Le rat et l’huître


Un rat, hôte d’un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva soûl.
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.
Sitôt qu’il fut hors de la case :
Que le monde, dit-il est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase !
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Téthys sur la rive
Avait laissé mainte huître ; et notre rat d’abord
Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire !
Il n’osait voyager, craintif au dernier point.
Pour moi, j’ai déjà vu le maritime empire :
J’ai passé les déserts, mais nous n’y bûmes point.
D’un certain magister le rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs ;
N’étant pas de ces rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents.
Parmi tant d’huîtres toutes closes
Une s’était ouverte ; et, bâillant au soleil,
Par un doux zéphyr réjouie,
Humait l’air, respirait, était épanouie,
Blanche, grasse, et d’un goût, à la voir, nom pareil.
D’aussi loin que le rat voit cette huître qui bâille :
Qu’aperçois-je ? dit-il ; c’est quelque victuaille !
Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd’hui bonne chère, ou jamais.
Là-dessus, maître rat, plein de belle espérance,
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs ; car l’huître tout d’un coup
Se referme. Et voilà ce que fait l’ignorance.

Cette fable contient plus d’un enseignement :
Nous y voyons premièrement
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d’étonnement,
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

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