L'œuvre "Lettres d'une Péruvienne" de Françoise de Graffigny est un roman épistolaire publié en 1747. Il raconte l'histoire d'une princesse inca, Zilia, qui se retrouve en France après avoir été enlevée par un conquistador. À travers ses lettres, Zilia exprime ses expériences et ses réflexions sur sa vie en Europe, le choc des cultures et les différences entre son pays d'origine et la France.
Dans ses correspondances, Zilia fait découvrir au lecteur la richesse de sa culture péruvienne, tout en critiquant les travers de la société européenne. Son regard innocent, mêlé d'émerveillement et de perplexité, offre une perspective unique sur les moeurs et les comportements des Français de l'époque. Les lettres sont aussi un moyen pour Zilia de questionner les valeurs de la société occidentale, telles que le matérialisme, l'hypocrisie sociale et les rapports de pouvoir.
L'intrigue se développe autour de ses rencontres avec des personnages français, notamment le jeune homme qu’elle aime, Aza, dont elle s'efforce de comprendre la culture et les attentes. À travers son récit, de Graffigny aborde des thèmes touchant à l'identité, à l'amour et à la condition féminine. Zilia, bien que princesse d’un peuple opprimé, fait preuve d’intelligence, de sensibilité et de détermination, et devient peu à peu une voix critique qui remet en cause la domination européenne sur les territoires colonisés.
La structure épistolaire permet de mettre en avant l’évolution des pensées de Zilia et son adaptabilité face à un monde qui lui est étranger. Elle oscille entre admiration pour la beauté du pays où elle se trouve et désillusion face à ses valeurs. Ce contraste entre l'égalité des sexes dans sa culture d'origine et l'inégalité ressentie en France souligne les conflits intérieurs de Zilia et sa quête pour sa propre liberté.
Au fil de ses lettres, Zilia développe un regard nuancé sur l'humanité et les relations humaines. Elle s'interroge sur la notion d'amour, de loyauté et sur la profondeur des liens affectifs. La voix de Zilia représente non seulement la lutte d'une femme pour sa place dans une société patriarcale, mais aussi le combat d'un peuple pour la reconnaissance et la dignité face aux colonisateurs.
Aza ! mon cher Aza ! les cris de ta tendre Zilia, tels qu’une vapeur du matin, s’exhalent & sont dissipés avant d’arriver jusqu’à toi ; en vain je t’appelle à mon secours ; en vain j’attens que ton amour...
Que l’arbre de la vertu, mon cher Aza, répande à jamais son ombre sur la famille du pieux Citoyen qui a reçu sous ma fenêtre le mystérieux tissu de mes pensées, & qui l’a remis dans tes mains ! Que...
C’est toi, chere lumiere de mes jours ; c’est toi qui me rappelles à la vie ; voudrois-je la conserver, si je n’étois assurée que la mort auroit moissonné d’un seul coup tes jours & les miens ! Je touchois...
Quel que soit l’amour de la vie, mon cher Aza, les peines le diminuent, le désespoir l’éteint. Le mépris que la nature semble faire de notre être, en l’abandonnant à la douleur, nous révolte d’abord ; ensuite l’impossibilité de nous...
Que j’ai souffert, mon cher Aza, depuis les derniers nœuds que je t’ai consacrés ! La privation de mes Quipos manquoit au comble de mes peines ; dès que mes officieux Persécuteurs se sont apperçus que ce travail augmentoit mon...
Quelle horrible surprise, mon cher Aza ! Que nos malheurs sont augmentés ! Que nous sommes à plaindre ! Nos maux sont sans reméde, il ne me reste qu’à te l’apprendre & à mourir.On m’a enfin permis de me lever,...
Aza, tu n’as pas tout perdu, tu régnes encore sur un cœur ; je respire. La vigilance de mes Surveillans a rompu mon funeste dessein, il ne me reste que la honte d’en avoir tenté l’exécution. J’en aurois trop à...
