AGENOR, LOÏSA
AGENOR(à part.)
Il faut en finir !… il faut me dépoétiser. Je dois ce sacrifice à l'amitié.
LOÏSA(descendant.)
Monsieur Montgommier, je me suis plu longtemps à vous appeler mon beau gentilhomme.
AGENOR
C'est vrai, Loïsa… vous avez cette innocente manie.
LOÏSA
Je croyais que vous touchiez aux Montgommeri par le cœur, comme par le nom… Je constate avec regret que vous n'êtes qu'un traîneur de sabre.
AGENOR(à part.)
C'est elle qui commence… ça ira tout seul.
LOÏSA
Voilà trois rendez-vous de suite auxquels vous vous dérobez lâchement.
AGENOR
Mais chaque fois j'ai fait le signal !
LOÏSA
Il n'aurait plus manqué que vous ne le fissiez pas !
AGENOR
Pour lundi et samedi, je vous ai expliqué…
LOÏSA
Soit… mais pour hier?
AGENOR
Pour hier, c'est autre chose… Je séchais.
LOÏSA
Vous séchiez?…
AGENOR
Oui, Loïsa… et vous me réduisez à un aveu bien pénible. Ces cheveux dans lesquels vous avez parfois le doux caprice de passer vos doigts, ils n'ont qu'un éclat emprunté.
LOÏSA
Eh bien ?
AGENOR
Eh bien, hier, il faisait très humide, le vent soufflait de l'ouest… et ils ne voulaient pas sécher.
LOÏSA
Est-ce bien vrai ?
AGENOR
Que je me teins? sur ce qu'il y a de plus sacré…
LOÏSA
Non, ça, je le savais.
AGENOR(très étonné.)
Vous le saviez ?
LOÏSA
Depuis trois ans. (Allant s'asseoir sur le canapé.)
C'était pour me plaire, j'ai cru devoir reconnaître cette attention en feignant de ne pas m'en apercevoir… car j'ai toutes les délicatesses, moi.
AGENOR(assis près du canapé.)
Toutes… vous les avez toutes ! ah ! Loïsa que vous me faites de bien ! Je tremblais de voir diminuer mon prestige en vous faisant cet aveu ! C'est si ridicule de se teindre ! c'est pire que de porter perruque… car enfin la perruque a une excuse… le rhume de cerveau… tandis que la teinture…
LOÏSA
C'est de l'amour !
AGENOR
Ah ! oui ! Les fausses dents aussi.
LOÏSA
Les fausses dents ?
AGENOR
Pendant que j'y suis, j'aime mieux tout vous dire, j'en ai trois.
LOÏSA(se levant.)
Agénor, ce que vous faites est infâme ! Vous n'avez pas de fausses dents, vous voulez me désenchanter de vous.
AGENOR(à part.)
Pincé !
LOÏSA
Mais ce que j'ai aimé en vous, ce n'est pas votre physique… il est médiocre. (AGENOR se lève.)
C'est votre crânerie, c'est la noblesse de vos sentiments, la grâce de vos manières…
AGENOR(à part, tristement.)
Chic funeste !
LOÏSA
Croyez-vous que je me serais détournée de mes devoirs pour un bel homme? J'étais un ange, monsieur ! rappelez-vous mes remords! en ai-je eu assez? j'en étais assommante, disiezvous alors!… et aujourd'hui on dirait que c'est vous qui en avez.
AGENOR
Eh bien, oui, j'en ai ! et vous me feriez bien plaisir, mais, là, bien plaisir de les partager.
LOÏSA
Il est trop tard, monsieur.
AGENOR
Il n'est jamais trop tard pour bien faire… quand je pense que j'attente depuis trois ans à l'honneur de l'homme… qui a sauvé le mien ! Sans lui, je faisais faillite, j'étais rayé des cadres de l'armée.
LOÏSA
Vous l'avez remboursé.
AGENOR
J'ai remboursé l'argent… mais le reste!
LOÏSA
Vous vous êtes battu pour lui, partant quittes.
AGENOR
Non ! pas pour lui, Loïsa, pour vous.
LOÏSA
A sa place, du moins.
AGENOR
Mon Dieu… c'était dans la foule du feu d'artifice… derrière vous, un insolent vous avait arraché… un cri, je le giflai, c'était une affaire entre lui et moi.
