Ariane
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ACTE IV - Scène V

Thomas Corneille

ACTE IV - Scène V


(Phèdre, Thésée)

THESEE
Le Ciel à mon amour seroit-il favorable,
Jusqu'à rendre sitôt Ariane exorable ?
Madame, quel bonheur qu'après tant de soupirs
Je pusse sans contrainte expliquez mes désirs,
Vous peindre en liberté ce que pour vous m'inspire…

PHÈDRE
Renfermez-le, de grâce, et craignez d'en trop dire.
Vous voyez que j'observe, avant que vous parler,
Qu'aucun témoin ici ne se puisse couler.
Un grand calme à vos yeux commence de paroître,
Tremblez, Prince, tremblez, l'orage est prêt de naître.
Tout ce que vous pouvez vous figurer d'horreur
Des violents projets de l'Amour en fureur,
N'est qu'un foible crayon de la secrète rage
Qui possède Ariane, et trouble son courage.
L'aveu qu'à votre hymen elle semble donner,
Vers le piège tendu cherche à vous entraîner.
C'est par là qu'elle croit découvrir sa Rivale ;
Et dans les vifs transports que sa vengeance étale,
Plus le sang nous unit, plus son ressentiment,
Quand je serai connue, aura d'emportement.
Rien ne m'en peut sauver, ma mort est assurée.
Tout à l'heure avec moi sa haine l'a jurée,
J'en ai reçu l'Arrêt. Ainsi le fort amour
Souvent, sans le savoir, mettant sa flamme au jour,
Mon sang doit s'apprêter à laver son outrage.
Vous l'avez voulu, Prince, achevez votre ouvrage.

THESEE
À quoi que son courroux puisse être disposé,
Il est pour s'en défendre un moyen bien aisé.
Ce calme qu'elle affecte afin de me surprendre,
Ne me fait que trop voir ce que j'en dois attendre.
La foudre gronde, il faut vous mettre hors d'état
D'en ouïr la menace, et d'en craindre l'éclat.
Fuyons d'ici, Madame, et venez dans Athènes,
Par un heureux hymen, voir la fin de nos peines.
J'ai mon Vaisseau tout prêt. Dès cette même nuit
Nous pouvons de ces lieux disparaître sans bruit.
Quand même pour vos jours nous n'aurions rien à craindre,
Assez d'autres raisons nous y doivent contraindre.
Ariane forcée à renoncer à moi,
N'aura plus de prétexte à refuser le Roi.
Pour son propre intérêt il faut s'éloigner d'elle.

PHÈDRE
Et qui me répondra que vous serez fidèle ?

THESEE
Ma foi, que ni le temps, ni le Ciel en courroux…

PHÈDRE
Ma Soeur l'avoit reçue en fuyant avec vous.

THESEE
L'emmener avec moi fut un coup nécessaire.
Il falloit la sauver de la fureur d'un Père,
Et la reconnoissance eut part seule aux serments
Par qui mon cœur du sien paya les sentiments.
Ce cœur violenté n'aimoit qu'avec étude ;
Et quand il entreroit un peu d'ingratitude
Dans ce manque de foi qui vous semble odieux,
Pourquoi me reprocher un crime de vos yeux ?
L'habitude à les voir me fit de l'inconstance
Une nécessité dont rien ne me dispense ;
Et si j'ai trop flatté cette crédule Soeur,
Vous en êtes complice aussi bien que mon cœur.
Vous voyant auprès d'elle, et mon amour extrême
Ne pouvant avec vous s'expliquer par vous-même,
Ce que je lui disois d'engageant et de doux,
Vous ne saviez que trop qu'il s'adressoit à vous.
Je n'examinois point en vous ouvrant mon âme,
Si c'étoit d'Ariane entretenir la flamme.
Je songeois seulement à vous marquer ma foi,
Je me faisois entendre, et c'étoit tout pour moi.

PHÈDRE
Dieux, qu'elle en souffrira ! Que d'ennuis ! Que de larmes !
J'en sens naître en mon cœur les plus rudes alarmes.
Il voit avec horreur ce qui doit arriver,
Cependant j'ai trop fait pour ne pas achever.
Ces foudroyants regards, ces accablants reproches,
Dont par son désespoir je vois les coups si proches,
Pour moi, pour une Soeur, sont plus à redouter
Que cette triste mort qu'elle croit m'apprêter.
Elle a su votre amour, elle saura le reste.
De ses pleurs, de ses cris, fuyons l'éclat funeste,
Je vois bien qu'il le faut, mais las !

THESEE
Vous soupirez ?

PHÈDRE
Oui, Prince, je veux trop ce que vous désirez.
Elle se fie à moi cette Soeur, elle m'aime,
C'est une ardeur sincère, une tendresse extrême,
Jamais son amitié ne me refusa rien.
Pour l'en récompenser je lui vole son bien,
Je l'expose aux rigueurs du sort le plus sévère,
Je la tue, et c'est vous qui me le faites faire.
Pourquoi vous ai-je aimé ?

THESEE
Vous en repentez-vous ?

PHÈDRE
Je ne sais ; pour mon cœur il n'est rien de plus doux,
Mais vous le remarquez, ce cœur tremble, soupire,
Et perdant uns Soeur, si j'ose encor le dire,
Vous la laissez dans Naxe en proie à ses douleurs,
Votre légèreté me peut laisser ailleurs.
Qui voudra plaindre alors les ennuis de ma vie
Sur l'exemple éclatant d'Ariane trahie ?
Je l'aurai bien voulu, mais c'en est fait, partons.

THESEE
En vain…

PHÈDRE
Le temps se perd quand nous en consultons.
Si vous blâmez la crainte où ce soupçon me livre,
J'en répare l'outrage, en m'offrant à vous suivre.
Puisqu'à ce grand effort ma flamme se résout,
Donnez l'ordre qu'il faut, je serai prête à tout.


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