ACTE III - Scène VII


Éraste
Allons, vous viendrez malgré vous, et je veux vous remettre entre les mains de votre père. Tenez, Monsieur, voilà votre fille que j'ai tirée de force d'entre les mains de l'homme avec qui elle s'enfuyait ; non pas pour l'amour d'elle, mais pour votre seule considération ; car, après l'action qu'elle a faite, je dois la mépriser, et me guérir absolument de l'amour que j'avais pour elle.

Oronte
Ah ! infâme que tu es !

Éraste
Comment ? me traiter de la sorte, après toutes les marques d'amitié que je vous ai données ! Je ne vous blâme point de vous être soumise aux volontés de Monsieur votre père ; il est sage et judicieux dans les choses qu'il fait et je ne me plains point de lui de m'avoir rejeté pour un autre. S'il a manqué à la parole qu'il m'avait donnée, il a ses raisons pour cela. On lui a fait croire que cet autre est plus riche que moi de quatre ou cinq mille écus ; et quatre ou cinq mille écus est un denier considérable, et qui vaut bien la peine qu'un homme manque à sa parole ; mais oublier en un moment toute l'ardeur que je vous ai montrée, vous laisser d'abord enflammer d'amour pour un nouveau venu, et le suivre honteusement sans le consentement de Monsieur votre père, après les crimes qu'on lui impute, c'est une chose condamnée de tout le monde, et dont mon cœur ne peut vous faire d'assez sanglants reproches.

Julie
Hé bien ! oui, j'ai conçu de l'amour pour lui, et je l'ai voulu suivre, puisque mon père me l'avait choisi pour époux. Quoi que vous me disiez, c'est un fort honnête homme, et tous les crimes dont on l'accuse sont faussetés épouvantables.

Oronte
Taisez-vous ! vous êtes une impertinente, et je sais mieux que vous ce qui en est.

Julie
Ce sont sans doute des pièces qu'on lui fait, et c'est peut-être lui qui a trouvé cet artifice pour vous en dégoûter.

Éraste
Moi, je serais capable de cela ?

Julie
Oui, vous.

Oronte
Taisez-vous ! vous dis-je. Vous êtes une sotte.

Éraste
Non, non, ne vous imaginez pas que j'aie aucune envie de détourner ce mariage, et que ce soit ma passion qui m'ait forcé à courir après vous. Je vous l'ai déjà dit, ce n'est que la seule considération que j'ai pour Monsieur votre père, et je n'ai pu souffrir qu'un honnête homme comme lui fût exposé à la honte de tous les bruits qui pourraient suivre une action comme la vôtre.

Oronte
Je vous suis, seigneur Éraste, infiniment obligé.

Éraste
Adieu, Monsieur. J'avais toutes les ardeurs du monde d'entrer dans votre alliance ; j'ai fait tout ce que j'ai pu pour obtenir un tel honneur ; mais j'ai été malheureux, et vous ne m'avez pas jugé digne de cette grâce. Cela n'empêchera pas que je ne conserve pour vous les sentiments d'estime et de vénération où votre personne m'oblige ; et si je n'ai pu être votre gendre, au moins serai-je éternellement votre serviteur.

Oronte
Arrêtez, seigneur Éraste. Votre procédé me touche l'âme, et je vous donne ma fille en mariage.

Julie
Je ne veux point d'autre mari que Monsieur de Pourceaugnac.

Oronte
Et je veux, moi, tout à l'heure, que tu prennes le seigneur Éraste. Çà, la main.

Julie
Non, je n'en ferai rien.

Oronte
Je te donnerai sur les oreilles.

Éraste
Non, non, Monsieur ; ne lui faites point de violence, je vous en prie.

Oronte
C'est à elle à m'obéir, et je sais me montrer le maître.

Éraste
Ne voyez-vous pas l'amour qu'elle a pour cet homme-là ? et voulez-vous que je possède un corps dont un autre possédera le cœur ?

Oronte
C'est un sortilège qu'il lui a donné, et vous verrez qu'elle changera de sentiment avant qu'il soit peu. Donnez-moi votre main. Allons.

Julie
Je ne…

Oronte
Ah ! que de bruit ! Çà, votre main, vous dis-je. Ah, ah, ah !

Éraste
Ne croyez pas que ce soit pour l'amour de vous que je vous donne la main : ce n'est que Monsieur votre père dont je suis amoureux, et c'est lui que j'épouse.

Oronte
Je vous suis beaucoup obligé, et j'augmente de dix mille écus le mariage de ma fille. Allons, qu'on fasse venir le Notaire pour dresser le contrat.

Éraste
En attendant qu'il vienne, nous pouvons jouir du divertissement de la saison, et faire entrer les masques que le bruit des noces de Monsieur de Pourceaugnac a attirés ici de tous les endroits de la ville.

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