Acte quatrième - Scène III
Roxane, Atalide, Zatime
ROXANE
Madame, j'ai reçu des lettres de l'armée.
De tout ce qui s'y passe êtes-vous informée ?
ATALIDE
On m'a dit que du camp un esclave est venu ;
Le reste est un secret qui ne m'est pas connu.
ROXANE
Amurat est heureux, la fortune est changée,
Madame, et sous ses lois Babylone est rangée.
ATALIDE
Hé quoi, Madame ? Osmin…
ROXANE
Était mal averti,
Et depuis son départ cet esclave est parti.
C'en est fait.
ATALIDE
Quel revers !
ROXANE
Pour comble de disgrâces,
Le sultan, qui l'envoie, est parti sur ses traces.
ATALIDE
Quoi ? les Persans armés ne l'arrêtent donc pas ?
ROXANE
Non, Madame ; vers nous il revient à grands pas.
ATALIDE
Que je vous plains, Madame ! et qu'il est nécessaire
D'achever promptement ce que vous vouliez faire !
ROXANE
Il est tard de vouloir s'opposer au vainqueur.
ATALIDE
Ô ciel !
ROXANE
Le temps n'a point adouci sa rigueur.
Vous voyez dans mes mains sa volonté suprême.
ATALIDE
Et que vous mande-t-il ?
ROXANE
Voyez : lisez vous-même.
Vous connaissez, Madame, et la lettre et le seing.
ATALIDE
Du cruel Amurat je reconnais la main.
(Elle lit.)
Avant que Babylone éprouvât ma puissance,
Je vous ai fait porter mes ordres absolus.
Je ne veux point douter de votre obéissance,
Et crois que maintenant Bajazet ne vit plus.
Je laisse sous mes lois Babylone asservie,
Et confirme en partant mon ordre souverain.
Vous, si vous avez soin de votre propre vie,
Ne vous montrez à moi que sa tête à la main.
ROXANE
Eh bien ?
ATALIDE
Cache tes pleurs, malheureuse Atalide.
ROXANE
Que vous semble ?
ATALIDE
Il poursuit son dessein parricide.
Mais il pense proscrire un prince sans appui :
Il ne sait pas l'amour qui vous parle pour lui,
Que vous et Bajazet vous ne faites qu'une âme,
Que plutôt, s'il le faut, vous mourrez…
ROXANE
Moi, Madame ?
Je voudrais le sauver, je ne le puis haïr ;
Mais…
ATALIDE
Quoi donc ? Qu'avez-vous résolu ?
ROXANE
D'obéir
ATALIDE
D'obéir !
ROXANE
Et que faire en ce péril extrême ?
Il le faut.
ATALIDE
Quoi ! ce prince aimable… qui vous aime,
Verra finir ses jours qu'il vous a destinés !
ROXANE
Il le faut, et déjà mes ordres sont donnés.
ATALIDE
Je me meurs.
ZATIME
Elle tombe, et ne vit plus qu'à peine.
ROXANE
Allez, conduisez-la dans la chambre prochaine ;
Mais au moins observez ses regards, ses discours,
Tout ce qui convaincra leurs perfides amours.