LES MEMES, AGENOR
AGENOR(entrant.)
Il est en tenue de malade, et d'une voix dolente. Ferdinand… tu me laisses seul… Voilà une heure que je t'appelle.
MARTIN
Excuse-moi, mon ami, j'étais sorti un moment pour commander la potion. Eh bien, te sens-tu un peu mieux ?
AGENOR
Non, ça ne va pas. On a encore fait du tintamarre à côté… Est-ce qu'il y a un billard?
HERNANDEZ
Les joueurs sont partis.
AGENOR(il est pris d'une quinte de toux.)
Allons, bien, voilà la poitrine qui se prend !
HERNANDEZ
Secouez-vous, sacrebleu !
AGENOR(à Hernandez, avec aigreur.)
Secouez-vous !… Est-ce que ça guérit les maladies de poitrine, de se secouer?… Vétérinaire, va!
(Il passe à droite.)
HERNANDEZ(bondissant.)
Hein ? qu'est-ce qu'il a dit ?
MARTIN(l'arrêtant.)
Rien ! (Bas, à HERNANDEZ.)
Mais ne le contrarie donc pas! (A AGENOR.)
Tiens, assieds-toi. (Il le fait asseoir sur un fauteuil. A HERNANDEZ.)
Vite ! un tabouret !
HERNANDEZ(apportant un tabouret.)
Pour la poitrine de monsieur !
MARTIN
Et un coussin sous la tête.
(HERNANDEZ prend un coussin du divan et le place derrière la tête d'AGENOR.)
AGENOR(à MARTIN.)
Oh ! tu es bon, toi ! Tu m'aimes !
(HERNANDEZ va s'asseoir sur le divan. AGENOR est assis au milieu de la scène. MARTIN est debout, près de lui.)
MARTIN
Oui… oui… sois tranquille ! Comment te trouves-tu?
AGENOR
Mal ! J'ai froid… je sens comme un faux frisson.
MARTIN(apercevant la fenêtre ouverte.)
Parbleu ! on a laissé la fenêtre ouverte! Quel est l'imbécile?… (A HERNANDEZ.)
Ferme la fenêtre.
(HERNANDEZ la ferme avec humeur et revient s'asseoir sur le divan.)
AGENOR
Oh ! j'ai la bouche sèche… je boirais bien…
MARTIN
Quoi?
AGENOR
Je ne sais pas quoi. Rien ne me dit.
MARTIN
Parle. Dans ta position, tu peux tout demander.
AGENOR
Eh bien, donne-moi un petit grapillon de raisin.
MARTIN
Ah ! c'est qu'au commencement de juillet, il n'y a pas encore de raisin.
AGENOR
Alors, une pêche au sucre.
MARTIN
Ah ! c'est qu'au commencement de juillet, il n'y a pas de pêches non plus.
HERNANDEZ(à part.)
Il n'a pas de chance, le condamné!
MARTIN
Mais veux-tu du poulet… avec du tabac et un verre d'eau-de-vie… c'est ton droit!
AGENOR
De l'eau-de-vie ! Tu veux donc me tuer ?
MARTIN(vivement.)
Non ! pas encore ! c'est trop tôt !
AGENOR(poussant un cri.)
Ah !
MARTIN
Quoi ?
AGENOR
Allons, bien ! voilà l'intestin qui se prend !
HERNANDEZ(à part, avec mépris.)
Ah ! galette !
AGENOR
Non, ça se calme. Je me suis levé pour écrire à mon oncle.
MARTIN
Ça va te fatiguer.
AGENOR
Approche-moi la table… Je vais essayer de tracer quelques lignes.
MARTIN
Oui. (A HERNANDEZ.)
La table !… approchons la table !…
HERNANDEZ(à part.)
Il me fait faire un métier de commissionnaire. (Ils placent la table devant AGENOR. HERNANDEZ va se rasseoir sur le divan.)
AGENOR(écrivant.)
"Mon cher oncle…" (S'interrompant, à MARTIN.)
Tu ne peux donc pas m'avoir un petit grapillon de raisin?… Je payerai ce qu'il faudra…
MARTIN
Mais il n'y en a pas ! il n'y en a pas !
HERNANDEZ(à part.)
Il est sciant avec son raisin !
AGENOR(reprenant la plume.)
"Mon cher oncle, je suis bien malade à Chamounix, et, malgré toute mon énergie, je ne sais si je pourrai vous revoir jamais…" (Laissant tomber sa plume.)
