(Ariane, Thésée, Nérine)
ARIANE
Approchez-vous, Thésée, et perdez cette crainte.
Pourquoi dans vos regards marquer tant de contrainte,
Et m'aborder ainsi, quand rien ne vous confond,
Le trouble dans les yeux, et la rougeur au front ?
Un Héros tel que vous, à qui la gloire est chère,
Quoi qu'il fasse, ne fait que ce qu'il voit à faire ;
Et si ce qu'on m'a dit a quelque vérité,
Vous cessez de m'aimer, je l'aurai mérité.
Le changement est grand, mais il est légitime,
Je le crois. Seulement apprenez-moi mon crime ;
Et d'où vient qu'exposée à de si rudes coups,
Ariane n'est plus ce qu'elle fut pour vous.
THESEE
Ah, pourquoi le penser ? Elle est toujours la même,
Même zèle toujours suit mon respect extrême,
Et le temps dans mon cœur n'affaiblira jamais
Le pressant souvenir de ses rares bienfaits ;
M'en acquitter vers elle est ma plus forte envie.
Oui, Madame, ordonnez de mon Sang, de ma vie.
Si la fin vous en plaît, le sort me sera doux
Par qui j'obtiendrai l'heur de la perdre pour vous.
ARIANE
Si quand je vous connus la fin eût pu m'en plaire,
Le Destin la vouloir, je l'aurois laissé faire.
Par moi, par mon amour, le Labyrinthe ouvert
Vous fit fuir le trépas à vos regards offert ;
Et quand à votre foi cet amour s'abandonne,
Des serments de respect sont le prix qu'on lui donne !
Par ce soin de vos jours qui m'a fait tout quitter,
N'aspirois-je à rien de plus qu'à me voir respecter ?
Un service pareil veut un autre salaire.
C'est le cœur, le cœur seul, qui peut y satisfaire.
Il a seul pour mes vœux ce qui peut les borner,
C'est lui seul…
THESEE
Je voudrois vous le pouvoir donner,
Mais ce cœur malgré moi vit sous un autre empire,
Je le sens à regret, je rougis à le dire ;
Et quand je plains vos feux par ma flamme déçus,
Je hais mon injustice, et ne puis rien de plus.
ARIANE
Tu ne peux rien de plus ! Qu'aurois-tu fait, Parjure,
Si quand tu vins du Monstre éprouver l'aventure,
Abandonnant ta vie à ta seule valeur,
Je me fusse arrêtée à plaindre ton malheur ?
Pour mériter ce cœur qui pouvoit seul me plaire,
Si j'ai peu fait pour toi, que falloit-il plus faire ?
Et que s'est-il offert que je pusse tenter,
Qu'en ta faveur ma flamme ait craint d'exécuter ?
Pour te sauver le jour dont la rigueur me prive,
Ai-je pris à regret le nom de Fugitive ?
La Mer, les vents, l'exil, ont-ils pu m'étonner ?
Te suivre, c'étoit plus que me voir couronner.
Fatigues, peines, maux, j'aimois tout pour leur cause.
Dis-moi que non, ingrat, si ta lâcheté l'ose ;
Et désavouant tout, éblouis-moi si bien,
Que je puisse penser que tu ne me dois rien.
THESEE
Comment désavouer ce que l'honneur me presse
De voir, d'examiner, de me dire sans cesse ?
Si par mon changement je trompe votre choix,
C'est sans rien oublier de ce que je vous dois.
Ainsi joignez aux noms de Traître et de Parjure
Tout l'éclat que produit la plus sanglante injure ;
Ce que vous me direz n'aura point la rigueur
Des reproches secrets qui déchirent mon cœur.
Mais pourquoi, m'accusant, redoubler ces atteintes
Madame, croyez-moi, je ne vaux pas vos plaintes.
L'oubli, l'indifférence, et vos plus fiers mépris,
De mon manque de foi doivent être le prix.
À monter sur le Trône un grand Roi vous invite,
Vengez-vous en l'aimant d'un Lâche qui vous quitte.
Quoi qu'aujourd'hui pour moi l'inconstance ait de doux,
Vous perdant pour jamais, je perdrai plus que vous.
ARIANE
Quelle perte, grands Dieux, quand elle est volontaire ?
Périsse tout, s'il faut cesser de t'être chère.
Qu'ai-je à faire du Trône et de la main d'un Roi ?
De l'Univers entier je ne voulois que toi.
Pour toi, pour m'attacher à ta seule personne,
J'ai tout abandonné, repos, gloire, Couronne ;
Et quand ces mêmes biens ici me sont offerts,
Que je puis en jouir, c'est toi seul que je perds.
Pour voir leur impuissance à réparer ta perte,
Je te suis, mène-moi dans quelque Île déserte,
Où renonçant à tout, je me laisse charmer
De l'unique douceur de te voir, de t'aimer.
Là, possédant ton cœur, ma gloire est sans seconde.
Ce cœur me sera plus que l'Empire du monde.
Point de ressentiment de ton crime passé ;
Tu n'as qu'à dire un mot, ce crime est effacé.
C'en est fait, tu le vois, je n'ai plus de colère.
THESEE
Un si beau feu m'accable, il devroit seul me plaire ;
Mais telle est de l'Amour la tyrannique ardeur…
ARIANE
Va, tu me répondras des transports de mon cœur.
