Acte quatrième - Scène I
Atalide, Zaïre
ATALIDE
Ah ! sais-tu mes frayeurs ? sais-tu que dans ces lieux
J'ai vu du fier Orcan le visage odieux ?
En ce moment fatal, que je crains sa venue !
Que je crains… Mais dis-moi : Bajazet t'a-t-il vue ?
Qu'a-t-il dit ? se rend-il, Zaïre, à mes raisons ?
Ira-t-il voir Roxane et calmer ses soupçons ?
ZAÏRE
Il ne peut plus la voir sans qu'elle le commande :
Roxane ainsi l'ordonne, elle veut qu'il l'attende.
Sans doute à cet esclave elle veut le cacher.
J'ai feint en le voyant de ne le point chercher.
J'ai rendu votre lettre, et j'ai pris sa réponse.
Madame, vous verrez ce qu'elle vous annonce.
ATALIDE lit :
Après tant d'injustes détours,
Faut-il qu'à feindre encor votre amour me convie !
Mais je veux bien prendre soin d'une vie
Dont vous jurez que dépendent vos jours.
Je verrai la sultane ; et par ma complaisance,
Par de nouveaux serments de ma reconnaissance,
J'apaiserai, si je puis, son courroux.
N'exigez rien de plus : ni la mort, ni vous-même,
Ne me ferez jamais prononcer que je l'aime,
Puisque jamais je n'aimerai que vous.
Hélas ! Que me dit-il ? Croit-il que je l'ignore ?
Ne sais-je pas assez qu'il m'aime, qu'il m'adore ?
Est-ce ainsi qu'à mes vœux il sait s'accommoder ?
C'est Roxane, et non moi, qu'il faut persuader.
De quelle crainte encor me laisse-t-il saisie !
Funeste aveuglement ! Perfide jalousie !
Récit menteur, soupçons que je n'ai pu celer,
Fallait-il vous entendre, ou fallait-il parler ?
C'était fait, mon bonheur surpassait mon attente,
J'étais aimée, heureuse, et Roxane contente.
Zaïre, s'il se peut, retourne sur tes pas :
Qu'il l'apaise. Ces mots ne me suffisent pas :
Que sa bouche, ses yeux, tout l'assure qu'il l'aime ;
Qu'elle le croie enfin. Que ne puis-je moi-même,
Échauffant par mes pleurs ses soins trop languissants,
Mettre dans ses discours tout l'amour que je sens !
Mais à d'autres périls je crains de le commettre.
ZAÏRE
Roxane vient à vous.
ATALIDE
Ah ! cachons cette lettre.