Scène II



HENRIETTE, PUIS VALENTINE On entend la voix de Valentine dans les coulisses.

LA VOIX DE VALENTINE
Thank you very much, miss Alice ! you may go now ! Thank you !

HENRIETTE
Valentine !

VALENTINE (entrant)
Moi-même, cousine ! Bonjour !

HENRIETTE (l'embrassant)
Comme tu arrives de bonne heure !

VALENTINE
Est-ce un reproche ?

HENRIETTE
Enfant, va !

VALENTINE
C'est que, vois-tu, j'ai désiré venir un peu avant le bal… parce que j'avais à t'entretenir de choses sérieuses !

HENRIETTE (souriant)
Ah ! mon Dieu !

VALENTINE (s'asseyant)
Oh ! Très sérieuses ! Tu comprends, il est des choses que je n'oserais dire à maman, et que je puis te dire à toi.

HENRIETTE
Voyez-vous ça, Mademoiselle !

VALENTINE
Oui, je viens te demander conseil !… Mais d'abord, laisse-moi te faire tous mes compliments. Dieu ! que tu es belle ce soir !

HENRIETTE
Ah ! Le "ce soir" est aimable.

VALENTINE
Oh ! Tu es toujours restée taquine, toi… Je veux dire : "Quelle jolie toilette tu as ce soir…", là !…

HENRIETTE
Tu trouves ?

VALENTINE
Mais c'est-à-dire que j'ai l'air d'une petite Cendrillon à côté de toi, avec ma robe blanche, toute simple.

HENRIETTE
Toi ! tu es cent fois charmante, comme cela !

VALENTINE (soupirant)
Et des diamants ! En as-tu assez ! oh ! c'est moi qui aimerais ça, des diamants !

HENRIETTE
Tu sais bien qu'une jeune fille n'en porte pas.

VALENTINE (naïvement)
Oui, tandis qu'une veuve !… Dieu ! que cela doit être agréable d'être veuve !

HENRIETTE
Eh ! bien, c'est gentil pour ton futur mari ce que tu dis là !

VALENTINE
Tiens ! c'est vrai ! J'ai dit une bêtise ! C'est ennuyeux ! Je ne fais que cela… ou bien je ne dis rien du tout, et alors je deviens bête… de peur de dire des bêtises !

HENRIETTE
Gamine, va ! Elle se lève et va prendre une tapisserie.

VALENTINE
Mais aussi, je te l'ai dit, je compte sur toi pour me donner quelques conseils… ah ! d'abord, quand un jeune homme vous parle, qu'est-ce qu'il faut faire ?… Moi, je suis toujours très embarrassée ! … Ainsi, tiens, à ton dernier bal, monsieur de Mercourt est venu à moi et m'a dit comme ça : "Ah ! Mademoiselle, vous êtes vraiment charmante" ! Eh bien ! sais-tu ce que je lui ai répondu ?

HENRIETTE (s'asseyant et faisant de la tapisserie)
Non.

VALENTINE
"Et vous aussi, monsieur !" Tu vois l'effet d'ici !… alors il a cru que je me moquais de lui et il est parti.

HENRIETTE
Pauvre enfant, voilà ce que c'est que l'innocence.

VALENTINE (naïvement)
Oh ! oui, l'innocence, voilà une vertu que j'admire beaucoup… chez les autres !… Que je voudrais en savoir autant que toi ! mon Dieu !

HENRIETTE (d'un air de reproche)
Valentine !

VALENTINE
Encore une bêtise… Tu vois, c'est plus fort que moi !… aussi il faut absolument que tu me dises…

HENRIETTE
Ah ! pardon, mais d'abord, de quoi s'agit-il ?

VALENTINE (rougissante)
C'est que c'est très difficile à expliquer !… Il s'agit de… d'un…

HENRIETTE
Tu rougis ! tu baisses les yeux ! Je comprends, c'est un jeune homme !

VALENTINE
Hein ! Comment le sais-tu ?

HENRIETTE
Est-ce que je n'ai pas été jeune fille, moi ? Est-ce que je n'ai pas rougi, moi… dans le temps ? Va, chère petite, je ne m'y trompe pas !

VALENTINE
Eh ! bien, oui, là, c'est un jeune homme.

HENRIETTE
Je le savais bien !… et il se nomme ?

VALENTINE (d'un air mystérieux)
Oh ! ça, je te le dirai plus tard.

HENRIETTE
Du mystère, c'est parfait ! Est-il bien, au-moins ?

VALENTINE
Lui ? Oh ! très bien !

