vous la vertu trouve asile,
Je viens offrir, Madame, à ces mêmes bontés
De quoi remplir l'éclat du sang dont vous sortez.
Assez et trop longtemps une funeste guerre
Par ses vastes horreurs désole cette terre.
Assez le vieux Priam a vu ses cheveux gris
Dans ses derniers baisers teints du sang de ses fils.
À force de combats Troie en est épuisée,
Il n'est mère à gémir qui ne soit exposée ;
Chacun plaint sa disgrâce, et dans nos longs revers
Ces lugubres habits montrent ce que je perds.
Dix frères au tombeau m'ont demandé des larmes,
Ce sont de ma douleur les ordinaires charmes ;
J'ai pleuré Lycaon, Antiphone, Mestor,
Troile ; je me tais du malheureux Hector,
Il doit être apaisé par l'honneur qu'à sa cendre
Aux pieds de nos remparts son vainqueur vient de rendre ;
Nos yeux de cette pompe ont été les témoins,
L'éclat m'en surprend peu, c'est l'effet de vos soins.
Mais en vain ces honneurs souffrent que je respire,
La fin m'en fait trembler, demain la trêve expire,
Et pour peu que la guerre ait encor à durer
J'aurai bientôt Hécube et Priam à pleurer.
Ils ne survivront point à la perte de Troie,
Au fer, au feu déjà je la crois voir en proie,
Hector étant sans vie elle n'a plus d'appui,
Lui seul en faisoit l'âme, elle étoit toute en lui,
Rien ne peut réparer une perte si grande,
Tout périt sans la paix, et je vous la demande.
Voyez pour l'obtenir et d'Achille et de vous
La fille de Priam tomber à vos genoux,
Voyez-là pour un père…
BRISEIS
Ah, c'en est trop, Princesse,
Une tendre pitié dans vos maux m'intéresse,
Et je les envisage avecque tant d'effroi,
Qu'en travaillant pour vous, je crois agir pour moi.
Vous demandez la paix, j'y vais porter Achille,
Mais pour ne rendre pas ce projet inutile,
Priam se répond-il que l'injuste Pâris
Veuille céder l'objet dont son cœur est épris ?
Point de salut pour Troie à moins de rendre Hélène.
POLIXÈNE
Pâris a trop d'amour pour la céder sans peine ;
Mais après ce qu'à Troie ont coûté nos combats,
L'intérêt de Pâris ne l'emportera pas.
Si pour lui cette Hélène a toujours mêmes charmes,
C'est peu pour tant de sang qu'il verse quelques larmes,
Et de son désespoir nous craignons peu l'éclat,
Quand son malheur importe au salut de l'État.
BRISEIS
Cet obstacle levé, réglez la paix vous même,
Elle dépend de vous.
POLIXÈNE
De moi ?
BRISEIS
Pyrrhus vous aime,
Agréez son hymen, la guerre est sans retour.
PYRRHUS
Ah, Princesse, auriez-vous oublié mon amour,
Cet amour dont mon âme heureusement charmée…
POLIXÈNE
Non, Prince, il me souvient que vous m'avez aimée,
Et qu'il m'eut été doux, si le Ciel l'eut permis,
Que l'hymen nous eut fait cesser d'être ennemis.
Le Roi Priam mon père approuva votre flamme,
Je vous dois cet aveu. Souffrez-le moi, Madame,
Un feu de qui la gloire a seule été l'appui
Peut sans honte à vos yeux se déclarer pour lui.
Oui, Prince, de Priam votre amour eut l'estime,
L'espoir qui l'alluma lui parut légitime,
Et l'ordre qui m'en fit autoriser l'ardeur
N'eut rien qui fut contraire au penchant de mon cœur.
De vos soins, de vos vœux j'aimai le tendre hommage,
Mais quand je me souviens de ce triste avantage,
Il me souvient aussi, malgré vos vœux reçus,
Qu'Achille est votre père, et qu'Hector ne vit plus.
PYRRHUS
Quoi, vous trouvez pour moi du crime en ma naissance ?
(À Briseis.)
Ah, Madame, de grâce embrassez ma défense,
Soutenez un amour qui n'a jamais songé…
POLIXÈNE
C'est le même, il est vrai, mais les temps ont changé.
BRISEIS
Un scrupule pareil n'a rien qui m'inquiète,
Vous trouvez dans le Prince une vertu parfaite,
Et qui pour lui d'un père aima d'abord le choix,
Voudra bien obéir une seconde fois.
Comme Ulysse m'écoute, et peut nous être utile,
Je vais l'entretenir avant que voir Achille.
Princesse, espérez-en les plus heureux effets.
POLIXÈNE
Madame, tous mes vœux se bornent à la paix.
Sauvez Troie, il suffit de ce seul avantage,
Ou si de cette paix on veut ma foi pour gage,
Si mon hymen en peut être le seul lien,
Faites-le proposer sans que j'en sache rien,
C'est tout ce qu'à mon cœur ma gloire peut permettre.
BRISEIS
Pour elle de mes soins il doit tout se promettre.
Vous saurez si pour vous j'aurai perdu mes pas.
PYRRHUS
Allez, parlez, Madame, et ne m'oubliez pas.
Pour obtenir qu'Achille à mes vœux soit propice,
De mon timide espoir peignez-lui le supplice.
Par tout ce que vos feux ont pour lui de plus doux,
Priez, pressez.
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