Acte troisième - Scène II



Atalide, Acomat, Zaïre

ACOMAT
Enfin, nos amants sont d'accord,
Madame ; un calme heureux nous remet dans le port.
La sultane a laissé désarmer sa colère ;
Elle m'a déclaré sa volonté dernière,
Et tandis qu'elle montre au peuple épouvanté
Du prophète divin l'étendard redouté,
Qu'à marcher sur mes pas Bajazet se dispose,
Je vais de ce signal faire entendre la cause,
Remplir tous les esprits d'une juste terreur,
Et proclamer enfin le nouvel empereur.
Cependant permettez que je vous renouvelle
Le souvenir du prix qu'on promit à mon zèle.
N'attendez point de moi ces doux emportements,
Tels que j'en vois paraître au cœur de ces amants ;
Mais si, par d'autres soins, plus dignes de mon âge,
Par de profonds respects, par un long esclavage,
Tel que nous le devons au sang de nos sultans,
Je puis…

ATALIDE
Vous m'en pourrez instruire avec le temps.
Avec le temps aussi vous pourrez me connaître.
Mais quels sont ces transports qu'ils vous ont fait paraître ?

ACOMAT
Madame, doutez-vous des soupirs enflammés
De deux jeunes amants l'un de l'autre charmés ?

ATALIDE
Non ; mais à dire vrai ce miracle m'étonne.
Et dit-on à quel prix Roxane lui pardonne ?
L'épouse-t-il enfin ?

ACOMAT
Madame, je le croi.
Voici tout ce qui vient d'arriver devant moi.
Surpris, je l'avouerai, de leur fureur commune,
Querellant les amants, l'amour et la fortune,
J'étais de ce palais sorti désespéré.
Déjà, sur un vaisseau dans le port préparé,
Chargeant de mon débris les reliques plus chères,
Je méditais ma fuite aux terres étrangères.
Dans ce triste dessein au palais rappelé,
Plein de joie et d'espoir, j'ai couru, j'ai volé,
La porte du sérail à ma voix s'est ouverte,
Et d'abord une esclave à mes yeux s'est offerte,
Qui m'a conduit sans bruit dans un appartement
Où Roxane attentive écoutait son amant.
Tout gardait devant eux un auguste silence.
Moi-même, résistant à mon impatience,
Et respectant de loin leur secret entretien,
J'ai longtemps, immobile, observé leur maintien.
Enfin, avec des yeux qui découvraient son âme,
L'une a tendu la main pour gage de sa flamme ;
L'autre, avec des regards éloquents, pleins d'amour,
L'a de ses feux, Madame, assurée à son tour.

ATALIDE
Hélas !

ACOMAT
Ils m'ont alors aperçu l'un et l'autre.
"Voilà, m'a-t-elle dit, votre prince et le nôtre.
Je vais, brave Acomat, le remettre en vos mains.
Allez lui préparer les honneurs souverains ;
Qu'un peuple obéissant l'attende dans le temple :
Le sérail va bientôt vous en donner l'exemple."
Aux pieds de Bajazet alors je suis tombé,
Et soudain à leurs yeux je me suis dérobé ;
Trop heureux d'avoir pu, par un récit fidèle,
De leur paix en passant vous conter la nouvelle,
Et m'acquitter vers vous de mes respects profonds,
Je vais le couronner, Madame, et j'en réponds.

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