ACTE QUATRIÈME



Le salon des WANGEL. Porte à droite, porte à gauche. Au fond, entre les deux fenêtres, une porte vitrée ouverte, conduisant à la véranda. Au bas de celle-ci, on aperçoit une partie du jardin. Au premier plan, à gauche, un sofa et une table. À droite, un piano. Un peu plus au fond, une grande corbeille de fleurs. Au milieu de la pièce, une table ronde et deux chaises. Sur la table, un rosier en fleur, entouré d'autres pots de fleurs. Fin de matinée.
BOLETTE est assise sur le sofa, à gauche. Elle fait de la broderie. Sur une chaise, de l'autre côté de la table, vers le fond, LYNGSTRAND. En bas, dans le jardin, BALLESTED peint. A côté de lui, HILDE le regarde.

LYNGSTRAND (accoudé à la table, regarde un instant en silence BOLETTE travailler)
Cela doit être difficile à broder, cette bande, mademoiselle Wangel. BOLETTE. — Non, pas trop. Si l'on s'applique à bien compter.

LYNGSTRAND
Compter ? Vous devez compter aussi ?

BOLETTE
Oui, les points. Regardez.

LYNGSTRAND
C'est juste ! Mais c'est presque de l'art, cela ! Vous savez dessiner aussi ?

BOLETTE
Oh oui ! Si j'ai un modèle.

LYNGSTRAND
Pas sans cela ?

BOLETTE
Non, pas sans cela.

LYNGSTRAND
Alors, ce n'est pas vraiment de l'art.

BOLETTE
Non, il ne s'agit que d'un peu d'habileté.

LYNGSTRAND
Mais je crois que vous pourriez apprendre un art.

BOLETTE
Même sans talent ?

LYNGSTRAND
Mais oui, en compagnie d'un véritable artiste.

BOLETTE
Vous croyez qu'il m'enseignerait son art ?

LYNGSTRAND
Pas au sens ordinaire du mot. Mais vous arriveriez peu à peu à le refléter. Cela tient du prodige, mademoiselle Wangel.

BOLETTE
C'est étrange, en effet.

LYNGSTRAND (après un court silence)
Avez-vous jamais réfléchi au mariage, mademoiselle ? Là, bien sérieusement ?

BOLETTE (le regardant un moment)
Moi ?… Non.

LYNGSTRAND
J'y ai réfléchi, moi.

BOLETTE
Ah ? Vraiment ?

LYNGSTRAND
Mais oui, je réfléchis beaucoup à ces choses-là. Surtout au mariage. Et puis j'ai beaucoup lu sur le sujet. Je crois que, dans le mariage aussi, il se passe un prodige. Il est prodigieux, en effet, que la femme puisse se transformer, jusqu'à finir par ressembler à son mari.

BOLETTE
Jusqu'à s'intéresser aux mêmes objets que lui, voulez-vous dire ?

LYNGSTRAND
Oui.

BOLETTE
Cependant, les dispositions innées, les facultés, les talents… LYNGSTRAND. — Hem ! Je me demande si, même sous ce rapport…

BOLETTE
Vous finirez par soutenir qu'un homme peut transmettre à sa femme tout ce qu'il a appris ou pensé.

LYNGSTRAND
Pourquoi pas ? Peu à peu. Comme par miracle. Mais, j'en conviens, cela ne peut se réaliser que dans les ménages très unis, parfaitement heureux.

BOLETTE
N'avez-vous jamais pensé qu'un homme puisse, de même, subir la contagion de sa femme ? Devenir semblable à elle ?

LYNGSTRAND
Un homme ? Non ! je ne me représente pas cela.

BOLETTE
Pourquoi pas un homme aussi bien qu'une femme ?

LYNGSTRAND
Parce qu'un homme a une vocation. C'est elle qui constitue sa force, sa puissance. Oui, mademoiselle Wangel, l'homme a une vocation.

BOLETTE
Chaque homme ?

LYNGSTRAND
Oh ! non. Je songe surtout aux artistes.

BOLETTE
Trouvez-vous qu'un artiste fasse bien de se marier ?

LYNGSTRAND
Oui, s'il aime vraiment.

BOLETTE
N'importe. A mon avis, il ne devrait vivre que pour son art.

LYNGSTRAND
Certainement. Mais il peut continuer à le faire même après le mariage.

BOLETTE
Eh bien ! et sa femme ?

LYNGSTRAND
Que voulez-vous dire ?

BOLETTE
Oui, sa femme ? S'il vit pour son art, pour quoi vivra-t-elle ?

LYNGSTRAND
Pour l'art de son mari. Je ne puis pas me figurer de plus grand bonheur pour une femme.

BOLETTE
Hem ! C'est une question…

LYNGSTRAND
Soyez-en persuadée, mademoiselle. Il ne s'agit pas seulement de l'honneur et de la considération qui rejailliront sur elle. C'est secondaire, je le veux bien. Mais l'aider dans son œuvre, lui faciliter le travail en veillant sur lui, en le soignant, en le dorlotant, en lui rendant la vie douce, quelle joie pour une femme !

