ACTE III - Scène III


Madame Gredane ; puis Bathilde ; puis Gredane

Madame Gredane (indignée)
Insolent !… Tiens !… c'est une pièce d'or.
(Elle la met dans sa poche.)

Bathilde (entrant par la gauche)
Maman !…

Madame Gredane
Quoi ?

Bathilde
C'est M. Eusèbe qui fait demander son chocolat…

Madame Gredane
Ah ! mais j'en ai assez, de ce M. Eusèbe ! Je ne le connais pas ! un ivrogne que ton père a ramassé dans la rue…

Bathilde
Oh !… maman !

Madame Gredane
Il est ici depuis deux jours, et déjà il envahit la maison. Tout est pour lui !… Hier, à déjeuner, il y avait une tourte, M. Gredane lui a donné l'écrevisse !

Bathilde
Dame ! un invité !

Madame Gredane
Mais je ne l'ai pas invité, moi !… Et voilà l'intrus que ton père installe chez lui ! quand il refuse sa porte à ce pauvre M. Bigouret:…

Bathilde
Puisqu'il a giflé papa, il n'y faut plus penser !

Madame Gredane
Tu en prends bien vite ton parti. Est-ce que tu ne l'aimerais pas ?

Bathilde
Pas beaucoup…

Madame Gredane
Qu'est-ce que tu lui reproches ?

Bathilde
Il parle toujours du nez !

Madame Gredane (sans comprendre.)
Mais le nez est un sujet de conversation comme un autre !

Bathilde
Mais, maman…

Madame Gredane (apercevant Gredane, qui entre par la porte du fond.)
Silence ! voici ton père.

Gredane
Bonjour, mes enfants… Bathilde, donne-moi ma calotte.
(Il lui donne son chapeau qu'elle pose sur la cheminée à la place de la calotte.)

Bathilde (la lui donnant.)
La voilà, papa…

Gredane
Eusèbe est-il levé ? Je lui apporte des gants !

Madame Gredane (bondissant.)
Des gants, à présent ?

Gredane
Il en désirait, ce pauvre jeune homme !

Madame Gredane
Ah çà ! monsieur, il est temps que nous causions sérieusement. Pouvez-vous me dire d'où vient l'étrange affection que vous témoignez à ce bohème ?…

Gredane
Ah ! un soir, cet homme, que vous qualifiez si légèrement de bohème, découragé par les luttes de la vie, a tenté de mettre fin à ses jours…

Madame Gredane (l'interrompant)
Eh ! tu nous as déjà conté ça onze fois ! mais maintenant qu'il est sauvé… nous ne pouvons pas continuer à l'héberger à perpétuité… D'abord à cause de ma fille.

Bathilde
Oh ! moi, maman… il ne me gêne pas.

Gredane
Sois tranquille ! Eusèbe est une nature très fière… et je n'aurai qu'un mot à lui dire.

Madame Gredane
Eh bien, dites-le-lui !

Gredane
Je l'entends !… Laissez-moi… je vais lui faire comprendre, affectueusement… qu'il peut chercher un autre domicile.

Madame Gredane
C'est ça… dis-lui que nous ne prenons pas de pensionnaires.

Bathilde (à part.)
Pauvre garçon ! qu'est-ce qu'il va devenir ?
(Elle sort avec sa mère par la deuxième porte à droite.)


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