HENRIETTE
Très bien ! Tu me le montreras ?

VALENTINE
Tu le verras ce soir !… Et tu me diras alors si j'ai bon goût !

HENRIETTE
Tiens, vraiment, tu m'amuses !… et… il t'aime ?

VALENTINE
Oh ! oui, il m'aime !… il m'a même dit l'autre jour qu'il serait bien heureux si je consentais à l'épouser.

HENRIETTE
Bah ! ce n'est pas une preuve.

VALENTINE
Oh ! mais pour lui, c'est sérieux ! Figure-toi qu'à ton dernier bal, j'ai dansé avec lui… et sans en avoir l'air, tout en valsant, il m'a emmenée dans le petit salon, tu sais, le petit salon ?

HENRIETTE
Oui, oui. Il paraît que c'est l'endroit !

VALENTINE
Il n'y avait justement personne… Alors il m'a fait asseoir sur ton divan havane…

HENRIETTE
Sur mon divan havane ?

VALENTINE
Oui ! cela t'étonne ?

HENRIETTE
Moi ! non, du tout. Oh ! ces hommes, tous les mêmes !… Apporte-moi mes laines !

VALENTINE (apportant la corbeille à ouvrage)
Et puis, lorsque j'ai été assise, monsieur de…

HENRIETTE (vivement)
Monsieur de… ?

VALENTINE (souriant)
Ce monsieur-là enfin m'a pris les deux mains, et s'est mis à genoux devant moi… Comme cela, tiens ! Oh ! c'est étonnant comme c'est agréable de voir un homme à ses genoux !

HENRIETTE
Cela n'est pas précisément l'opinion de messieurs nos maris… Enfin ! continue.

VALENTINE
Eh ! bien donc, il s'est mis à genoux devant moi et, avec une voix tendre, il m'a dit des choses, oh ! mais des choses ! Je ne comprenais pas toujours, mais je sentais que cela me faisait plaisir ! Oh ! mais c'est égal ! Je t'assure que j'étais très embarrassée ; aussi, de peur de dire des bêtises, je me contentais de répondre "oui" à tout ce qu'il disait.

HENRIETTE (posant sa tapisserie)
Tu disais oui ? Malheureuse enfant !

VALENTINE (se relevant)
Est-ce que j'ai eu tort ?

HENRIETTE
Avec les hommes, c'est si dangereux !

VALENTINE
Mais je ne savais que répondre, moi ! Si tu l'avais entendu : "ah ! mademoiselle, vous êtes belle et je vous aime". Oui ? "Ah ! Valentine" il m'a appelée Valentine "Ah ! Valentine, réalisez le rêve de ma vie ! Mon cœur est consumé par l'ardeur de ses flammes et seule vous pouvez éteindre l'incendie que… que vos beaux yeux ont allumé" ça je n'ai pas très bien compris ce que cela voulait dire ! "Enfin vous êtes ma reine, mon ange, Valentine, voulez-vous être ma femme ?"

HENRIETTE (se levant et vivement)
Et tu as répondu ?

VALENTINE
Oui !… Dame, j'étais si troublée, je ne savais que dire.

HENRIETTE
Les hommes sont si entreprenants !

VALENTINE (avec conviction)
Oh ! oui !

HENRIETTE (étonnée)
"Oh ! oui !" Ah çà ! comment le sais-tu ?

VALENTINE (embarrassée)
Mais cousine !

HENRIETTE (insistant)
Oh ! il n'y a pas de "mais cousine !" Et je vois bien que tu me caches quelque chose ! Mais je ne te tiens pas quitte comme cela, entends-tu bien, et tu vas m'expliquer…

VALENTINE (s'appuyant sur son épaule)
Eh ! bien, oui, là, j'aime mieux tout te dire !… À maman je n'aurais jamais osé, avec toi je sens que j'aurai plus de courage. Ah ! ma chère Henriette, si tu savais ce qu'il a fait !

HENRIETTE (inquiète)
Ah ! Mon Dieu ! C'est donc bien grave ?

VALENTINE (toute émue)
Oh ! oui, c'est grave ; c'est-à-dire que, maintenant, il faut qu'on nous marie.

HENRIETTE (l'embrassant avec tendresse)
Est-il possible ? oh ! pauvre enfant ! pauvre enfant !

VALENTINE (avec douleur)
Il m'a embrassée !

HENRIETTE (changeant de ton)
Ah ! Tu m'avais fait peur. Elle s'assied.