BOLETTE
Oh ! vous ne savez pas combien vous êtes égoïste !

LYNGSTRAND
Egoïste ! moi ! Comme on voit que vous ne me connaissez pas ! (Se penchant vers elle.)
Mademoiselle Wangel, quand je ne serai plus là, et je n'en ai pas pour longtemps…

BOLETTE (le regardant avec compassion)
Chassez donc ces tristes pensées.

LYNGSTRAND
Mais… il n'y a là rien de bien triste.

BOLETTE
Comment ?…

LYNGSTRAND
Mais oui : je m'en vais dans un mois. Je vous dis adieu. Puis je pars pour le Midi.

BOLETTE
Ah ! très bien.

LYNGSTRAND
Quand je ne serai plus là, penserez-vous quelquefois à moi, mademoiselle ?

BOLETTE
Certainement.

LYNGSTRAND (joyeusement)
Vous me le promettez ?

BOLETTE
Je vous le promets.

LYNGSTRAND
Vous me le jurez, mademoiselle Bolette ?

BOLETTE
Je vous le jure. (Changeant de ton.)
Mais à quoi bon tout cela ? Qu'est-ce qui vous en reviendra ?

LYNGSTRAND
Qu'est-ce qui m'en reviendra, dites-vous ? La joie de vous savoir ici, dans votre coin, occupée de moi en pensée.

BOLETTE
Et après ?

LYNGSTRAND
Après ? Je ne sais pas…

BOLETTE
Ni moi non plus. Il y a tant d'obstacles. Tout un monde !… LYNGSTRAND. — Oh ! il peut arriver un miracle. Un coup du sort, que sais-je ? Je crois en mon étoile.

BOLETTE (vivement)
Vous avez raison ! Il faut y croire !

LYNGSTRAND
Oh ! j'y crois absolument. Et alors dans quelques années, quand je serai devenu un sculpteur célèbre, et que je reviendrai, dans tout l'éclat de la gloire et de la santé…

BOLETTE
Oui, oui. Espérons qu'il en sera ainsi.

LYNGSTRAND
Vous pouvez en être sûre. Pourvu que vous me conserviez une pensée tendre et fidèle… Et vous me l'avez juré ?

BOLETTE
Oui. (Hochant la tête.)
Et pourtant cela ne peut aboutir à rien. LYNGSTRAND. -Eh ! mademoiselle Bolette, cela aboutira tout au moins à me faciliter mon œuvre, à en hâter l'éclosion.

BOLETTE
Vous croyez ?

LYNGSTRAND
Oui, j'en ai le sentiment très profond. Et il me semble que cela devrait vous stimuler vous-même de savoir que, de votre coin reculé, vous contribuez, jusqu'à un certain point, à ma création artistique.

BOLETTE (le regardant)
Eh bien ! et vous, de votre côté?

LYNGSTRAND
Moi ?

BOLETTE (regardant du côté du jardin)
Chut ! Parlons d'autre chose. Voici le professeur.
(ARNHOLM paraît dans le jardin, à gauche. Il s'arrête et parle à BALLESTED et à HILDE.)

LYNGSTRAND
Vous aimez votre ancien professeur, mademoiselle Bolette?

BOLETTE
Si je l'aime ?

LYNGSTRAND
Je vous demande si vous avez de l'affection pour lui ? BOLETTE. — Mais oui. C'est un excellent ami, de bon conseil et toujours prêt à rendre service.

LYNGSTRAND
N'est-ce pas étonnant que, dans ces conditions, il ne soit pas marié ?

BOLETTE
Cela vous étonne ?

LYNGSTRAND
Mais oui. On dit qu'il a de la fortune.

BOLETTE
On le dit. Et pourtant il lui est plus difficile qu'à un autre de trouver une jeune fille qui veuille l'épouser.

LYNGSTRAND
Pourquoi cela ?

BOLETTE
Il a donné des leçons, dit-il lui-même, à presque toutes les jeunes filles de sa connaissance.

LYNGSTRAND
Qu'est-ce que cela fait ?

BOLETTE
On n'épouse pas son professeur.

LYNGSTRAND
Vous ne croyez donc pas qu'une jeune fille puisse être amoureuse de son professeur ?

BOLETTE
Une fois qu'elle est devenue adulte, non.

LYNGSTRAND
Vraiment ? Vous m'étonnez.

BOLETTE (doucement, le menaçant du doigt)
Allons, allons !
(BALLESTED a, pendant ce temps, rassemblé ses objets de peinture. Il les emporte et disparaît à droite. HILDE l'aide et s'en va du même côté. ARNHOLM monte jusqu'à la véranda et entre au salon.)

ARNHOLM
Bonjour, ma chère Bolette. Bonjour, monsieur — monsieur… hem !(Il regarde LYNGSTRAND d'un air mécontent et le salue d'un signe de tête très sec. LYNGSTRAND se lève et salue.)
BOLETTE se lève également et s'avance vers ARNHOLM. — Bonjour, monsieur le professeur.

ARNHOLM
Comment cela va-t-il ce matin ?

BOLETTE
Très bien, merci.

