Le mal marié


Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme ;
Mais comme le divorce entre eux n’est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d’une belle âme,
Assemblent l’un et l’autre point,
Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J’ai vu beaucoup d’hymens ; aucuns d’eux ne me tentent :
Cependant des humains presque les quatre parts
S’exposent hardiment au plus grand des hasards ;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J’en vais alléguer un qui, s’étant repenti,
Ne put trouver d’autre parti
Que de renvoyer son épouse,
Querelleuse, avare, et jalouse.
Rien ne la contentait, rien n’était comme il faut :
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt ;
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageaient ; l’époux était à bout :
Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout,
Monsieur court, monsieur se repose.
Elle en dit tant, que monsieur, à la fin,
Lassé d’entendre un tel lutin,
Chez ses parents. Vous la renvoie à la campagne
La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons,
Avec les gardeurs de cochons.
Au bout de quelque temps qu’on la crut adoucie,
Le mari la reprend. Eh bien ! qu’avez-vous fait ?
Comment passiez-vous votre vie ?
L’innocence des champs est-elle votre fait ?
Assez, dit-elle : mais ma peine
Était de voir les gens plus paresseux qu’ici ;
Ils n’ont des troupeaux nul souci.
Je leur savais bien dire, et m’attirais la haine
De tous ces gens si peu soigneux.
Eh ! madame, reprit son époux tout à l’heure,
Si votre esprit est si hargneux
Que le monde qui ne demeure
Qu’un moment avec vous, et ne revient qu’au soir,
Est déjà lassé de vous voir,
Que feront des valets qui, toute la journée,
Vous verront contre eux déchaînée ?
Et que pourra faire un époux
Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous ?
Retournez au village ; adieu. Si de ma vie
Je vous rappelle, et qu’il m’en prenne envie,
Puissé-je chez les morts avoir, pour mes péchés,
Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés !

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