Non… je suis trop faible… La sueur me monte… Prends la plume, Ferdinand.
MARTIN
Oui… repose-toi sur ce divan… Hernandez, aide-le! (HERNANDEZ vient prendre AGENOR par le bras et l'installe sur le divan face à la fenêtre.)
Le coussin ! le coussin !…
HERNANDEZ(apporte le coussin en jurant.)
Valgame a la porra !
(Il va s'asseoir à droite.)
MARTIN(s'asseyant à la table.)
Maintenant, tu vas me dicter.
AGENOR(dictant.)
"J'emprunte, pour continuer ma lettre, la main de mon meilleur ami."
MARTIN(à part, écrivant.)
Canaille !
AGENOR(dictant.)
"De mon meilleur ami, dont la femme m'a soigné avec le dévouement d'une sœur…"
HERNANDEZ(à part, jaloux.)
D'une sœur !
AGENOR(dictant.)
"De charité. Je ne crains pas d'exagérer en disant que cette femme est un ange…"
(HERNANDEZ se lève.)
MARTIN(à part.)
Un ange !… elle !… (A HERNANDEZ.)
Tiens, prends la plume… je ne peux pas continuer !
(Il se lève.)
HERNANDEZ(protestant à voix basse.)
Ah! mais les écritures… ça m'embête !
MARTIN(bas.)
Puisqu'il est condamné ! nous ne devons rien lui refuser.
HERNANDEZ
C'est juste, l'animal !
(Il se met à table.)
AGENOR(à MARTIN.)
Tu n'écris plus ?
MARTIN
Non, j'ai une convulsion dans le pouce… Don Hernandez va me relayer.
(Il remonte.)
HERNANDEZ(la plume à la main, à AGENOR.)
Quand il plaira à monsieur ?
AGENOR(dictant.)
"J'emprunte, pour continuer ma lettre, la main d'un indifférent."
HERNANDEZ(à part.)
Il a du nez !
AGENOR
"Je sens bien que je ne pourrai pas continuer mon voyage."
HERNANDEZ(se levant et allant à AGENOR.)
Hein?
MARTIN
Qu'est-ce qu'il dit?… (Bas, à HERNANDEZ.)
Il nous échappe ! (A AGENOR.)
Voyons, un peu de courage, sacrebleu !
AGENOR
Oh! non!… les forces…
MARTIN
Viens seulement jusqu'à la Handeck… Je ne t'en demande pas plus !
HERNANDEZ
On dit que c'est si joli !
AGENOR(à MARTIN.)
Tu m'achèteras la photographie.
MARTIN
Ce n'est pas la même chose.
AGENOR(à HERNANDEZ.)
Continuez. (Dictant.)
"Je quitterai sans regret ce pays… où l'on ne trouve même pas à acheter un grapillon de raisin."
HERNANDEZ(à part.)
Encore son raisin !
AGENOR(dictant.)
"Je serai à Paris."
HERNANDEZ(écrivant.)
Pas si vite !
AGENOR(reprenant.)
"Je serai à Paris mercredi." Donnez que je signe. (HERNANDEZ lui apporte la lettre avec le buvard. Il signe.)
Ah ! cette lettre a épuisé mes forces. Je vais rentrer. Ton bras, Ferdinand !
MARTIN
Oui, voilà !
(HERNANDEZ remet la table et le fauteuil en place, pendant qu'AGENOR, soutenu par MARTIN, se dirige vers sa chambre; puis HERNANDEZ prend MARTIN par la manche de son habit et le ramène brusquement en scène. AGENOR, tenant toujours MARTIN, trébuche et manque de tomber.)
HERNANDEZ(à MARTIN, bas.)
Que vas-tu faire ?
MARTIN(bas.)
Je n'en sais rien ; mais il faut à tout prix que je le fasse changer d'avis. (A AGENOR.)
Appuie-toi… ne crains rien.
AGENOR(sortant, appuyé sur le bras de MARTIN.)
Que tu es bon ! Tu es un ange aussi !
MARTIN
Oui… nous sommes tous comme ça dans le ménage !… Appuie-toi.
(Ils sortent à droite.)
(Un jardin. A droite, la maison d'habitation. A gauche, un petit bâtiment servant d'orangerie. Un jeu de tonneau au fond. Chaises, bancs et tables de jardin.PIGET, POMADOUR, COURTINAu lever du...
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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