ARNHOLM
Votre belle-mère prend son bain, comme d'habitude ?

BOLETTE
Non, elle est dans sa chambre.

ARNHOLM
Serait-elle souffrante ?

BOLETTE
Je ne sais pas… Elle s'est enfermée.

ARNHOLM
Hem. Vraiment ?

LYNGSTRAND
L'arrivée de cet Américain semble avoir vivement impressionné Mme Wangel.

ARNHOLM
Qu'en savez-vous ?

LYNGSTRAND
Je l'ai vu à son attitude, quand je lui ai dit que je venais de rencontrer cet homme en chair et en os, tout près de son jardin.

ARNHOLM
Ah ?

BOLETTE (à ARNHOLM)
Vous êtes resté longtemps chez mon père hier soir.

ARNHOLM
Oui, assez longtemps. Nous avons eu un entretien sérieux. BOLETTE. — Avez-vous eu l'occasion de l'entretenir un peu de moi et de ce qui me concerne ?

ARNHOLM
Non, chère Bolette. Je n'ai pu lui en parler, il était trop préoccupé d'autre chose.

BOLETTE (soupirant)
Oh ! il l'est toujours.

ARNHOLM (avec un regard significatif)
Mais nous en causerons à fond dans le courant de la journée. Où est votre père ? Il est sorti ?

BOLETTE
Non. Il doit être dans son cabinet. Je vais le chercher.

ARNHOLM
Merci. N'en faites rien. Je préfère aller le trouver moi-même.

BOLETTE (tendant l'oreille à gauche)
Attendez un peu. Je crois que je l'entends descendre. Oui. Il vient, sans doute, de chez elle.
(WANGEL entre par la porte de gauche.)

WANGEL (tendant la main à ARNHOLM)
Comment, cher ami, vous ici, à cette heure ? C'est gentil à vous. J'ai justement à vous parler.

BOLETTE (à LYNGSTRAND)
Voulez-vous que nous rejoignions Hilde au jardin ?

LYNGSTRAND
Bien volontiers, mademoiselle.
(BOLETTE et LYNGSTRAND descendent au jardin et se dirigent vers le bouquet d'arbres du fond.)

ARNHOLM (qui les a suivis des yeux, se retournant vers WANGEL)
Vous connaissez bien ce jeune homme ?

WANGEL
Je le connais à peine.

ARNHOLM
Ne le trouvez-vous pas bien familier avec vos filles ?

WANGEL
Vraiment ? Je ne m'en étais pas aperçu.

ARNHOLM
Il faudrait y faire attention.

WANGEL
Certainement. Vous avez raison. Mais qu'y puis-je, mon ami ? Les petites sont si accoutumées maintenant à n'en faire qu'à leur tête. Elles ne se laissent conduire ni par moi ni par Ellida.

ARNHOLM
Pas même par votre femme ?

WANGEL
Non. D'ailleurs, je ne puis exiger qu'elle s'occupe des enfants. Ce n'est pas fait pour elle. (S'interrompant.)
Mais ce n'est pas de cela que nous avons à causer. Dites-moi, avez-vous réfléchi à tout ce que je vous ai dit ?

ARNHOLM
Je n'ai pensé qu'à cela depuis que nous nous sommes quittés.

WANGEL
Et que croyez-vous qu'il me reste à faire ?

ARNHOLM
Mon cher docteur, en qualité de médecin, vous devez, je crois, le savoir mieux que moi.

WANGEL
Oh ! si vous saviez combien il est difficile à un médecin de bien juger le cas d'un malade auquel il tient par tous les liens de la plus tendre affection ! Et notez qu'il ne s'agit pas ici d'une maladie ordinaire. Et ce n'est pas un médecin ordinaire qui pourrait y remédier, ni des moyens ordinaires qu'il faudrait employer.

ARNHOLM
Comment va-t-elle ce matin ?

WANGEL
Je viens de chez elle. Elle paraissait tout à fait calme. Mais, quel que soit son état, il y a toujours en elle un mystère que je ne parviens pas à saisir. Elle est, en outre, si inégale, si déconcertante, si sujette à se transformer d'un instant à l'autre.

ARNHOLM
Cela tient, sans doute, à son état général.

WANGEL
Pas seulement. À proprement parler, c'est inné. Ellida est de la race des gens de mer. C'est tout dire.

ARNHOLM
Comment l'entendez-vous, cher docteur ?

WANGEL
N'avez-vous jamais remarqué que les gens de là-bas, des bords de l'océan, forment, en quelque sorte, une race à part ? C'est comme si leur vie tenait à celle de la mer. Il y a des flux… des marées… dans leurs pensées et dans leurs sensations. Et ils ne s'acclimatent nulle part. Ah ! j'aurais dû y songer ! Ce fut un vrai crime envers Ellida que de l'enlever à son élément pour l'amener ici.

ARNHOLM
Vous en êtes convaincu désormais ?

WANGEL
De plus en plus. Mais j'aurais dû me le dire plus tôt. Au fond, je le savais. Mais je ne voulais pas me l'avouer. Je l'aimais tant, voyez-vous ! Et je ne pensais qu'à moi-même. J'étais égoïste !

