ACTE II - Scène III


Pepitt ; puis Eusèbe

Pepitt (seul, redescendant.)
C'est égal, c'est ennuyeux, ces natures de feu… quand il tombe de l'eau !
(Il se dispose à sortir ; on entend une altercation violente dans la pharmacie, dont la porte s'ouvre, et Eusèbe, poussé violemment de l'intérieur par les épaules, tombe sur Pepitt.)

Bigouret (dans la coulisse.)
Ah ! ver de terre, ennemi de la société !…

Eusèbe
Touchez pas !

Bigouret
Je vais me gêner !

Eusèbe
Non !

Bigouret
Si !

Eusèbe (tombant sur Pepitt)
Non !

Pepitt
Prenez donc garde !

Eusèbe (à Pepitt)
Vous, laissez-moi tranquille, je ne vous connais pas !

Pepitt
Imbécile !
(Il sort par la gauche, premier plan.)

Eusèbe (il a son parapluie à la main. Courant à la porte de la pharmacie et frappant)
Rendez-moi mes effets !… Je veux mes effets ! Butor ! animal ! Il ne répond pas… (Revenant en scène.)
C'est vrai, parce qu'il a été autrefois capitaine dans la garde nationale, il se croit le droit de piétiner sur ses commis ! (S'adressant à la porte.)
Les commis sont des hommes, entends-tu ! ils votent ! (Au public.)
Il vient de se passer là un drame poignant… L'oncle… le commandeur… est entré dans le laboratoire comme un furieux… avec un revolver caché dans un étui à lorgnette… il a remis mes vers au patron en lui disant : "Tenez, voilà les saletés que votre commis se permet d'adresser à ma nièce !… Flanquez-lui un poil ! " Et il est sorti avec son air grandiose… et son revolver !… Alors, M. Bigouret, perdant toute pudeur, m'a appelé ver de terre ! ennemi de la société ! ramassis de tous les vices !… Je me suis fâché… il m'a poussé, je l'ai poussé, et, après une lutte qui n'a pas été sans éclats… nous avons cassé trois bocaux !… il m'a prié de sortir… par les épaules !… Il est évident que la comtesse ne m'aime pas ; car, si elle m'aimait, elle n'aurait pas remis mes vers à son noble parent… Si elle m'a fait quelques avances, c'était pour se faire frictionner… et maintenant elle me rejette comme une orange dont on a exprimé le suc !… Oh ! les femmes !… Je l'aurais pourtant bien respectée, celle-là !… (Pause)
Qu'est-ce que je vais devenir ? Me voilà sur le pavé… sans domicile… avec… (Il fouille dans sa poche et compte son argent.)
Faisons ma caisse : vingt-sept francs, et quatre sous dans une autre poche… Ce n'est pas une position, ça… Où aller ?… Je ne connais personne à Paris… Je sens que je prends la vie en grippe… et pour un rien… (Changeant de ton.)
Tiens ! j'ai faim ! j'ai envie de faire une noce !… Je vais aller souper dans un grand restaurant… je demanderai des plats inconnus… des vins étranges et mystérieux, et après… eh bien, après… nous verrons !… On sort du théâtre… Des femmes ! Ah ! je ne veux pas les voir !
(Il sort par la droite, derrière la maison de Bigouret.)


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