(OEnarus, Arcas.)
OENARUS
Je le confesse, Arcas, ma foiblesse redouble,
Je ne puis voir ici Pirithoüs sans trouble.
Quelques maux où ma flamme ait dû me préparer,
C'étoit toujours beaucoup que les voir différer.
La Princesse avoit beau m'étaler sa constance,
Son hymen reculé flattoit mon espérance ;
Et si Thésée avoit et son cœur et sa foi,
Contre elle, contre lui, le temps étoit pour moi.
De ce foible secours Pirithoüs me prive ;
Par lui de mon malheur l'instant fatal arrive.
Cet Ami si longtemps de Thésée attendu,
Pour partager sa joie, en ces lieux s'est rendu.
Il vient être témoin du bonheur de sa flamme.
Ainsi plus de remise ; il faut m'arracher l'âme,
Et me soumettre enfin au tourment sans égal
De voir tout ce que j'aime au pouvoir d'un Rival.
ARCAS
Ariane vous charme, et sans doute elle est belle ;
Mais Seigneur, quand l'Amour vous a parlé pour elle,
Avez-vous ignoré que déjà d'autres feux
La mettoient hors d'état de répondre à vos voeux ?
Sitôt que dans cette Île où les vents la poussèrent,
Aux yeux de votre Cour ses beautés éclatèrent,
Vous sûtes que Thésée avoit par son secours
Du labyrinthe en Crète évité les détours,
Et que pour reconnoître une amour si fidèle,
Vainqueur du Minotaure, il fuyoit avec elle.
Quel espoir vous laissoient des nœuds si bien formés ?
Ils étoient l'un de l'autre également charmés.
Chacun d'eux l'avouoit, et vous-même en cette Île
Contre le fier Minos leur promettant asile,
Vous les pressiez d'abord d'avancer l'heureux jour
Qui devoit par l'hymen couronner leur amour.
OENARUS
Que n'ont-ils pu me croire ? Ils m'auroient vu sans peine
Consentir à ces noeuds, dont l'image me gêne.
Quoique alors Ariane eût les mêmes appas,
On résiste aisément quand on n'espère pas,
Et du moins je n'eusse eu, pour sauver ma franchise,
Qu'à vaincre de mes sens la première surprise ;
Mais si mon triste cœur à l'amour s'est rendu,
Thésée en est la cause, et lui seul m'a perdu.
Sans songer quels honneurs l'attendent dans Athènes ;
Ici depuis trois moi il languit dans ses chaînes,
Et quoi que dans l'hymen il dût trouver d'appas,
Pirithoüs absent, il ne les goûtoit pas.
Pour en choisir le jour, il a fallu l'attendre.
C'est beaucoup d'amitié pour une amour si tendre.
Ces délais démentoient un cœur bien enflammé ;
Et qui n'auroit pas cru qu'il n'auroit point aimé ?
Voilà sur quoi mon âme à l'espoir enhardie,
S'est peut-être en secret un peu trop applaudie.
Les plus charmants Objets qui brillent dans ma Cour
Sembloient chercher Thésée, et briguer son amour.
Il rendoit quelques soins à Mégiste, à Cyane.
Tout cela me flattoit du côté d'Ariane,
Et j'allois quelquefois jusqu'à m'imaginer
Qu'il dédaignoit un bien qu'il n'osoit me donner.
ARCAS
Dans l'étroite amitié qui depuis tant d'années
De deux Amis si chers unit les destinées,
Il n'est pas surprenant que malgré de beaux feux,
Thésée ait jusqu'ici refusé d'être heureux.
C'est de quoi mieux goûter le fruit de sa victoire,
Qu'avoir Pirithoüs pour témoin de sa gloire.
Mais, Seigneur, Ariane a-t-elle en son Amant
Blâmé pour un Ami ce trop d'empressement ?
En avez-vous trouvé plus d'accès auprès d'elle ?
OENARUS
C'est là ma peine, Arcas, Ariane est fidèle.
Mes languissants regards, mes inquiets soupirs
N'ont que trop de ma flamme expliqué les désirs.
C'étoit peu, j'ai parlé ; mais pour l'heureux Thésée
D'un feu si violent son âme est embrasée,
Qu'elle a toujours depuis appliqué tous ses soins
À fuir l'occasion de me voir sans témoins.
Phèdre sa Soeur, qui sait les peines que j'endure,
Soulage en m'écoutant ma funeste aventure ;
Et comme il ne faut rien pour flatter un Amant,
Je m'obstine pour elle, et chéris mon tourment.
ARCAS
Avec un tel secours vous êtes moins à plaindre ;
Mais Phèdre est sans amour, et d'un mérite à craindre.
Vous la voyez souvent, et j'admire, Seigneur,
Que sa beauté n'ait rien qui touche votre cœur.
OENARUS
Vois par là de l'Amour le bizarre caprice.
Phèdre dans sa beauté n'a rien qui n'éblouisse.
Les charmes de sa Soeur sont à peine aussi doux,
Je n'ai qu'un mot à dire pour en être l'époux ;
Cependant, quoique aimable, et peut-être plus belle,
Je la vois, je lui parle, et ne sens rien pour elle.
Non, ce n'est ni par choix, ni par raison d'aimer,
Qu'en voyant ce qui plaît, on se laisse enflammer.
D'un aveugle penchant le charme imperceptible
Frappe, saisit, entraîne, et rend un cœur sensible,
Et par une secrète et nécessaire loi
On se livre à l'Amour sans qu'on sache pourquoi.
Je l'éprouve au supplice où le Ciel me condamne.
Tout me parle pour Phèdre, et tout contre Ariane ;
Et quoi que sur le choix ma raison ait de jour,
L'une a ma seule estime, et l'autre mon amour.
ARCAS
Mais d'un pareil amour n'êtes-vous pas le maître ?
Qui peut tout, ose tout.
OENARUS
Que me fais-tu connoître
L'ayant reçue ici, j'aurois la lâcheté
De violer les droits de l'hospitalité !
Quand je m'y résoudrois, quel espoir pour ma flamme ?
En la tyrannisant, toucherois-je son âme ?
Thésée est un Héros fameux par tant d'exploits,
Qu'auprès d'elle en mérite il efface les Rois.
Son cœur est tout à lui, j'en connois la constance,
Et nous ferions en vain agir la violence.
Ainsi par mon respect, au défaut d'être aimé,
Méritons jusqu'au bout de m'en voir estimé.
Par d'illustres efforts les grands cœurs se connoissent,
Et malgré mon amour… Mais les Princes paraissent.
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