Quand un seul objet réunit toutes nos pensées, mon cher Aza, les événemens ne nous intéressent que par les rapports que nous y trouvons avec lui. Si tu n’étois le seul mobile de mon ame, aurois-je passé, comme je viens...
Que les jours sont longs quand on les compte, mon cher Aza ! Le tems ainsi que l’espace n’est connu que par ses limites. Il me semble que nos espérances sont celles du tems ; si elles nous quittent, ou...
Je suis enfin arrivée à cette Terre, l’objet de mes desirs, mon cher Aza, mais je n’y vois encore rien qui m’annonce le bonheur que je m’en étois promis, tout ce qui s’offre à mes yeux me frappe, me surprend,...
Quoique j’aie pris tous les soins qui sont en mon pouvoir pour découvrir quelque lumiere sur mon sort, mon cher Aza, je n’en suis pas mieux instruite que je l’étois il y a trois jours. Tout ce que j’ai pû...
J’ai passé bien du tems, mon cher Aza, sans pouvoir donner un moment à ma plus chere occupation ; j’ai cependant un grand nombre de choses extraordinaires à t’apprendre ; je profite d’un peu de loisir pour essayer de t’en...
ME voici enfin, mon cher Aza, dans une ville nommée Paris, c’est le terme de notre voyage, mais selon les apparences, ce ne sera pas celui de mes chagrins.Depuis que je suis arrivée, plus attentive que jamais sur tout ce...
Si je continuois, mon cher Aza, à prendre sur mon sommeil le tems que je te donne, je ne jouirois plus de ces momens délicieux où je n’existe que pour toi. On m’a fait reprendre mes habits de vierge, &...
Plus je vis avec le Cacique & sa sœur, mon cher Aza, plus j’ai de peine à me persuader qu’ils soient de cette Nation, eux seuls connoissent & respectent la vertu.Les manieres simples, la bonté naïve, la modeste gaieté de...
Il me reste si peu de Quipos, mon cher Aza, qu’à peine j’ose en faire usage. Quand je veux les nouer, la crainte de les voir finir m’arrête, comme si en les épargnant je pouvois les multiplier. Je vais perdre...
Je ne sçais plus que penser du génie de cette nation, mon cher Aza. Il parcourt les extrêmes avec tant de rapidité, qu’il faudroit être plus habile que je ne le suis pour asseoir un jugement sur son caractère.On m’a...
Combien de tems effacé de ma vie, mon cher Aza ! Le Soleil a fait la moitié de son cours depuis la dernière fois que j’ai joui du bonheur artificiel que je me faisois en croyant m’entretenir avec toi. Que...
Je suis encore si peu habile dans l’art d’écrire, mon cher Aza, qu’il me faut un tems infini pour former très-peu de lignes. Il arrive souvent qu’après avoir beaucoup écrit, je ne puis deviner moi-même ce que j’ai cru exprimer....
Jusqu’ici, mon cher Aza, toute occupée des peines de mon cœur, je ne t’ai point parlé de celles de mon esprit ; cependant elles ne sont guéres moins cruelles. J’en éprouve une d’un genre inconnu parmi nous, & que le...
Je ne manquerai plus de matière pour t’entretenir, mon cher Aza ; on m’a fait parler à un Cusipata que l’on nomme ici Religieux, instruit de tout, il m’a promis de ne me rien laisser ignorer. Poli comme un Grand...
J’avois compté, mon cher Aza, me faire un ami du Savant Cusipata, mais une seconde visite qu’il m’a faite a détruit la bonne opinion que j’avois prise de lui, dans la premiere ; nous sommes déjà brouillés.Si d’abord il m’avoit...
Je crois, mon cher Aza, qu’il n’y a que la joie de te voir qui pourroit l’emporter sur celle que m’a causé le retour de Déterville ; mais comme s’il ne m’étoit plus permis d’en goûter sans mélange, elle a...
