SCENE XIV
LES MEMES, BRETEL
BRETEL
(arrivant effondré. Il est en uniforme et a, à une main, un poulet enveloppé; à l'autre, une ombrelle de femme. L'ombrelle, en satin rouge, est trempée. )
Ouf !
LUCIEN
Vous?… et dans mon uniforme!
DORA
Et mon ombrelle!… Dans quel état!
LUCIEN
Qu'est-ce que cela veut dire?
BRETEL
Ouïe! ouïe! Gott ferdeck, monsieur… si tu savais ce qui m'arrive!… Tout à l'heure, je descends dans la rue… tout à coup, en tournant, je me cogne, sais-tu, contre un monsieur, en mascarade, comme moi, qui m'appelle et qui me dit : Eih! Sargent… Qu'est-ce que ça est que ces manières de se promener en tenue, avec un parapluie ridicule…
LUCIEN
Vous dites?
BRETEL
Je lui réponds : "Qu'est-ce que ça te fait, monsieur…? " Là-dessus, mon bonhomme devient rouge… comme mon pantalon… et il me dit un tas de machines… qu'il est adjudant de place, qu'il a dit… qu'j'étais en était d'ébriévété, et il m'arrache ma casquette pour voir mon numéro immatricule, qu'il disait… Qu'est-ce que ça est tout ça, monsieur… qu'est-ce que ça est?
LUCIEN
Mais malheureux… vous avez donc juré ma perte!… ah ! vous me mettez dans de beaux draps !
BRETEL
Moi?… Allons, qu'est-ce que j'ai encore fait?
LUCIEN
Un rapport à la Place… avec mon numéro matricule… C'est sur moi que tout cela va retomber… Et alors, la prison… et tout cela pour… Ah ! tenez ! je vous flanque dehors… j'ai assez de vous !
BRETEL
Moi ! oh !
DORA
Une ombrelle toute neuve!… de quoi ça a l'air!…
(Elle l'ouvre.)
BRETEL
J'ai t'y pas demandé la permission de la prendre?
LUCIEN
Taisez-vous!… Me voilà joli, moi!… Quoi?… il faudra que je coure à la Place aujourd'hui… que je leur explique… Butor, va!
BRETEL
Dieu !… Que le service est dur à Paris.
LUCIEN
Allons, allez retirer cet uniforme, et servez-nous enfin à déjeuner !
BRETEL
Oui… Voilà le poulet!…
(Il dépose son paquet.)