ARNHOLM
Mon Dieu ! qui n'eût pas été un peu égoïste à votre place ? D'ailleurs, c'est là un défaut que je ne vous ai jamais connu, cher docteur.

WANGEL (allant et venant, inquiet)
Oh si ! j'ai été égoïste alors et plus tard. J'ai tant d'années de plus qu'elle ! J'aurais dû être un père, un guide pour elle. J'aurais dû faire de mon mieux pour développer son esprit, éclaircir ses idées. Hélas ! je n'en ai rien fait. J'ai manqué d'énergie, voyez-vous ! Je préférais la conserver telle qu'elle était. Les choses allèrent de mal en pis. Je ne savais plus que faire. (Plus bas.)
C'est dans cette cruelle perplexité que je vous écrivis, que je vous invitai à venir nous voir.

ARNHOLM (le regardant avec surprise)
Comment ? C'est pour cela que vous m'avez écrit ?

WANGEL
Oui, mais faites semblant de l'ignorer.

ARNHOLM
Mais, en vérité, cher docteur, qu'attendiez-vous de moi ? Je n'y comprends rien.

WANGEL
Cela ne m'étonne pas. J'étais sur une fausse piste. Je croyais que le cœur d'Ellida avait battu pour vous. Et que toute trace de ce sentiment n'avait pas encore disparu. Vous causeriez ensemble de l'ancien temps, de son ancien foyer. Cela lui ferait du bien, me disais-je.

ARNHOLM
Ainsi, quand vous m'écriviez en termes énigmatiques qu'on m'attendait ici, que peut-être on soupirait après moi, c'est de votre femme qu'il s'agissait ?

WANGEL
Oui. À qui avez-vous donc pensé ?

ARNHOLM (brusquement)
Non, non. Seulement, je n'ai pas compris.

WANGEL
Encore une fois, cela ne m'étonne pas. J'étais sur une fausse piste.

ARNHOLM
Et vous dites que vous êtes égoïste !

WANGEL
C'est que j'avais une si grande faute à réparer. Avais-je le droit de négliger quoi que ce fût qui pût la soulager un peu ?

ARNHOLM
Comment expliquez-vous le pouvoir que cet homme exerce sur elle ?

WANGEL
Hem, cher ami. Nous sommes là, je le crains, dans le domaine de l'inexplicable.

ARNHOLM
Quelque chose qui en soi est inexplicable ? Absolument inexplicable ?

WANGEL
Oui, c'est inexplicable, tout au moins jusqu'à nouvel ordre.

ARNHOLM
Vous croyez à ces choses-là ?

WANGEL
Je ne dis ni oui ni non. J'ignore, voilà tout. C'est pourquoi j'élude la question.

ARNHOLM
Oui, mais… je pense à une chose. Ce qu'elle dit des yeux de l'enfant, cette affirmation si étrange, si inquiétante…

WANGEL (vivement)
Quant à cela, je n'y crois pas ! Je ne veux pas y croire ! C'est de la pure fantaisie. Rien de plus.

ARNHOLM
Avez-vous observé les yeux de cet homme, hier?

WANGEL
Certainement.

ARNHOLM
Et vous n'avez pas trouvé de ressemblance ?

WANGEL (embarrassé)
Hem ! Mon Dieu, je ne sais que vous dire. Il faisait déjà un peu sombre. Et puis Ellida m'avait tant parlé de cette ressemblance. J'étais peut-être sous l'influence de ses propos.

ARNHOLM
Non, non, c'est possible. Mais cet autre mystère, cette angoisse qu'elle commença à éprouver précisément à l'époque où l'homme prétend avoir fait voile vers la Norvège ?

WANGEL
Encore quelque chose qu'elle aura rêvé, que sa fantaisie aura brodé avant-hier. Cette angoisse n'est pas née tout à coup, comme elle le prétend. C'est seulement depuis le récit de Lyngstrand qu'elle rapporte ses premiers troubles à l'époque où ce jeune homme aurait rencontré Johnston ou Friman — peu importe son nom — rentrant en Norvège. Cela se serait passé en mars, il y a trois ans.

ARNHOLM
D'après vous, ce ne serait qu'une illusion ?

WANGEL
Oui. Les premiers symptômes remontent à une époque bien antérieure. Ce qui est exact, c'est que par hasard, il y a trois ans, ils ont abouti à une crise assez violente.

ARNHOLM
Tout de même… !

WANGEL
Oui, mais cela s'explique simplement par l'état où elle se trouvait à ce moment-là.

ARNHOLM
Ainsi, un signe et son contraire.

WANGEL (se tordant les mains)
Et dire que je ne puis rien pour elle ! Je ne sais que faire ! Je ne vois aucun moyen !…

ARNHOLM
Si vous vous décidiez à changer de résidence ? À aller demeurer ailleurs ? À vivre dans des conditions plus appropriées à sa nature ?

WANGEL
Croyez-vous, mon ami, que je ne le lui ai pas offert ? Je lui ai proposé de nous établir à Skjoldviken. Mais elle ne veut pas.

