ACTE III - SCÈNE IV – Massinisse, Sophonisbe, Mézétulle, Herminie
MASSINISSE
Comme elle voit ma perte aisément réparable,
Sa jalousie est foible, et son dépit traitable.
Aucun ressentiment n'éclate en ses discours.
SOPHONISBE
Non ; mais le fond du cœur n'éclate pas toujours.
Qui n'est point irritée, ayant trop de quoi l'être,
L'est souvent d'autant plus qu'on le voit moins paroître,
Et cachant son dessein pour le mieux assurer,
Cherche à prendre ce temps qu'on perd à murmurer.
Ce grand calme prépare un dangereux orage.
Prévenez les effets de sa secrète rage ;
Prévenez de Syphax l'emportement jaloux,
Avant qu'il ait aigri vos Romains contre vous ;
Et portez dans leur camp la première nouvelle
De ce que vient de faire un amour si fidèle.
Vous n'y hasardez rien, s'ils respectent en vous,
Comme nous l'espérons, le nom de mon époux ;
Mais je m'attirerois la dernière infamie,
S'ils brisoient malgré vous le saint nœud qui nous lie,
Et qu'ils pussent noircir de quelque indignité
Mon trop de confiance en votre autorité.
Si dès qu'ils paroîtront, vous n'êtes plus le maître,
C'est d'eux qu'il faut savoir ce que je vous puis être ;
Et puisque Lélius doit entrer dès demain…
MASSINISSE
Ah ! je n'ai pas reçu le cœur avec la main.
Si votre amour…
SOPHONISBE
Seigneur, je parle avec franchise.
Vous m'avez épousée, et je vous suis acquise :
Voyons si vous pourrez me garder plus d'un jour.
Je me rends au pouvoir, et non pas à l'amour ;
Et de quelque façon qu'à présent je vous nomme,
Je ne suis point à vous, s'il faut aller à Rome.
MASSINISSE
À qui donc ? à Syphax, Madame ?
SOPHONISBE
D'aujourd'hui,
Puisqu'il porte des fers, je ne suis plus à lui.
En dépit des Romains on voit que je vous aime ;
Mais jusqu'à leur aveu je suis toute à moi-même ;
Et pour obtenir plus que mon cœur et ma foi,
Il faut m'obtenir d'eux aussi bien que de moi.
Le nom d'époux suffît pour me tenir parole,
Pour me faire éviter l'aspect du Capitole.
N'exigez rien de plus ; perdez quelques moments
Pour mettre en sûreté l'effet de vos serments ;
Afin que vos lauriers me sauvent du tonnerre,
Allez aux dieux du ciel joindre ceux de la terre.
Mais que nous veut Syphax que ce Romain conduit ?