MARTIN, HERNANDEZ, puis PIONCEUX
MARTIN(la regardant sortir.)
Comme elle l'aime ! Elle ne prend même plus la peine de s'en cacher.
HERNANDEZ
Patience !… notre heure viendra ! L'as-tu décidé à continuer le voyage?
MARTIN
Oh bien, oui !… j'ai employé tous les arguments… j'ai été jusqu'à lui dire que ça ferait plaisir à ma femme. Mais il est buté !… Il se tient le ventre et il répond : "Non ! je veux retourner à Paris ! je veux retourner à Paris!"
HERNANDEZ
Eh bien, qu'est-ce que tu décides ?
MARTIN
Je décide… que je ne décide rien!… J'avais mon plan… la Handeck !… Il ne veut pas y aller… Ça dérange tout !
PIONCEUX(entrant par le fond et à voix basse.)
Monsieur… (Il tient dans ses mains une fiole et une tasse.)
MARTIN
Quoi ?
PIONCEUX(à voix basse.)
C'est le tilleul et Veau d'anum.
MARTIN(parlant très fort.)
Oh ! tu peux parler haut, maintenant. Crie, chante, si tu veux.
PIONCEUX
Il va mieux ?
MARTIN
Oui. (Indiquant la tasse de tilleul.)
Pose ça dans un coin… Ça ne me regarde plus. S'il croit que je vais continuer à être sa garde-malade !
PIONCEUX(posant la tasse et la fiole sur la table, à part.)
Le poulet est presque cuit !
(Il sort par le fond.)
HERNANDEZ(regardant la fiole et se parlant à lui-même en espagnol.)
Sangre de dios ! no es por nada que esta botella habra venido sobre esta mesa. (Sang de Dieu ! ce n'est pas pour rien que cette fiole sera venue sur cette table.)
MARTIN(le regardant, étonné.)
Qu'est-ce que tu dis?
HERNANDEZ(tenant la fiole et la lui montrant.)
Tu vois bien cette fiole?
MARTIN
Parbleu !
HERNANDEZ
Qu'est-ce que tu en penses ?
MARTIN
Eh bien, je pense que c'est une fiole !
HERNANDEZ
Non… c'est le châtiment.
MARTIN
Le châtiment ?
HERNANDEZ
Le docteur a dit: "Six gouttes de laudanum…" Tu es distrait, je te parle… je te raconte mon règne… et tu mets cinquante gouttes.
MARTIN(se reculant.)
Cinquante !… Mais le docteur a dit que cinquante…
HERNANDEZ
Eh bien ?
MARTIN
C'est un forfait !
HERNANDEZ
Tu voulais bien le jeter dans le trou.
MARTIN
Le trou… c'est un incident de voyage, tandis que la fiole…
HERNANDEZ
Voilà bien la vieille Europe… flasque et sans énergie !… mais chez moi, sous ma zone… on échange continuellement des petites poudres dans des verres d'eau sucrée, on arrange des bouquets de roses qu'il suffit de respirer, et on n'est pas mal vu pour ça.
MARTIN
Je ne dis pas…
HERNANDEZ(lui tendant la fiole.)
Allons !
MARTIN
Non, tiens, décidément, ça ne me sourit pas… le trou me souriait, mais pas la fiole.
HERNANDEZ(reposant la fiole sur la table.)
Très bien… laisse-le rentrer à Paris… on va le soigner, lui bassiner son lit… avec du sucre, et, dans un mois, quand il sera bien portant, tu ramèneras ta femme.
MARTIN
Saperlotte !
HERNANDEZ
Et ils continueront à tracer leur petit signal sur ton dos complaisant.
MARTIN(furieux.)
Sang de Dieu ! passe-moi la bouteille.
HERNANDEZ(la lui donnant.)
Allons donc !
MARTIN(versant le contenu de la fiole dans la tasse que lui présente Hernandez.)
Je verse tout, carambo !
HERNANDEZ
Tout! c'est peut-être beaucoup… mais le reste aurait été perdu… (Prenant la fiole et lui donnant la tasse.)
Maintenant, porte-lui ça.
MARTIN(prenant la tasse.)
Moi-même ? (Il va jusqu'à la porte d'AGENOR; sur le point d'entrer, il s'arrête, et, après un moment d'hésitation, il revient à Hernandez.)
Non, vois-tu, c'est plus fort que moi… je ne pourrai jamais lui offrir… nous avons été trop liés.
HERNANDEZ(prenant la tasse.)
Donne-moi ça, poule mouillée ! (Il va jusqu'à la porte d'AGENOR avec la tasse et s'arrête.)
C'est drôle, dans ce pays-ci, ça me fait quelque chose… je crains l'opinion publique.
MARTIN
Ah ! tu vois bien ! tu recules aussi !
HERNANDEZ
Je ne recule pas… je me recueille…
MARTIN(sentencieux.)
Vois-tu, Hernandez, il n'y a que Dieu qui ait le droit de tuer son semblable !
HERNANDEZ(qui est revenu près de MARTIN.)
-— Tu me suggères une idée… Rapportons-nousen au jugement de Dieu!
MARTIN
Comment l'entends-tu ?
HERNANDEZ(plaçant la tasse près de la table.)
Je pose la coupe fatale sur cette table… bien en vue… Agénor va venir… il boira si c'est son inspiration… Ça te va-t-il comme ça?
MARTIN
Comme ça, je veux bien… poser une tasse sur une table n'est pas un crime.
HERNANDEZ
Allons faire un tour.
(Il remonte au fond, à gauche, pour prendre son chapeau.)
MARTIN
Je te suis. (A part.)
Ce n'est pas un crime… (Il verse vivement l'encrier dans la tasse en se cachant d'Hernandez et à part.)
Tout l'encrier ! maintenant, s'il boit… c'est qu'il aura une fière soif!
HERNANDEZ
Viens-tu ?
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