ACTE QUATRIÈME - Scène II



(MONIME XIPHARÈS, PHŒDIME.)


MONIME
Seigneur, je parlais de vous-même.
Mon âme souhaitait de vous voir en ce lieu,
Pour vous…

XIPHARÈS
C'est maintenant qu'il faut vous dire adieu.

MONIME
Adieu ! vous ?

XIPHARÈS
Oui, madame, et pour toute ma vie.

MONIME
Qu'entends-je ? On me disait… Hélas ! ils m'ont trahie.

XIPHARÈS
Madame, je ne sais quel ennemi couvert,
Révélant nos secrets, vous trahit, et me perd.
Mais le roi, qui tantôt n'en croyait point Pharnace,
Maintenant dans nos cœurs sait tout ce qui se passe.
Il feint, il me caresse, et cache son dessein ;
Mais moi qui dès l'enfance élevé dans son sein
De tous ses mouvements ai trop d'intelligence,
J'ai lu dans ses regards sa prochaine vengeance.
Il presse, il fait partir tous ceux dont mon malheur
Pourrait à la révolte exciter la douleur.
De ses fausses bontés j'ai connu la contrainte.
Un mot même d'Arbate a confirmé ma crainte :
Il a su m'aborder ; et les larmes aux yeux :
"On sait tout, m'a-t-il dit ; sauvez-vous de ces lieux."
Ce mot m'a fait frémir du péril de ma reine ;
Et ce cher intérêt est le seul qui m'amène.
Je vous crains pour vous-même ; et je viens à genoux
Vous prier, ma princesse, et vous fléchir pour vous.
Vous dépendez ici d'une main violente,
Que le sang le plus cher rarement épouvante ;
Et je n'ose vous dire à quelle cruauté
Mithridate jaloux s'est souvent emporté.
Peut-être c'est moi seul que sa fureur menace,
Peut-être, en me perdant, il veut vous faire grâce :
Daignez, au nom des dieux, daignez en profiter.
Par de nouveaux refus n'allez point l'irriter.
Moins vous l'aimez, et plus tâchez de lui complaire ;
Feignez, efforcez-vous : songez qu'il est mon père.
Vivez, et permettez que dans tous mes malheurs
Je puisse à votre amour ne coûter que des pleurs.

MONIME
Ah, je vous ai perdu !

XIPHARÈS
Généreuse Monime,
Ne vous imputez point le malheur qui m'opprime.
Votre seule bonté n'est point ce qui me nuit :
Je suis un malheureux que le destin poursuit ;
C'est lui qui m'a ravi l'amitié de mon père,
Qui le fit mon rival, qui révolta ma mère,
Et vient de susciter dans ce moment affreux,
Un secret ennemi pour nous trahir tous deux.

MONIME
Eh quoi ! cet ennemi, vous l'ignorez encore ?

XIPHARÈS
Pour surcroît de douleur, madame, je l'ignore.
Heureux si je pouvais, avant que m'immoler,
Percer le traître cœur qui m'a pu déceler !

MONIME
Eh bien ! seigneur, il faut vous le faire connaître.
Ne cherchez point ailleurs cet ennemi, ce traître ;
Frappez : aucun respect ne vous doit retenir.
J'ai tout fait : et c'est moi que vous devez punir.

XIPHARÈS
Vous !

MONIME
Ah ! si vous saviez, prince, avec quelle adresse
Le cruel est venu surprendre ma tendresse !
Quelle amitié sincère il affectait pour vous !
Content, s'il vous voyait devenir mon époux !
Qui n'aurait cru… Mais non, mon amour plus timide
Devait moins vous livrer à sa bonté perfide.
Les dieux qui m'inspiraient, et que j'ai mal suivis,
M'ont fait taire trois fois par de secrets avis.
J'ai dû continuer ; j'ai dû dans tout le reste…
Que sais-je enfin ? J'ai dû vous être moins funeste ;
J'ai dû craindre du roi les dons empoisonnés,
Et je m'en punirai, si vous me pardonnez.

XIPHARÈS
Quoi, madame ! c'est vous, c'est l'amour qui m'expose ;
Mon malheur est parti d'une si belle cause ;
Trop d'amour a trahi nos secrets amoureux ;
Et vous vous excusez de m'avoir fait heureux !
Que voudrais-je de plus ? glorieux et fidèle,
Je meurs. Un autre sort au trône vous appelle :
Consentez-y, madame ; et sans plus résister,
Achevez un hymen qui vous y fait monter.

MONIME
Quoi ! vous me demandez que j'épouse un barbare
Dont l'odieux amour pour jamais nous sépare ?

XIPHARÈS
Songez que ce matin, soumise à ses souhaits,
Vous deviez l'épouser, et ne me voir jamais.

MONIME
Eh ! connaissais-je alors toute sa barbarie ?
Ne voudriez-vous point qu'approuvant sa furie,
Après vous avoir vu tout percé de ses coups,
Je suivisse à l'autel un tyrannique époux ;
Et que dans une main de votre sang fumante
J'allasse mettre, hélas ! la main de votre amante ?
Allez : de ses fureurs songez à vous garder,
Sans perdre ici le temps à me persuader :
Le ciel m'inspirera quel parti je dois prendre.
Que serait-ce, grands dieux ! s'il venait vous surprendre ?
Que dis-je ? on vient. Allez : courez. Vivez enfin ;
Et du moins attendez quel sera mon destin.

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