Si ma flamme sur toi n'avoit qu'un foible empire,
Si tu la dédaignois, il falloit me le dire,
Et ne pas m'engager par un trompeur espoir
À te laisser sur moi prendre tant de pouvoir.
C'est là, surtout, c'est là ce qui souille ta gloire.
Tu t'es plu sans m'aimer à me le faire croire :
Tes indignes serments sur mon crédule esprit…
THESEE
Quand je vous les ai faits, j'ai cru ce que j'ai dit.
Je partois glorieux d'être votre conquête ;
Mais enfin dans ces lieux poussé par la tempête,
J'ai trop vu ce qu'à voir me convioit l'Amour,
J'ai trop…
ARIANE
Naxe te change ? Ah ! Funeste séjour !
Dans Naxe, tu le sais, un Roi, grand, magnanime,
Pour moi dès qu'il me vit, prit une tendre estime,
Il soumit à mes vœux et son Trône, et sa foi ;
Quoi qu'il ait pu m'offrir, ai-je fait comme toi ?
Si tu n'es point touché de ma douleur extrême,
Rends-moi ton cœur, Ingrat, par pitié de toi-même.
Je ne demande point quelle est cette Beauté
Qui semble te contraindre à l'infidélité.
Si tu crois quelque honte à la faire connoître,
Ton secret est à toi ; mais qui qu'elle puisse être,
Pour gagner ton estime, et mérité ta foi,
Peut-être elle n'a pas plus de charmes que moi.
Elle n'a pas du moins cette ardeur toute pure
Qui m'a fait pour te suivre étouffer la Nature ;
Ces beaux feux qui volant d'abord à ton secours,
Pour te sauver la vie, ont exposé mes jours ;
Et si de mon amour ce tendre sacrifice
De ta légèreté ne rompt point l'injustice,
Pour ce nouvel Objet, ne lui devant pas tant,
Par où présumes-tu pouvoir être constant ?
À peine ton hymen aura payé sa flamme,
Qu'un violent remords viendra saisir ton âme.
Tu ne pourras plus voir ton crime sans effroi ;
Et qui sait ce qu'alors tu sentiras pour moi ?
Qui sait par quel retour ton ardeur refroidie
Te feras détester ta lâche perfidie ?
Tu verras de mes feux les transports éclatants,
Tu les regretteras, il ne sera plus temps.
Ne précipite rien ; quelque amour qui t'appelle,
Prends conseil de ta gloire avant qu'être infidèle.
Vois Ariane en pleurs. Ariane autrefois
Toute aimable à tes yeux méritoit bien ton choix :
Elle n'a point changé, d'où vient que ton cœur change ?
THESEE
Par un amour forcé qui sous ses lois me range.
Je le crois comme vous ; le Ciel est juste, un jour
Vous me verrez puni de ce perfide amour ;
Mais à sa violence il faut que ma foi cède.
Je vous l'ai déjà dit, c'est un mal sans remède.
ARIANE
Ah, c'est trop, puisque rien ne te sauroit toucher,
Parjure, oublie un feu qui dût t'être si cher.
Je ne demande plus que ta lâcheté cesse
Je rougis d'avoir pu m'en souffrir la bassesse.
Tire-moi seulement d'un séjour odieux,
Où tout me désespère, où tout blesse mes yeux,
Et pour faciliter ta coupable entreprise,
Remène-moi, Barbare, aux lieux où tu m'as prise.
La Crète, où pour toi seul je me suis fait haïr,
Me plaira mieux que Naxe, où tu m'oses trahir.
THESEE
Vous remener en Crète ! Oubliez-vous, Madame,
Ce qu'est pour vous un Père, et quel courroux l'enflamme ?
Songez-vous quels ennuis vous y sont apprêtés ?
ARIANE
Laisse-moi les souffrir, je les ai mérités ;
Mais de ton faux amour les feintes concertées,
Tes noires trahisons, les ai-je méritées ?
Et ce qu'en ta faveur il m'a plu d'immoler,
Te rend-il cette foi que tu veux violer ?
Vaine et fausse pitié, quand ma mort peut te plaire !
Tu crains pour moi les maux que j'ai voulu me faire,
Ces maux qu'ont tant hâtés mes plus tendres souhaits,
Et tu ne trembles point de ceux que tu me fais ?
N'espère pas pourtant éviter le supplice
Que toujours après foi fait suivre l'injustice.
Tu romps ce que l'Amour forma de plus beaux noeuds,
Tu m'arraches le cœur, j'en mourrai, tu le veux.
Mais quitte des ennuis où m'enchaîne la vie,
Crois déjà, crois me voir, de ma douleur suivie,
Dans le fond de mon âme armer, pour te punir,
Ce qu'a de plus funeste un fatal souvenir,
Et te dire d'un ton et d'un regard sévère,
"J'ai tout fait, tout osé pour t'aimer, pour te plaire.
J'ai trahi mon Pays, et mon Père et mon Roi ;
Cependant vois le prix, ingrat, que j'en reçois."
THESEE
Ah, si mon changement doit causer votre perte,
Frappez, prenez ma vie, elle vous est offerte.
Prévenez par ce coup le forfait odieux
Qu'un amour trop aveugle…
ARIANE
Ôte-toi de mes yeux.
De ta constance ailleurs va montrer les mérites ;
Je ne veux pas avoir l'affront que tu me quittes.
THESEE
Madame…
ARIANE
Ôte toi, dis-je, et me laisse en pouvoir
De te haïr autant que je le crois devoir.
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