Je pourrois encore appeller une absence le tems qui s’est écoulé, mon cher Aza, depuis la derniere fois que je t’ai écrit.Quelques jours après l’entretien que j’eus avec Déterville, je tombai dans une maladie, que l’on nomme la fièvre. Si...
Que la prudence est quelquefois nuisible, mon cher Aza ! j’ai resisté long-tems aux puissantes instances que Déterville m’a fait faire de lui accorder un moment d’entretien. Hélas ! je fuyois mon bonheur. Enfin, moins par complaisance que par lassitude...
C’est ici, mon cher Aza, que je te reverrai ; mon bonheur s’accroît chaque jour par ses propres circonstances. Je sors de l’entrevue que Déterville m’avoit assignée ; quelque plaisir que je me sois fait de surmonter les difficultés du...
Depuis que je sçais mes Lettres en chemin, mon cher Aza, je jouis d’une tranquillité que je ne connoissois plus. Je pense sans cesse au plaisir que tu auras à les recevoir, je vois tes transports, je les partage, mon...
C’est vainement, mon cher Aza, que j’ai employé les prieres, les plaintes, les instances pour ne point quitter ma retraite. Il a fallu céder aux importunités de Céline. Nous sommes depuis trois jours à la campagne, où son mariage fut...
J’avois grand tort, mon cher Aza, de desirer si vivement un entretien avec Déterville. Hélas ! il ne m’a que trop parlé ; quoique je désavoue le trouble qu’il a excité dans mon ame, il n’est point encore effacé.Je ne...
Que ton voyage est long, mon cher Aza ! Que je desire ardemment ton arrivée ! Le tems a dissipé mes inquiétudes : je ne les vois plus que comme un songe dont la lumière du jour efface l’impression. Je...
Il n’est pas surprenant, mon cher Aza, que l’inconséquence soit une suite du caractère léger des François ; mais je ne puis assez m’étonner de ce qu’avec autant & plus de lumières qu’aucune autre nation, ils semblent ne pas appercevoir...
Nos visites & nos fatigues, mon cher Aza, ne pouvoient se terminer plus agréablement. Quelle journée délicieuse j’ai passé hier ! combien les nouvelles obligations que j’ai à Déterville & à sa sœur me sont agréables ! mais combien elles...
La tristesse de Déterville & de sa sœur, mon cher Aza, n’a fait qu’augmenter depuis notre retour de mon Palais enchanté : ils me sont trop chers l’un & l’autre pour ne m’être pas empressée à leur en demander le...
Au Chevalier Déterville.À Malthe.Avez-vous pû, Monsieur, prévoir sans repentir le chagrin mortel que vous deviez joindre au bonheur que vous me prépariez ? Comment avez-vous eu la cruauté de faire précéder votre départ par des circonstances si agréables, par des...
Au Chevalier Déterville.À Malthe.Si vous n’étiez la plus noble des créatures, Monsieur, je serois la plus humiliée ; si vous n’aviez l’ame la plus humaine, le cœur le plus compatissant, seroit-ce à vous que je ferois l’aveu de ma honte...
Au Chevalier Déterville.à Malthe.Puisque vous vous plaignez de moi, Monsieur, vous ignorez l’état dont les cruels soins de Céline viennent de me tirer. Comment vous aurois-je écrit ? Je ne pensois plus. S’il m’étoit resté quelque sentiment, sans doute la...
Rassurez-vous, trop généreux ami, je n’ai pas voulu vous écrire que mes jours ne fussent en sureté, & que moins agitée, je ne pusse calmer vos inquiétudes. Je vis ; le destin le veut, je me soumets à ses loix.Les...
Au Chevalier Déterville,à Paris.Je reçois presque en même-tems, Monsieur, la nouvelle de votre départ de Malthe & celle de votre arrivée à Paris. Quelque plaisir que je me fasse de vous revoir, il ne peut surmonter le chagrin que me...