LOÏSA
Une affaire que M. Martin devait réclamer pour lui seul… il se borna à vous servir de témoin… c'est depuis lors que je n'ai plus le moindre remords.
AGENOR
On peut n'être pas un gladiateur et avoir encore bien des qualités… Je vous assure qu'il vaut mieux que moi, cet homme… j'ai peut-être plus de brillant, mais il a plus de fond ! Si vous le connaissiez comme moi…
LOÏSA(haussant les épaules.)
Je le connais mieux que vous !
AGENOR
Non, puisque vous ne l'aimez pas… Enfin que lui reprochez-vous, à part ce duel ?
LOÏSA
Tout ! il est grotesque jusque dans son sommeil, il ronfle !
AGENOR
Ça, c'est un embarras de la muqueuse, le cœur n'y est pour rien.
LOÏSA
Mettez-le sur un piédestal, n'est-ce pas ? c'est obligeant pour moi ! ne voyez-vous pas que, si M. Martin est un ange, je suis un monstre?
AGENOR
Non, Loïsa, le monstre c'est moi ! Vous ne pouviez tromper que lui, puisque vous êtes sa femme… tandis que moi…
LOÏSA
Soyez franc! c'est une rupture que vous cherchez?
AGENOR
Une rupture ? jamais ! une simple modification. Le rôle de la femme sur cette terre n'est-il pas de revenir à son mari après l'avoir trompé? Rentrons dans le giron, Loïsa.
LOÏSA
Assez, monsieur. Je sais ce qu'il me reste à faire… je ne survivrai pas à votre lâche abandon, je vous en préviens.
AGENOR
Vous dites toujours cela.
LOÏSA
Vous le croirez peut-être quand je ne serai plus. J'ai dans le chaton de ma bague un poison subtil, celui dans lequel les Indiens trempent leurs flèches. Il m'a été rapporté par don Hernandez, le cousin de mon mari.
AGENOR(incrédule.)
Ah ! ouat !
LOÏSA
Ah! ouat?… Adieu, Agénor… adieu. (Elle fait le geste de porter la bague à ses lèvres.)
AGENOR(l'arrêtant.)
Pas de bêtises, Loïsa !
LOÏSA
Je ne comprends que cette façon de rentrer dans le giron, comme vous dites.
AGENOR
Alors n'y rentrez pas, j'aime mieux ça. (A part.)
Avec les femmes romanesques, on n'est jamais sûr ! (Haut.)
, Continuons à nous rouler dans le crime !
LOÏSA
Non, monsieur… du moment que vous ne m'aimez plus…
(Elle porte la bague à ses lèvres.)
AGENOR(l'arrêtant de nouveau.)
Je vous aime toujours, sacré mille baguettes ! je vous aime, je vous aime… là !
LOÏSA
Ah ! je le savais bien ! je retrouve mon beau gentilhomme !
AGENOR(à part.)
Faut-il que je sois bête… d'avoir peur !
LOÏSA
Alors, dans une heure, rue Paradis ?
AGENOR
Oui. (A part.)
Mon pauvre Martin !
LOÏSA
J'ai mille choses à vous dire encore.
AGENOR(à part.)
Mille !
PIONCEUX(entrant du fond.)
Madame, c'est le sauvage.
LOÏSA
Quel sauvage?
PIONCEUX
Le cousin de monsieur.
LOÏSA
Don Hernandez… faites entrer.
(PIONCEUX sort.)
AGENOR
Il m'agace, votre cousin… je préfère ne pas le rencontrer.
LOÏSA
Dans une heure… rue Paradis…
AGENOR
Numéro douze… oui, je sais. (A part.)
Je ficherai plutôt le feu à la maison.
(Il sort par le pan coupé de gauche.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
(Un salon de campagne, ouvrant au fond sur un jardin. Un buffet. Un râtelier avec un fusil de chasse, une poire à poudre et un sac à plomb. Portes latérales....
Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
(BLANCMINET; PUIS ANTOINE; PUIS BOURGILLON; PUIS LOISEAU Le théâtre représente un jardin. Grille d'entrée au fond ; à droite, l'étude ; à gauche, un pavillon servant à serrer des instruments...
(Le théâtre représente un salon chez Lépinois. À droite, guéridon. À gauche, cheminée et canapé.)Laure Madame Lépinois Thérèse(Au lever au rideau, madame Lépinois et Laure s'essuient les yeux. Madame Lépinois...