Suzanne, Jean ; puis Juliette
Jean (paraissant à droite.)
Madame…
Suzanne
Eh bien, il va venir ?
Jean
Je ne crois pas… M. le commandeur, votre oncle, a déménagé hier soir.
Suzanne
Comment, déménagé ?…
Jean
En ce sens qu'il a emporté tous les meubles de sa chambre.
Suzanne
Mais ils sont à moi, ces meubles !
Jean
Il les aura sans doute emballés par mégarde.
Suzanne
C'est impossible ! Comment, il n'a rien laissé ?
Jean
Oh ! si !… les chenets… et une lettre.
(Il va frotter de nouveau les pincettes à la cheminée.)
Suzanne (prenant la lettre.)
Donnez… (Lisant.)
"O vous que j'ose appeler ma nièce… je pars… il le faut… Je sens que je vais vous aimer !…" (Très flattée.)
Tiens ! pauvre homme ! (Lisant.)
"L'honneur me commande de fuir… J'emporte les meubles… ils me rappelleront votre image… Jamais je ne m'en séparerai. " (Parlé.)
Vieux filou ! (Lisant.)
"Je vous renvoie votre photographie… elle me brise. " Signé : "Le Commandeur de Bondy. " (Parlé.)
Et il se moque de moi par-dessus le marché… Oh ! je suis d'une colère !
Jean, à genoux devant la cheminée et frottant les pincettes (à part.)
: - Pour une femme embêtée, c'est une femme embêtée !
Suzanne (à part.)
Mais qu'est-ce que je vais devenir sans oncle ? Je dois aller au théâtre… Seule… c'est impossible !… (S'asseyant sur le pouf.)
Où trouver un oncle ? (Apercevant Jean qui polit les pincettes avec acharnement.)
Tiens !… mais il n'est pas mal, cet homme-là… en l'arrangeant… Personne ne le connaît… il n'est ici que depuis hier. (Haut.)
Jean !
Jean
Madame ?
Suzanne
Levez-vous !… tenez-vous droit !… Pas mal !… Maintenant tournez !… marchez !… marchez !…
Jean
Où ça ?
Suzanne
Droit devant vous.
Jean (marchant à part.)
Quel drôle de service !
Suzanne
Il ira ! il va ! (Se levant, arrêtant Jean qui marche toujours.)
Assez !… Dites-moi, êtes-vous un peu lettré ?
Jean (étonné.)
: - S'il vous plaît ?
Suzanne
Oui… en parlant, évitez-vous le cuir ?
Jean
Moi, madame, j'ai été garçon de classe à l'institution Soupaleau.
Suzanne
Ah ! ah !
Jean
Et sans la fatalité qui s'est acharnée après moi…
Suzanne
Voyons… causons… Voulez-vous être mon oncle ?
Jean
Qu'est-ce qu'il y a à faire ?
Suzanne
C'est bien simple… vous m'accompagnez partout, au bal, au concert, au théâtre…
Jean
J'adore ce divertissement…
Suzanne
Vous souperez avec nous.
Jean
Nous ?
Suzanne
Avec moi… et, si par hasard quelqu'un se permettait avec votre nièce quelque propos familier…
Jean
Compris… je m'en irais. (À part.)
C'est une cocotte !
Suzanne
Mais non !… vous fronceriez le sourcil… comme ça !
Jean (à part.)
Alors, c'est une femme honnête !
Suzanne
Mais pas avec tout le monde… car il y a certaines personnes qu'il ne faut pas décourager…
Jean
Ah !… il y a… ? (À part.)
Alors, c'est une cocotte.
Suzanne
C'est dit… vous acceptez ?
Jean
Pardon… et les appointements ?
Suzanne
Sont modestes… cent francs par mois… mais il y a les cadeaux.
Jean
Les cadeaux de Madame ?
Suzanne
légèrement: - Mais non !… imbécile !
Jean
Ah ! (À part.)
Décidément, c'est une cascadeuse… mais, si elle n'a que deux ou trois connaissances… je fermerai les yeux sur les autres. (Haut.)
Pardon, j'aurais encore quelque chose à demander à Madame.
Suzanne
Quoi ?
Jean
Comme oncle… est-on habillé ?
Suzanne
Entièrement… Il y a, dans cette chambre, un vêtement tout neuf que je venais de faire faire pour le commandeur… vous êtes à peu près de la même taille… J'ai pour ami un secrétaire d'ambassade qui avait fait obtenir à mon oncle… une décoration étrangère, et, puisqu'elle est restée après l'habit… vous la garderez.
Jean
Une décoration ?… Je tâcherai de m'en rendre digne.
Suzanne
Ah ! j'y pense ! vous ne pouvez continuer à vous appeler Jean:… L'oncle Jean:… ça sonne mal.
Jean
Mon Dieu ! je sonnerai comme Madame voudra.
Suzanne
Où êtes-vous né ?
Jean
Rue des Arcis…
Suzanne
Très bien… vous vous appellerez, le commandeur Jean des Arcis…
Jean
Commandeur Jean des Arcis… ça sonne les croisades.
Juliette, entrant du fond.
Madame, le coiffeur vient d'arriver…
Suzanne
Ah ! tant mieux !
Jean (à part.)
Encore une qui ne ferme pas sa porte.
Il se mouche bruyamment.
Suzanne
Vous êtes agaçant avec votre nez !
Jean
C'est l'affaire de huit jours… J'ai consulté.
Suzanne (à Jean)
Allez trouver le coiffeur… vous lui direz de vous arranger une tête honorable… une tête d'oncle, il sait ce que c'est.
Elle gagne la droite.
Jean
Soyez tranquille… dans cinq minutes, j'aurai l'air d'un portrait de famille.
Il sort par la droite.
Juliette
Il y a là aussi un jeune homme qui demande à parler à Madame.
Suzanne
Un jeune homme !… à cette heure !… Comment s'appelle-t-il ?
Juliette
Il n'a pas dit son nom, il apporte une bouteille.
Suzanne (s'asseyant)
Une bouteille ?… Ah ! je sais ce que c'est : faites entrer.
Juliette sort par le fond.
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Un salon de campagne, porte au fond, portes latérales dans les pans coupés de droite et de gauche. — Une fenêtre à droite. Sur le devant, à droite, un guéridon....
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