ARNHOLM
Non plus ?

WANGEL
Non. Elle prétend que cela ne servirait à rien. Elle a peut-être raison.

ARNHOLM
Hem. Vous croyez ?

WANGEL
Oui. Et puis, quand j'y pense, je ne sais, à vrai dire, comment exécuter ce projet. En ai-je bien le droit, comme père ? Ne faut-il pas que nous habitions quelque part où mes filles aient, tout au moins, quelque chance de se marier ?

ARNHOLM
Se marier ? Vous y songez déjà ?

WANGEL
Eh ! mon ami, il le faut bien ! Oui, mais, d'autre part, je dois penser à ma pauvre Ellida ! Ah ! mon cher Arnholm, on peut dire que je suis entre l'enclume et le marteau !

ARNHOLM
Peut-être n'avez-vous pas tant que cela à vous préoccuper de l'avenir de Bolette.(S'interrompant.)
Je voudrais bien savoir où elle, où ils sont allés ?
(Il va vers la porte ouverte et regarde dehors.)

WANGEL (près du piano)
Oh ! je suis prêt à n'importe quel sacrifice pour ces trois êtres. Si seulement je savais quoi !
(ELLIDA entre par la porte de gauche.)

ELLIDA (vivement, à WANGEL)
Je t'en prie, ne sors pas ce matin !

WANGEL
Non, non. Certainement. Je resterai près de toi. (Indiquant ARNHOLM, qui se rapproche.)
Tu ne dis pas bonjour à notre ami ?

ELLIDA (se retournant)
Ah ! c'est vous, monsieur Arnholm ? Bonjour.

ARNHOLM
Bonjour, madame. Vous n'avez donc pas pris votre bain ce matin, comme d'habitude ?

ELLIDA
Non, non, non ! Pas aujourd'hui ! Mais asseyez-vous donc un moment…

ARNHOLM
Non, merci. (Avec un coup d'œil à WANGEL.)
J'ai promis aux filles d'aller les rejoindre au jardin.

ELLIDA
Êtes-vous sûr de les y trouver ? Je ne sais jamais où elles sont.

WANGEL
Oh ! elles doivent être au bord de l'étang.

ARNHOLM
Soyez tranquille ! Je saurai les retrouver.
(Il salue d'un signe de tête et prend par la véranda pour descendre au jardin, à droite.)

ELLIDA
Quelle heure est-il, Wangel ?

WANGEL (regardant sa montre)
Il est un peu plus de onze heures.

ELLIDA
Un peu plus de… Et c'est cette nuit, entre onze heures et minuit, que vient le bateau. Ah ! si c'était fini!

WANGEL (se rapprochant d'elle)
Chère Ellida, je voudrais te demander…

ELLIDA
Quoi ?

WANGEL
Hier soir, au Belvédère, tu me disais que, depuis trois ans, il t'arrivait souvent de le voir bien nettement devant toi.

ELLIDA
Oui. C'est vrai.

WANGEL
Sous quel aspect t'apparaissait-il ?

ELLIDA
Sous quel aspect ?

WANGEL
Oui, quelle apparence avait-il au moment où tu croyais l'apercevoir ?

ELLIDA
Mais, mon cher Wangel, tu l'as vu, tu connais son visage.

WANGEL
Et c'est bien ainsi qu'il se montrait à ton imagination ?

ELLIDA
Oui.

WANGEL
Tel que tu l'as vu hier soir ?

ELLIDA
Exactement.

WANGEL
Comment se fait-il alors que tu ne l'aies pas reconnu tout de suite ? ELLIDA, (surprise. —)
Ne l'ai-je pas reconnu ?

WANGEL
Non. Tu m'as dit qu'au premier moment tu ne savais pas qui était cet étranger.

ELLIDA (frappée)
Tiens ! c'est vrai. Je crois que tu as raison ! N'est-ce pas étrange, Wangel ? Dire que je ne l'ai pas reconnu tout de suite !

WANGEL
Tu ne l'as fait, m'as-tu dit, qu'en apercevant ses yeux.

ELLIDA
Ses yeux, oui ! ses yeux !

WANGEL
Maintenant, tu m'as dit là-haut, au Belvédère, que tu le revoyais toujours tel qu'il était au moment des adieux. Il y a dix ans.

ELLIDA
J'ai dit cela ?

WANGEL
Oui.

ELLIDA
C'est que, sans doute, il n'a pas changé depuis lors.

WANGEL
Si. Tu m'en as fait un portrait tout différent l'autre soir, en rentrant. Il y a dix ans, il n'avait pas de barbe. Il était autrement vêtu. Et cette épingle à perle ? Il ne l'avait pas sur lui hier.

ELLIDA
Non, il ne l'avait pas sur lui.

WANGEL (la scrutant du regard)
Tâche de te souvenir, chère Ellida… Ou bien serait-ce impossible ? Ne te rappellerais-tu plus le visage de cet homme quand vous vous êtes séparés à la pointe de Bratthammerren ? ELLIDA réfléchit un instant, les yeux fermés. — Pas bien distinctement. Non, aujourd'hui, je ne peux pas. N'est-ce pas étrange ?

