Le Prix Martin
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ACTE III - Scène XI

Eugène Labiche

ACTE III - Scène XI


MARTIN, AGENOR

AGENOR(bondissant.)
Il a dit roquet ! (Courant à la porte.)
Espagnol de carton !
(Il va pour sortir à gauche.)

MARTIN
Monsieur Montgommier, un mot : J'ai été trop lié avec vous pour assister de sangfroid à la boucherie qui se prépare. Le châtiment que je vous ai infligé me suffit ; je ne veux pas votre mort.

AGENOR
Si tu savais à quel point je me fiche de ton Inca…

MARTIN
Je vous ai déjà prié de ne pas me tutoyer.

AGENOR
Ça m'est échappé.

MARTIN
Au nom de notre défunte amitié, écoutez un dernier conseil… Pendant qu'il vous cherche dans la forêt, filez sur Paris!

AGENOR(froissé.)
Ah ! monsieur, vous oubliez que j'ai porté l'épaulette !

MARTIN
Je ne peux pas m'expliquer, mais c'est fait de vous si vous acceptez ce duel formidable !

AGENOR
Eh bien, après ? Que m'importe l'existence maintenant… je n'ai plus d'ami!

MARTIN(ému.)
Vous êtes d'âge à faire de nouvelles connaissances.

AGENOR(ému.)
Non, Ferdinand !

MARTIN
Ne m'appelez pas Ferdinand… Nous sommes en froid… Au surplus, je vous ai donné cet avertissement… Maintenant, le reste vous regarde, monsieur.
(Il remonte.)

AGENOR(s'inclinant.)
Je vous remercie, monsieur.

MARTIN(revenant tout à coup.)
Mais, malheureux, ce n'est pas à un combat loyal que vous marchez, c'est à un guet-apens ! Don Hernandez a un truc !

AGENOR
Lequel ?

MARTIN
Non, j'en ai déjà trop dit… Vous n'espérez pas que je trahirai pour vous un parent, le chef de la famille, le champion de notre honneur!… Jamais, monsieur, jamais! (Changeant de ton.)
L'animal se cache derrière un buisson ; il met son chapeau et son paletot au bout de sa carabine, bien en vue ! Vous tirez ; il vous crie : "Je suis mort !" Vous vous avancez… et il vous escoffie… C'est épouvantable !

AGENOR
Très canaille, son truc ! je le prends !

MARTIN(vivement.)
Je vous le défends, monsieur !

AGENOR
Mais cependant…

MARTIN
Je vous le défends !… vous n'avez pas le droit d'abuser d'un secret qui m'est échappé… donnez-moi votre parole…

AGENOR
C'est bien, monsieur mon adversaire est votre parent… sa vie me sera sacrée!…

MARTIN(inquiet.)
Hein?… qu'est-ce que vous entendez par là?

AGENOR
Je saurai m'immoler !

MARTIN
Mais je ne vous demande pas ça ! défendez-vous, au contraire… tâchez de le… (Se reprenant.)
de l'éviter !… mais ne vous servez pas de son truc, c'est à lui ce truc, c'est le truc de la famille… cherchez-en un autre… un bon! un meilleur! (Avec émotion.)
Adieu… et bonne chance !

AGENOR
Nous ne nous reverrons probablement jamais…

MARTIN(très ému, sur la porte de sa chambre.)
Après tout, je ne le connais que depuis quinze jours, cet Espagnol !… prenez son truc si vous voulez !

AGENOR
Ah ! tu as beau dire, tu m'aimes toujours !

MARTIN
Non, monsieur… là où il n'y a plus d'estime, il ne saurait y avoir d'amitié.
(Il rentre dans sa chambre.)


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