VALENTINE (s'asseyant aussi)
Tu ne trouves donc pas cela grave, toi ?

HENRIETTE
Mon Dieu ! si j'étais ton confesseur, je te dirais : "C'est très grave !" Mais moi, ma pauvre enfant, je n'ai pas le courage de t'en blâmer. Je connais trop bien les hommes !

VALENTINE
Est-il possible !

HENRIETTE
Et si l'on devait se marier pour si peu de chose, je crois qu'il y aurait bien peu de femmes sur la terre qui coifferaient Sainte-Catherine. Elle reprend sa tapisserie.

VALENTINE
Alors, cousine, tu ne m'en veux pas ?

HENRIETTE
Moi, chère petite… oh ! pas du tout !… Mon pauvre général me le disait souvent : "L'amour est la meilleure des excuses !". Et j'étais bien de son avis !

VALENTINE
Mais alors… si ce soir il veut m'emmener… est-ce qu'il faudra ?…

HENRIETTE (vivement)
Garde-t'en bien !… Les hommes sont toujours plus entreprenants la seconde fois que la première !

VALENTINE
Mais alors comment faire ? S'il me demande de danser avec lui, je ne puis pourtant pas lui refuser… puisqu'il m'a promis de m'épouser ?

HENRIETTE
Oh ! Je vois ce que tu veux !… Voyons, fillette, alors tu l'aimes ?

VALENTINE (baissant les yeux)
Mon Dieu ! je ne sais pas !

HENRIETTE
Bon ! Je comprends ! ça veut dire beaucoup !… Et lui, est-ce qu'il t'aime ?

VALENTINE
Il m'adore.

HENRIETTE
Eh ! bien donc, c'est parfait !… Puisqu'il en est ainsi je parlerai à ta mère et, si elle y consent, tu l'épouseras !

VALENTINE
Je l'épouserai ! Oh ! ma chère Henriette !

HENRIETTE (d'un air moqueur)
Hein ! Comme il y a des moments où l'on vous aime !… ah çà ! tu serais donc bien heureuse de te marier, toi ?

VALENTINE (avec exaltation)
Me marier, cousine ! mais c'est ce que je rêve ! Se faire appeler Madame ! porter des diamants !… aller au Palais Royal !…

HENRIETTE
Eh bien ! tu as une manière de comprendre tes devoirs conjugaux toi ! Je t'en fais mes compliments !

VALENTINE
Mais cousine…

HENRIETTE
Enfin, vous vous aimez, c'est l'essentiel ! Et puisqu'il t'a promis de t'épouser, je parlerai à ta mère… Mais au moins serait-il bon pour cela que je connusse le nom de ton… prétendu ?

VALENTINE
C'est juste… D'ailleurs je n'ai plus de raisons pour te le cacher !… C'est Monsieur de Neyriss.

HENRIETTE (stupéfaite)
Monsieur de Neyriss ! Elle pose vivement sa tapisserie.

VALENTINE
Oui ! qu'y a-t-il là qui t'étonne ?

HENRIETTE
Non ! c'est impossible !

VALENTINE
Comment impossible ! mais je t'assure que c'est la pure vérité.

HENRIETTE
Oh ! Je te dis qu'il ne t'aime pas… j'en suis sûre.

VALENTINE
Mais puisqu'il me l'a dit !

HENRIETTE (se levant)
Bah ! Tu crois à ces choses-là, toi ?

VALENTINE (se levant aussi)
Et pourquoi ne m'aimerait-il pas, après tout ?

HENRIETTE
Parce que… parce qu'il ne t'aime pas.

VALENTINE
Mais puisqu'il doit m'épouser, là !

HENRIETTE
Eh bien ! et moi aussi, là !

VALENTINE (stupéfaite)
Il doit t'épouser ?

HENRIETTE
Oui.

VALENTINE
Il a demandé ta main ?

HENRIETTE
Oh ! c'est tout comme. Il va me la demander ce soir !

VALENTINE
Oh ! mais, moi, c'est déjà fait, voilà la différence.

HENRIETTE
Bah ! qu'est-ce que cela prouve ? Pour ces messieurs le mariage n'est-il pas le pseudonyme de l'amour ?

VALENTINE
Mais…

HENRIETTE
Et puis, d'abord, il ne te convient pas du tout ! Tu es bien trop jeune pour lui.

VALENTINE
Comment ! Mais c'est un jeune homme…

HENRIETTE
Lui ! un jeune homme ! il a trente ans, c'est tout au plus un homme jeune ! voilà tout ! Va, je te dis qu'il ne te convient pas du tout !

