Suzanne ; puis Eusèbe
Suzanne
C'est le garçon pharmacien de M. Bigouret qui m'apporte mon eau des Sultanes… une recette qu'on m'a envoyée d'Orient. (On frappe à la porte du fond.)
Entrez ! Il paraît que c'est merveilleux… (On frappe de nouveau.)
Mais entrez donc !
Eusèbe, passant sa tête au fond.
C'est moi !
Suzanne
Pourquoi n'entrez-vous pas ?
Eusèbe, entrant. - Je n'ose pas… (À part.)
J'ai des frissons.
Suzanne
Vous apportez la bouteille ?
Eusèbe, avec mélancolie.
Ah ! oui ! j'apporte la bouteille !
Suzanne
Eh bien, donnez-la-moi !
Eusèbe, avec mélancolie. - Oh ! oui… je vous la donnerai.
Suzanne (à part.)
Qu'est-ce qu'il a ? (Haut.)
Voyons… je vous attends.
Eusèbe
Elle est dans ma poche… La voici… (Tendrement.)
La voici !
Il lui donne le flacon.
Suzanne (à part.)
Il a quelque chose dans le cerveau… c'est dommage, il n'est pas laid, ce garçon… (Haut.)
Vous me rapportez ma recette… j'y tiens !
Eusèbe
Elle est dans ma poche… sous enveloppe.
Suzanne, se levant et passant.
Voyons… débouchons ce flacon.
Elle prend des ciseaux sur la table et coupe la peau qui entoure le bouchon.
Eusèbe (à part.)
O supercherie de l'amour… ce n'est pas sa recette qui est dans cette enveloppe… j'y ai substitué des vers… des vers que j'ai improvisés ce matin, avec mon cœur, en pilant des amandes douces… mais je n'oserai jamais les remettre !
Suzanne, respirant le flacon qu'elle a débouché.
Tiens, ça sent bon !
Eusèbe, prenant ce compliment pour lui.
Ah ! madame… c'est la nature… car je n'ai pas sur moi d'odeurs…
Suzanne
De quoi me parlez-vous ?
Eusèbe
Vous me faites l'honneur de me dire que je sens bon.
Suzanne
Moi ?… je parle de ce flacon…
Eusèbe
Pardon… on pouvait s'y tromper.
Suzanne, allant à lui.
Comment emploie-t-on ça ?
Eusèbe
Ça doit être comme pour le baume tranquille… en frictions.
Suzanne
Eh bien, essayons… sur le bras…
Eusèbe
Comment ! devant moi ?
Suzanne
Oh ! un pharmacien ! ce n'est pas un homme !
Eusèbe
Mais je vous demande pardon, madame, je vous demande pardon… il y a encore des cœurs de pharmacien qui vibrent.
Suzanne, s'asseyant sur la chaise à droite du guéridon, relevant sa manche et découvrant son bras. - Ah ! ah ! Tenez… prenez ce morceau de ouate… et frottez.
Eusèbe (prenant le flacon et se reculant.)
Qui ça ? Moi ?
Suzanne
Vous devez savoir frictionner !
Eusèbe, s'asseyant sur le pouf.
Certainement… Je frictionne tous les soirs le rhumatisme de M. Bigouret, mon patron…
Suzanne
Eh bien ?
Eusèbe
Mais ce n'est pas la même chose…
Suzanne
Pourquoi ?
Eusèbe
Mais dame !… parce que… d'abord, lui, c'est un homme ; il a la peau noire, rude, coriace, indigeste… Ah ! la vilaine peau !… Tandis que la vôtre… (il frictionne très doucement)
c'est d'un doux… d'un doux !… et d'un blanc… d'un blanc !… et d'un rose… d'un rose !…
Suzanne
Eh bien, qu'est-ce que ça vous fait ?
Eusèbe
Ce que ça me fait ?
Il pose la main de Suzanne sur son cœur.
Suzanne (se levant)
Ah bah !
Eusèbe
Je n'essayerai pas de vous le cacher plus longtemps.
Suzanne, à part, gaiement.
Tiens ! j'ai enflammé un pharmacien !
Eusèbe (se levant)
Ça m'a pris hier, tout d'un coup, quand vous êtes venue nous voir… Je ne pensais à rien… je battais un looch, pour une vieille femme qui tousse… vous entrez, et paf !
Suzanne
Quoi ?
Eusèbe
Au lieu de fleur d'oranger, je verse du vinaigre de toilette !
Suzanne, s'asseyant à gauche du guéridon.
Oh !
Eusèbe, s'asseyant sur la chaise à droite du guéridon et posant le flacon sur le guéridon. - Ca ne fait rien… dans ces choses-là, on met tout ce qu'on veut… Que vous dirai-je ? j'étais subjugué… Ce qui m'a plu tout de suite en vous, c'est votre front pur, votre air modeste…
Suzanne (à part.)
Il est très amusant !
Eusèbe
Moi, d'abord, je n'aime que les femmes vertueuses.
Suzanne, avec compassion.
Ah ! pauvre garçon !
Eusèbe
Toutes les femmes que j'ai aimées, je les ai respectées… toutes ! sauf une… et encore je ne le voulais pas… parce que, là où il n'y a pas d'estime, il n'y a pas d'affection vraie !
Suzanne (à part.)
Oh mais ! il est à mettre au Jardin des Plantes !
Eusèbe
Par conséquent, la femme qui m'aimerait ne serait pas malheureuse.
Suzanne
Ah ! vous avez un talisman pour rendre les femmes heureuses ?
Eusèbe
Oui… je me coucherais à ses pieds… et je resterais comme ça toute ma vie, sans lui dire un mot.
Suzanne (à part.)
Autant prendre un sourd-muet.
Eusèbe
Par exemple, il faut être franc… je n'ai pas mes soirées.
Suzanne
Ah ! c'est dommage !
Eusèbe
Je ne suis libre que le dimanche… et encore tous les quinze jours… à partir de midi.
Suzanne
Je vous remercie de cette communication.
Eusèbe
Il n'y a pas de quoi, madame.
Suzanne, regardant son bras.
Oh ! mais voyez donc l'effet de cette eau… Quel éclat ! quelle blancheur !
Eusèbe, lui prenant le bras.
Des roses sur du lait ! Ce bras… tout autre à ma place le couvrirait de baisers… Eh bien, moi pas !… je résiste… je suis un tempérament !
Suzanne, se levant et passant derrière le guéridon, arrondissant son bras avec coquetterie.
Oh ! vous résistez… Si je le voulais bien !…
Eusèbe
Non… ce serait inutile !…
Suzanne
Oh ! par exemple !
Eusèbe
Croyez-moi, Suzanne, restons dans nos limites…
Suzanne, lui mettant son bras devant la figure.
Grand enfant… je le veux !
Eusèbe, lui embrassant le bras avec transport.
Ah !… (Se levant.)
Vous me déshonorez !
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