WANGEL
Moins que tu ne le crois. Tu as eu une nouvelle impression. La réalité d'hier efface l'ancienne, qui disparaît.

ELLIDA
Tu crois cela, Wangel ?

WANGEL
Et avec elle disparaissent tes fantaisies morbides. Il est donc bon que la réalité soit venue dissiper les rêves.

ELLIDA
Comment ! Cela est bon, dis-tu !

WANGEL
Oui. Nous tenons peut-être le remède.

ELLIDA (s'asseyant sur le sofa)
Viens t'asseoir là, Wangel. Je veux te dire tout ce que je pense.

WANGEL
Je t'écoute, chère Ellida.
(Il s'assied sur une chaise, de l'autre côté de la table.)

ELLIDA
C'est un grand malheur pour nous deux que nous nous soyons rencontrés.

WANGEL (avec un haut-le-corps)
Que dis-tu là !

ELLIDA
C'est vrai. Et c'est bien naturel. À quoi pouvait-on s'attendre, dans de telles conditions ?

WANGEL
De quelles conditions parles-tu ?

ELLIDA
Écoute, Wangel, il est inutile, à l'heure qu'il est, de nous mentir.

WANGEL
Nous nous sommes donc menti, jusqu'à présent ?

ELLIDA
Oui. Ou, du moins, nous nous sommes dissimulé la vérité. La vérité, la vérité pure et sans fard, c'est que tu es venu là-bas m'acheter…

WANGEL
T'acheter ! Tu dis que je t'ai… achetée !

ELLIDA
Oh ! je ne me fais pas meilleure que toi. J'ai consenti. Je me suis vendue.

WANGEL (la regardant douloureusement)
Ellida, as-tu vraiment le cœur de parler ainsi ?

ELLIDA
De quel nom veux-tu donc que j'appelle ce qui s'est passé ? La solitude te pesait, tu as cherché une autre femme.

WANGEL
J'ai cherché une seconde mère pour les enfants, Ellida.

ELLIDA
Oui, par surcroît. Peut-être. Et, encore, tu ne pouvais pas savoir si je convenais à ce rôle. Tu m'avais vue. Tu m'avais parlé deux ou trois fois. C'est tout. Je te plaisais, et alors…

WANGEL
Bien, appelle cela comme tu voudras.

ELLIDA
De mon côté j'étais seule, sans ressources, sans soutien. Rien d'étonnant à ce que j'aie accepté l'offre que tu m'as faite d'assurer mon avenir.

WANGEL
Ce n'est vraiment pas ainsi que j'ai envisagé la question, chère Ellida. Il ne s'agissait pas d'assurer ton avenir, il s'agissait, je te l'ai loyalement déclaré, de partager avec les enfants et moi le peu que je possède.

ELLIDA
Oui, tu me l'as déclaré. Et moi, j'aurais dû dire non ! Jamais, à aucun prix, je n'aurais dû me vendre ! Plutôt le travail le plus humble, les conditions les plus misérables, librement acceptées, librement choisies !

WANGEL (se levant)
Ainsi, les cinq à six ans que nous avons vécus ensemble ne comptent pas pour toi ?

ELLIDA
Oh ! non, Wangel, ce n'est pas ce que je veux dire ! Tu m'as fait l'existence la plus douce qu'on puisse imaginer. N'empêche qu'en venant chez toi je n'ai pas agi librement. Tout est là.

WANGEL (la regardant)
Tu n'as pas agi librement, dis-tu ?

ELLIDA
Non. Je n'ai pas agi librement, je le répète.

WANGEL (d'une voix étouffée)
Ah ! j'y suis, la formule d'hier…

ELLIDA
Cette formule dit tout. Elle m'a ouvert les yeux. Et je vois les choses telles qu'elles sont.

WANGEL
Que vois-tu ?

ELLIDA
Je vois la vie que nous vivons ensemble : une telle union n'est pas un mariage.

WANGEL (amèrement)
En cela, tu as raison. Si tu parles de la vie que nous menons aujourd'hui. Non, en effet, une union de cette espèce n'est pas un mariage.

ELLIDA
Je parle de la vie que nous avons toujours vécue. Notre union n'a jamais été un mariage. Dès le premier jour. (Le regard perdu devant elle.)
L'autre… aurait pu l'être… dans toute sa plénitude, dans toute sa vérité.

WANGEL
L'autre ? De quelle autre parles-tu ?

ELLIDA
Je parle de mon union avec lui. WANGEL la regarde, étonné. — Je ne te comprends pas.

ELLIDA
Oh ! mon cher Wangel, cessons donc de nous mentir l'un à l'autre et de nous payer nous-mêmes de mensonges.

WANGEL
Continue. Où veux-tu en venir ?

ELLIDA
Vois-tu, nous aurons beau faire, nous n'arriverons pas à nous persuader qu'un engagement volontaire ait moins de valeur qu'un mariage en règle.

WANGEL
Ah ! c'est vraiment…

ELLIDA (se levant brusquement)
Laisse-moi partir, Wangel !

