ACTE I - SCÈNE IV



Britannicus, Narcisse.

BRITANNICUS
La croirai-je, Narcisse ? Et dois-je sur sa foi
La prendre pour arbitre entre son fils et moi ?
Qu'en dis-tu ? N'est-ce pas cette même Agrippine,
Que mon père épousa jadis pour ma ruine,
Et qui, si je t'en crois, a de ses derniers jours
Trop lents pour ses desseins précipité le cours ?

NARCISSE
N'importe. Elle se sent comme vous outragée.
À vous donner Junie elle s'est engagée.
Unissez vos chagrins, liez vos intérêts.
Ce palais retentit en vain de vos regrets.
Tandis qu'on vous verra d'une voix suppliante,
Semer ici la plainte, et non pas l'épouvante,
Que vos ressentiments se perdront en discours,
Il n'en faut point douter, vous vous plaindrez toujours.

BRITANNICUS
Ah ! Narcisse ! Tu sais si de la servitude
Je prétends faire encore une longue habitude.
Tu sais si pour jamais de ma chute étonné
Je renonce à l'empire, où j'étais destiné.
Mais je suis seul encor. Les amis de mon père
Sont autant d'inconnus que glace ma misère.
Et ma jeunesse même écarte loin de moi
Tous ceux qui dans le coeur me réservent leur foi.
Pour moi depuis un an, qu'un peu d'expérience
M'a donné de mon sort la triste connaissance,
Que vois-je autour de moi, que des amis vendus
Qui sont de tous mes pas les témoins assidus,
Qui choisis par Néron pour ce commerce infâme
Trafiquent avec lui des secrets de mon âme ?
Quoi qu'il en soit, Narcisse, on me vend tous les jours.
Il prévoit mes desseins, il entend mes discours.
Comme toi dans mon coeur il sait ce qui se passe.
Que t'en semble, Narcisse ?

NARCISSE
Ah ? Quelle âme assez basse…
C'est à vous de choisir des confidents discrets,
Seigneur, et de ne pas prodiguer vos secrets.

BRITANNICUS
Narcisse, tu dis vrai. Mais cette défiance
Est toujours d'un grand coeur la dernière science.
On le trompe longtemps. Mais enfin, je te crois.
Ou plutôt je fais voeu de ne croire que toi.
Mon père, il m'en souvient, m'assura de ton zèle.
Seul de ses affranchis tu m'es toujours fidèle.
Tes yeux sur ma conduite incessamment ouverts
M'ont sauvé jusqu'ici de mille écueils couverts.
Va donc voir si le bruit de ce nouvel orage
Aura de nos amis excité le courage.
Examine leurs yeux. Observe leurs discours.
Vois si j'en puis attendre un fidèle secours.
Surtout dans ce palais remarque avec adresse
Avec quel soin Néron fait garder la princesse.
Sache si du péril ses beaux yeux sont remis,
Et si son entretien m'est encore permis.
Cependant de Néron je vais trouver la mère
Chez Pallas comme toi l'affranchi de mon père.
Je vais la voir, l'aigrir, la suivre, et s'il se peut
M'engager sous son nom plus loin qu'elle ne veut.

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