VALENTINE (impatientée)
Enfin, que veux-tu ! Cela me regarde et comme tu m'as promis de demander à maman…

HENRIETTE
Moi ! demander à ta mère ! ah ! non, par exemple !… Je ne veux pas que tu puisses me reprocher un jour d'avoir fait ton malheur.

VALENTINE
Mon malheur !

HENRIETTE
Mais, dame ! tu vois bien qu'il ne t'aime pas sérieusement.

VALENTINE
Comment cela ?

HENRIETTE
Puisqu'il me fait aussi la cour, à moi !

VALENTINE
Mais…

HENRIETTE (s'échauffant petit à petit)
Et qui te dit qu'il n'agit pas de même avec toutes les femmes !

VALENTINE (agacée)
Oh !

HENRIETTE
Et cet homme-là serait un mari fidèle ?… Allons donc !

VALENTINE
Eh ! bien, pourquoi veux-tu l'épouser, alors ?

HENRIETTE (embarrassée)
Pourquoi je veux l'épouser…

VALENTINE
Dame ! il en sera pour toi comme pour moi ! Et je suppose que ce n'est pas pour l'unique agrément d'avoir un mari volage que…

HENRIETTE (sèchement)
D'abord, il n'est pas question de moi en ce moment… Et puis, je te dirai que ce n'est pas du tout la même chose… Une veuve a sur cette matière plus d'expérience qu'une petite fille.

VALENTINE
Mais…

HENRIETTE
Et d'ailleurs, toi non plus tu ne l'aimes pas !… Mais non ! Si tu veux l'épouser, c'est par caprice… pour aller au Palais-Royal.

VALENTINE
Mais quand je te dis…

HENRIETTE
Ah ! bah ! tout cela ce sont des amours de petite fille ! Un feu de paille ! Cela brûle, mais ne dure pas… va, ma chère enfant, je sais très bien comme on est à cet âge. Aperçoit-on un jeune homme ? Aussitôt, l'on en devient folle ! S'avise-t-il de vous faire un compliment, le moindre brin de cour ? Ah ! alors, c'est évident ! on croit tout de suite qu'il va vous épouser… et pour peu que l'on ait lu des romans, l'on s'étonne toujours que le beau jeune homme ne vous demande pas la permission de vous enlever !… Oui, voilà comme vous êtes, à votre âge ! Des amourettes, voilà tout ! Mais un amour sérieux ! Allons donc ! non ! non ! non ! mille fois, non !

VALENTINE (aigrement)
Tu ne parlais pas précisément comme cela tout à l'heure !

HENRIETTE
C'est que j'ai réfléchi !

VALENTINE
Bien rapidement, alors ! Car ce n'est que depuis que j'ai prononcé le nom de monsieur de Neyriss, que…

HENRIETTE
Que veux-tu dire ?

VALENTINE
Eh ! je veux dire que je sais bien pourquoi tu parles de la sorte… et que les meilleurs avocats sont toujours ceux qui défendent leur propre cause.

HENRIETTE
Là ! Je m'y attendais ! de l'aigreur !… Parce que je te dis des vérités sur monsieur de Neyriss, alors cela te fâche ! Eh ! bien, veux-tu que je te dise : Epouse-le ! Tu pourras te vanter d'avoir un mari charmant,… trop charmant même,… surtout avec les autres !

VALENTINE (avec mauvaise humeur)
C'est ça, moque-toi de moi à présent : tiens, vrai ! tu n'es pas gentille !

HENRIETTE
Voyons, Valentine ! VALENTINE, sèchement : Laisse-moi tranquille !

HENRIETTE (s'asseyant)
Ah !… tu veux bouder ? à ton aise ! Seulement, quand tu auras fini, tu auras la bonté de me le dire. Un instant de silence. Valentine tourne à demi le dos à Henriette. Cette dernière prend un journal sur la table et se met à lire. Tout à coup, elle pousse un cri :

HENRIETTE (se levant en sursaut)
Ah ! mon Dieu, que vois-je ?… monsieur de Neyriss !…

VALENTINE (vivement)
Monsieur de Neyriss ! Qu'y a-t-il ?

HENRIETTE
Le perfide ! Il se marie.

VALENTINE (se levant en sursaut)
Il se marie ?