WANGEL
Ellida !… Ellida !…

ELLIDA
Oui, laisse-moi partir ! Crois-moi, si je restais ici, cela ne changerait rien, étant donné la façon dont nous avons été unis.

WANGEL (maîtrisant sa douleur)
Nous en sommes donc là.

ELLIDA
C'était inévitable.

WANGEL (la regardant avec accablement)
Ainsi, je n'ai jamais pu te conquérir. Je ne t'ai jamais entièrement possédée.

ELLIDA
Ah ! Wangel, si je pouvais t'aimer comme je le voudrais ! Avec toute la tendresse que tu mérites ! Mais je sens que je ne le pourrai jamais.

WANGEL
C'est donc le divorce ? C'est le divorce que tu veux ? Un divorce en règle ?

ELLIDA
Tu me comprends si mal, mon ami ! Je me soucie bien de la règle ! Ce n'est pas de formes qu'il s'agit ici. Ce que je veux, c'est que nous nous mettions d'accord pour rompre librement les liens qui nous unissent.

WANGEL (amèrement, avec un lent hochement de tête)
Oui, pour rompre le marché.

ELLIDA (vivement)
C'est cela ! Pour rompre le marché !

WANGEL
Et après, Ellida ? Oui, quand ce sera fait ? Où en serons-nous l'un et l'autre ? Comment la vie va-t-elle se dessiner pour chacun de nous ? As-tu pensé à cela ?

ELLIDA
Peu importe. Advienne que pourra. Le principal, Wangel, c'est ce que je te supplie de faire. Rends-moi ma liberté ! Ma pleine liberté !

WANGEL
C'est là, Ellida, une terrible exigence. Laisse-moi, du moins, le temps de prendre une résolution. Il faut que nous en parlions encore. Et il te faut à toi-même le temps de réfléchir avant de te décider.

ELLIDA
Mais nous n'avons pas le temps de réfléchir. J'ai besoin de ma liberté aujourd'hui même.

WANGEL
Aujourd'hui ? Pourquoi cela ?

ELLIDA
Mais… c'est cette nuit qu'il doit venir.

WANGEL (sursautant)
Qu'il doit venir ? Comment ? Qu'a-t-il à faire là-dedans, cet étranger ?

ELLIDA
Avant de le revoir, je veux être libre.

WANGEL
Et après ? Que comptes-tu faire ?

ELLIDA
Je ne veux pas m'abriter derrière le mariage, objecter que je n'ai pas de choix à faire. Ce ne serait pas là une décision.

WANGEL
Tu parles de choix, Ellida ! De choix ! Il y aurait là matière à choix !

ELLIDA
Oui, je dois avoir le choix. Le choix de le laisser partir seul, ou de le suivre.

WANGEL
Tu ne sais pas ce que tu dis. Le suivre ! Remettre tout ton sort entre ses mains !

ELLIDA
Je l'ai bien remis entre les tiennes ! Tout simplement. Un beau jour.

WANGEL
Fort bien. Mais songe un peu à ce qu'il est. Un étranger. Un inconnu.

ELLIDA
Eh ! toi aussi tu étais pour moi un inconnu. Peut-être encore plus inconnu que lui. Cela ne m'a pas empêchée de te suivre.

WANGEL
Du moins savais-tu à peu près l'existence qui t'attendait. Mais ici ! Ici ! Réfléchis un peu ! Tu ne sais rien, rien. Tu ne sais même pas qui il est, ni ce qu'il est.

ELLIDA (lentement, le regard perdu devant elle)
Tu as raison. C'est là l'épouvantable.

WANGEL
Oh ! oui, c'est épouvantable.

ELLIDA
Il me semble que j'ai ordre d'avancer.

WANGEL (la regardant)
Parce que cela t'épouvante ?

ELLIDA
Oui.

WANGEL (se rapprochant d'elle)
Dis-moi, Ellida, qu'appelles-tu l'épouvantable ? ELLIDA réfléchit un instant. — L'épouvantable, c'est ce qui effraie et attire.

WANGEL
Et attire ?

ELLIDA
Et attire… surtout.

WANGEL (lentement)
Tu es née de la mer.

ELLIDA
L'épouvantable aussi.

WANGEL
Et tu le portes en toi. Toi aussi, Ellida, tu effraies et attires à la fois.

ELLIDA
Tu trouves cela, Wangel ?

WANGEL
C'est vrai, je ne t'ai jamais bien connue, telle que tu es. Je commence à m'en rendre compte.

ELLIDA
Alors, rends-moi ma liberté ! Délie-moi de tout ce qui nous unit ! Je ne suis pas celle que tu croyais, tu le reconnais toi-même. Nous pouvons donc nous séparer en plein accord, et en toute liberté.

WANGEL (péniblement)
Cela vaudrait peut-être mieux pour nous deux. Et pourtant non ! Je ne peux pas ! Toi aussi, Ellida, dans l'épouvante que tu inspires, c'est l'attirance qui domine.

ELLIDA
Tu trouves ?

