ACTE II - Scène 3


Léandre
Me trahir de cette manière ! Un coquin, qui doit par cent raisons, être le premier à cacher les choses que je lui confie, est le premier à les aller découvrir à mon père. Ah ! je jure le Ciel que cette trahison ne demeurera pas impunie.

Octave
Mon cher Scapin, que ne dois-je point à tes soins ! Que tu es un homme admirable ! et que le Ciel m'est favorable, de t'envoyer à mon secours !

Léandre
Ah ! ah ! vous voilà. Je suis ravi de vous trouver, Monsieur le coquin.

Scapin
Monsieur, votre serviteur. C'est trop d'honneur que vous me faites.

Léandre (en mettant l'épée à la main.)
Vous faites le méchant plaisant. Ah ! je vous apprendrai…

Scapin (se mettant à genoux.)
Monsieur.

Octave (se mettant entre-deux, pour empêcher Léandre de le frapper.)
Ah ! Léandre.

Léandre
Non, Octave, ne me retenez point, je vous prie.

Scapin
Eh ! Monsieur.

Octave (le retenant.)
De grâce !

Léandre (voulant frapper Scapin.)
Laissez-moi contenter mon ressentiment.

Octave
Au nom de l'amitié, Léandre, ne le maltraitez point.

Scapin
Monsieur, que vous ai-je fait ?
Léandre (voulant le frapper.)
Ce que tu m'as fait, traître ?

Octave (le retenant.)
Eh ! doucement.

Léandre
Non, Octave, je veux qu'il me confesse lui-même tout à l'heure la perfidie qu'il m'a faite. Oui, coquin, je sais le trait que tu m'as joué, on vient de me l'apprendre ; et tu ne croyais pas peut-être que l'on me dût révéler ce secret ; mais je veux en avoir la confession de ta propre bouche, ou je vais te passer cette épée au travers du corps.

Scapin
Ah ! Monsieur, auriez-vous bien ce cœur-là ?

Léandre
Parle donc.

Scapin
Je vous ai fait quelque chose, Monsieur ?

Léandre
Oui, coquin, et ta conscience ne te dit que trop ce que c'est.

Scapin
Je vous assure que je l'ignore.

Léandre (s'avançant pour le frapper.)
Tu l'ignores !

Octave (le retenant.)
Léandre.

Scapin
Hé bien ! Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j'ai bu avec mes amis ce petit quartaut de vin d'Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours ; et que c'est moi qui fis une fente au tonneau, et répandis de l'eau autour, pour faire croire que le vin s'était échappé.

Léandre
C'est toi, pendard, qui m'as bu mon vin d'Espagne, et qui as été cause que j'ai tant querellé la servante, croyant que c'était elle qui m'avait fait le tour ?

Scapin
Oui, Monsieur : je vous en demande pardon.

Léandre
Je suis bien aise d'apprendre cela ; mais ce n'est pas l'affaire dont il est question maintenant.

Scapin
Ce n'est pas cela, Monsieur ?

Léandre
Non : c'est une autre affaire qui me touche bien plus, et je veux que tu me la dises.

Scapin
Monsieur, je ne me souviens pas d'avoir fait autre chose.

Léandre (le voulant frapper.)
Tu ne veux pas parler ?

Scapin
Eh !

Octave
Tout doux.

Scapin
Oui, Monsieur, il est vrai qu'il y a trois semaines que vous m'envoyâtes porter, le soir, une petite montre à la jeune Égyptienne que vous aimez. Je revins au logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein de sang, et vous dis que j'avais trouvé des voleurs qui m'avaient bien battu, et m'avaient dérobé la montre. C'était moi, Monsieur, qui l'avais retenue.

Léandre
C'est toi qui as retenu ma montre ?

Scapin
Oui, Monsieur, afin de voir quelle heure il est.

Léandre
Ah ! ah ! j'apprends ici de jolies choses, et j'ai un serviteur fort fidèle vraiment. Mais ce n'est pas encore cela que je demande.

Scapin
Ce n'est pas cela ?

Léandre
Non, infâme : c'est autre chose encore que je veux que tu me confesses.

Scapin
Peste !

Léandre
Parle vite, j'ai hâte.

Scapin
Monsieur, voilà tout ce que j'ai fait.

Léandre (voulant frapper Scapin.)
Voilà tout ?

Octave
Eh !

Scapin
Hé bien ! oui, Monsieur, vous vous souvenez de ce loup-garou, il y a six mois, qui vous donna tant de coups de bâton la nuit et vous pensa faire rompre le cou dans une cave où vous tombâtes en fuyant.

Léandre
Hé bien ?

Scapin
C'était moi, Monsieur, qui faisais le loup-garou.

Léandre
C'était toi, traître, qui faisais le loup-garou ?

Scapin
Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l'envie de nous faire courir toutes les nuits comme vous aviez de coutume.

Léandre
Je saurai me souvenir en temps et lieu de tout ce que je viens d'apprendre. Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon père.

Scapin
À votre père ?

Léandre
Oui, fripon, à mon père.

Scapin
Je ne l'ai pas seulement vu depuis son retour.

Léandre
Tu ne l'as pas vu ?

Scapin
Non, Monsieur.

Léandre
Assurément ?

Scapin
Assurément. C'est une chose que je vais vous faire dire par lui-même.

Léandre
C'est de sa bouche que je le tiens pourtant.

Scapin
Avec votre permission, il n'a pas dit la vérité.

Autres textes de Molière

Monsieur de Pourceaugnac

"Monsieur de Pourceaugnac" est une comédie de Molière, écrite en 1669. La pièce raconte l'histoire de Monsieur de Pourceaugnac, un provincial naïf et grossier, qui se rend à Paris pour...

Le Mariage forcé

Sganarelle (parlant à ceux qui sont dans sa maison.) Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut....

Mélicerte

(La scène est en Thessalie, dans la vallée de Tempé.) Acanthe Ah ! charmante Daphné ! Tyrène Trop aimable Eroxène. Daphné Acanthe, laisse-moi. Eroxène Ne me suis point, Tyrène. Acanthe...

L'Impromptu de Versailles

L'Impromptu de Versailles est une comédie de Molière écrite en 1663. La pièce se déroule à la cour du roi Louis XIV, où un groupe de courtisans s'amuse à jouer...

L'École des maris

L'école des maris est une comédie de Molière, un célèbre dramaturge français du XVIIe siècle. La pièce met en scène Argan, un homme riche et vaniteux qui cherche à marier...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024