HENRIETTE
Tiens, lis plutôt ! On annonce le mariage de M. Raoul de Neyriss avec Mademoiselle de Stainfeld ! Cette toute charmante personne. Toute charmante, est-il possible ! elle louche ! Cette toute charmante personne apporte à son mari la jolie dot de deux cent mille livres de rente ! Hâtons-nous de dire que Mr de Neyriss, qui est un galant homme. Un galant homme, lui ! Qui est un galant homme n'a vu dans ce mariage qu'un mariage d'amour ! Oh ! le traître !

VALENTINE (qui pendant cette lecture est tombée sur un fauteuil, toute accablée)
Qui aurait jamais pu s'attendre à cela, mon Dieu !

HENRIETTE (très agitée)
Oh ! les hommes ! les hommes ! Les voilà bien !

VALENTINE (avec douleur)
Et il me disait qu'il m'aimait !

HENRIETTE (même jeu)
Non, tenez ! Ils ne valent pas la corde pour les pendre ! Et c'est là l'homme que tu voulais épouser !… et tu crois que je t'aurais laissé faire cette bêtise ?… ah non, par exemple !

VALENTINE
Hélas ! cousine…

HENRIETTE
Ah ! oui, tu pousses des soupirs à présent, tu me dis : "Hélas, cousine". Mais tout à l'heure, lorsque je cherchais à te dissuader de ce mariage, lorsque je te disais que tu faisais une sottise, tu te fâchais et tu m'en voulais, j'en suis sûre, de prendre ainsi ton intérêt contre toi-même ! Eh ! bien, tu reconnais à présent combien j'avais raison ! Mais non, tu ne voulais rien entendre ! et si je t'avais écoutée, j'aurais été demander à ta mère !… et j'aurais, moi, participé à ton malheur futur. Ah ! tiens ! Valentine, tu ne mérites pas qu'on te plaigne.

VALENTINE (tristement)
Henriette, tu me fais de la peine.

HENRIETTE
Cela t'apprendra à m'écouter à l'avenir !

VALENTINE
Hélas ! cousine, comment pouvais-je savoir ?…

HENRIETTE
C'est vrai !… le perfide, moi aussi, je m'y étais laissé prendre !… oh ! mais, va, maintenant, je ne le regrette pas !

VALENTINE (vivement)
Oh ! ni moi non plus, certes ! Et pourtant, je ne sais pas, il me semble que cela me fait quelque chose.

HENRIETTE
Que vois-je, tu pleures ?

VALENTINE (s'essuyant vivement les yeux)
Moi ? Non, cousine !

HENRIETTE
Enfant ! à quoi bon me cacher tes larmes ? Va, tu n'as pas à en rougir… La honte n'est pas pour celui qui les verse. Mais pour celui qui les fait couler.

VALENTINE (avec effort)
N'importe cousine, je ne pleurerai pas ! ces larmes, il ne les mérite pas.

HENRIETTE (tendrement)
Hélas ! ma pauvre chérie, tu n'as pas été heureuse pour ton premier amour !… mais qu'une chose te console : dis-toi bien que tu aurais pu être bien plus malheureuse en devenant sa femme !

VALENTINE
C'est vrai, cousine, aussi, je ne veux plus penser à lui, et je l'oublierai, je te le promets !

HENRIETTE
C'est ce que tu feras de mieux, fillette !

VALENTINE (douleur)
Et je le haïrai !

HENRIETTE (vivement)
Oh ! cela garde t'en bien, ma pauvre enfant,… tu l'adorerais.

VALENTINE
Moi… l'adorer ? Mais…

HENRIETTE
Oh ! toi, tout comme une autre ! Va ! nous sommes toutes les mêmes, nous autres femmes ! Aussi ne cherche pas à le haïr, n'essaie même pas de le juger, car si ta douleur le condamnait, ton amour trouverait encore une excuse pour le justifier. Oublie-le, voilà tout ! et quand l'oubli sera peu à peu entré dans ton cœur, quand l'amour ne sera plus là pour excuser cet homme, alors tu verras comme tu le mépriseras et comme tu remercieras le ciel des pleurs qu'il t'aura fait verser.

VALENTINE (avec tendresse)
Ma chère Henriette !… Tu es bonne, toi,… tu cherches à me consoler, tu ne veux pas que je pleure.

HENRIETTE (vivement)
Mais certainement non, je ne veux pas que tu pleures ! Eh ! que diraient nos invités s'ils te voyaient de la sorte ! Je veux que tu sois gaie au contraire, que tu ries, que tu danses, que tu t'amuses enfin !… Allons, fillette, embrasse-moi ! Et maintenant, mademoiselle de Stainfeld, vous pouvez épouser "Notre futur" !
(FIN)

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