WANGEL
Quoi qu'il en soit, ne nous laissons pas égarer. Jusqu'à la fin du jour, gardons tout notre jugement. Je ne puis te libérer aujourd'hui. J'ai des devoirs envers toi. J'ai le devoir de te défendre. Et c'est aussi mon droit.

ELLIDA
Me défendre ? Contre quoi ? Rien ne me menace du dehors. L'épouvante, Wangel, vient d'ailleurs. Elle a une source plus profonde ! Ce qui est épouvantable dans la puissance qui m'attire, c'est qu'elle est en moi. Que peux-tu contre cela ?

WANGEL
Je puis te fortifier pour la lutte.

ELLIDA
Et si je ne veux pas lutter ?

WANGEL
Quoi ! tu ne voudrais pas ?…

ELLIDA
Je ne sais que te répondre.

WANGEL
Cette nuit, chère Ellida, tout sera résolu.

ELLIDA (avec explosion)
Oui ! Dans quelques heures, ma vie se décidera !

WANGEL
Et demain…

ELLIDA
Demain, mon véritable avenir sera peut-être détruit à jamais.

WANGEL
Ton véritable… ?

ELLIDA
Détruite la grande vie puissante et libre, détruite pour moi ! Et peut-être aussi pour (lui)
 !

WANGEL (plus bas, lui saisissant le poignet)
Ellida, as-tu de l'amour pour cet homme ?

ELLIDA
Est-ce que je sais ! Il est, pour moi, l'épouvante et…

WANGEL
Et… ?

ELLIDA (se dégageant brusquement)
et ma place, je crois, est auprès de lui.

WANGEL (baissant la tête)
Je commence à tout comprendre.

ELLIDA
Et que peux-tu contre cela ? Quel remède ?

WANGEL (avec un morne regard)
Demain… il sera parti. Le malheur sera écarté de ta tête. Et alors, je consentirai à te délier, à t'affranchir. Nous romprons le marché, Ellida.

ELLIDA
Ah ! Wangel, demain il sera trop tard !

WANGEL (regardant vers le jardin)
Les enfants ! Les enfants ! Ménageons-les, du moins, jusqu'à nouvel ordre.
(ARNHOLM, BOLETTE, HILDE et LYNGSTRAND apparaissent dans le jardin. LYNGSTRAND prend congé des autres et s'éloigne à gauche. ARNHOLM, BOLETTE et HILDE entrent au salon.)

ARNHOLM
Eh bien ! on peut dire que nous avons fait des projets.

HILDE
Ce soir, nous allons nous promener sur le fjord. Et après cela…

BOLETTE
Chut ! Ne dis rien !

WANGEL
Nous aussi, nous avons fait des projets.

ARNHOLM
Ah ! Vraiment ?

WANGEL
Demain, Ellida part pour Skjoldviken, où elle passera quelque temps.

BOLETTE
Elle part ?

ARNHOLM
Voilà qui est raisonnable, madame Wangel.

WANGEL
Ellida veut rentrer. Retrouver la mer.

HILDE (bondissant jusqu'à ELLIDA)
Tu nous quittes ! Tu nous quittes !

ELLIDA (effrayée)
Voyons, Hilde !… Qu'as-tu ! HILDE se ressaisit. — Oh ! ce, n'est rien. (À demi-voix, se détournant d'elle.)
Eh bien ! pars.

BOLETTE (avec anxiété)
Père, je vois cela à ta tête, tu pars aussi pour Skjoldviken !

WANGEL
Pas du tout ! Peut-être irai-je de temps en temps.

BOLETTE
Et puis tu viendras ici.

WANGEL
Oui, je viendrai.

BOLETTE
De temps en temps, aussi !

WANGEL
Chers enfants, il le faut.
(Il traverse le salon.)

ARNHOLM (bas)
Nous avons à causer, Bolette. Un peu plus tard.
(Il rejoint WANGEL. Ils se parlent bas, près de la porte.)

ELLIDA (à demi-voix, à BOLETTE)
Qu'est-ce qui est arrivé à Hilde ? Elle avait l'air perdue !

BOLETTE
Tu n'as donc pas remarqué son tourment de tous les instants ?

ELLIDA
Tourmentée, elle ?

BOLETTE
Oui, depuis ton arrivée à la maison.

ELLIDA
Et qu'est-ce qui la tourmente ainsi ?

BOLETTE
Le désir d'entendre de toi une parole de tendresse.

ELLIDA
Ah !… Y aurait-il ici un rôle pour moi !
(Elle se prend la tête dans les mains et reste immobile, comme en proie à des pensées et à des impulsions qui se combattent en elle. WANGEL et ARNHOLM traversent la pièce et se rapprochent en causant à voix basse. BOLETTE va jeter un œil dans la chambre de droite, dont elle ouvre la porte.)

BOLETTE
Mon cher père, le dîner est servi. Veux-tu…

WANGEL (avec un calme forcé)
Le dîner est servi ?… Eh bien ! mes enfants, nous allons nous mettre à table. Mon cher professeur, veuillez passer ! Nous allons vider la coupe des adieux à la santé de "la Dame de la mer".
(Ils sortent par la porte de droite.)

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