TROISIÈME PARTIE - Scène IV



(LES)
(MÊMES, L'EMPEREUR, PUISGUANHUMARA, PUISRÉGINA.)

L'EMPEREUR
C'était moi!
(Otbert laisse tomber le poignard. Job se lève et considère l'empereur. Guanhumara avance la tête derrière le pilier à gauche et regarde.)

JOB(à l'empereur.)
Vous !

OTBERT
L'empereur !

L'EMPEREUR(à Job.)
Le duc, notre père et ton roi, M'avait caché chez toi. Dans quel but ? Je l'ignore.

JOB
Vous, mon frère !

L'EMPEREUR
Sanglant, mais respirant encore, Tu me tins suspendu hors des barreaux de fer, Et tu me dis : À toi la tombe! à moi l'enfer ! Seul, j'entendis ces mots prononcés sur l'abîme. Puis je tombai.

JOB(joignant les mains.)
C'est vrai ! le ciel trompa mon crime !

L'EMPEREUR
Des pâtres m'ont sauvé.

JOB(tombant aux pieds de l'empereur.)
Je suis à tes genoux ! Punis-moi! venge-toi!

L'EMPEREUR
Mon frère ! embrassons-nous ! Qu'a-t-on de mieux à faire aux portes de la tombe? Je te pardonne !
(Il le relève et l'embrasse.)

JOB
Ô Dieu puissant!

GUANHUMARA(faisant un pas.)
Le poignard tombe ; Donato vit ! Je puis expirer à ses pieds. Reprenez tous ici tout ce que vous aimiez, Tout ce qu'avait saisi ma main froide et jalouse,(À Job. )
Toi, ton fils George !(À Otbert.)
Et toi, Regina, ton épouse!
(Elle fait un signe. Régina, vêtue de blanc, apparaît au fond de la galerie à gauche, chancelante, soutenue par les deux hommes masqués et comme éblouie. Elle aperçoit Otbert et vient tomber dans ses bras avec un grand cri.)

RÉGINA
Ciel !
(Otbert, Régina et Job se tiennent éperdument embrassés.)

OTBERT
Régina! mon père !

JOB(les yeux au ciel.)
Ô Dieu !

GUANHUMARA(au fond du théâtre.)
Moi, je mourrai ! Sépulcre, reprends-moi !
(Elle porte une fiole à ses lèvres. L'empereur va vivement à elle.)

L'EMPEREUR
Que fais-tu ?

GUANHUMARA
J'ai juré Que ce cercueil d'ici ne sortirait pas vide.

L'EMPEREUR
Ginevra!

GUANHUMARA(tombant aux pieds de l'empereur.)
Donato ! ce poison est rapide… Adieu !
(Elle meurt.)

L'EMPEREUR(se relevant.)
Je pars aussi ! — Job, règne sur le Rhin !

JOB
Restez, sire !

L'EMPEREUR
Je lègue au monde un souverain. Tout à l'heure là-haut le héraut de l'empire Vient d'annoncer qu'enfin les princes ont à Spire Elu mon petit-fils Frédéric, empereur. C'est un vrai sage, pur de haine, exempt d'erreur. Je lui laisse le trône et rentre aux solitudes. Adieu ! Vivez, régnez, souffrez. Les temps sont rudes. Job, avant de mourir, courbé devant la croix, J'ai voulu seulement, une dernière fois, Étendre cette main suprême et tutélaire Comme roi sur mon peuple, et sur toi comme frère, Quel qu'ait été le sort, quand l'heure va sonner, Heureux qui peut bénir !
(Tous tombent à genoux sous la bénédiction de l'empereur.)

JOB(lui prenant la main et la baisant.)
Grand qui sait pardonner !
(FIN)

Autres textes de Victor Hugo

Les Misérables - Tome I : Fantine

Le Tome 1 de "Les Misérables", intitulé "Fantine", se concentre sur plusieurs personnages clés et thèmes qui posent les fondements du récit épique de Victor Hugo. Le livre s'ouvre sur...

Les Contemplations - Au bord de l'infini

J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîmeQui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cimeÉtait là, morne, immense ; et rien n’y remuait.Je me sentais perdu dans l’infini...

Les Contemplations - En marche

Et toi, son frère, sois le frère de mes fils.Cœur fier, qui du destin relèves les défis,Suis à côté de moi la voie inexorable.Que ta mère au front gris soit...

Les Contemplations - Pauca Meae

Pure innocence ! Vertu sainte !Ô les deux sommets d’ici-bas !Où croissent, sans ombre et sans crainte,Les deux palmes des deux combats !Palme du combat Ignorance !Palme du combat Vérité...

Les Contemplations - Les luttes et les rêves

Un soir, dans le chemin je vis passer un hommeVêtu d’un grand manteau comme un consul de Rome,Et qui me semblait noir sur la clarté des cieux.Ce passant s’arrêta, fixant...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024