DUPLAN, MAURICE.
DUPLAN(éclatant tout à coup.)
Je proteste ! Ta conduite est indigne, révoltante! ça n'a pas de nom!
MAURICE
Voyons, papa… calmez-vous.
DUPLAN
Jamais!… je crierai jusqu'à la dernière goutte de mon sang!… je croyais ton mariage lancé… j'étais retourné tranquillement à Courbevoie… j'étais dans ma serre, je greffais… tout à coup tu me tombes sur le dos en disant : "Ce n'est pas celle-là… c'est l'autre!"
MAURICE
Eh bien?
DUPLAN
Faire une pareille injure à la belle madame Carbonel! c'est monstrueux.
MAURICE
D'abord, il n'y a là aucune injure… Tous les jours un mariage se rompt… surtout quand il n'est pas plus avancé que le mien… quatre ou cinq visites n'engagent pas.
DUPLAN
Tu appelles ça des visites… après y avoir déjeuné deux fois et dîné trois! Parasite!… pique-assiette!
MAURICE
Mais ce n'est pas une question d'estomac, c'est une question de cœur.
DUPLAN
Mais qu'est-ce que tu as à lui reprocher, à cette demoiselle?
MAURICE
Moi?… je ne lui reproche rien. Seulement, elle est bien blonde.
DUPLAN
C'est là ce qui te plaisait.
MAURICE
Et puis elle manque d'expression, de vivacité… elle n'a pas de sang.
DUPLAN
Comment, elle n'a pas de sang?
MAURICE
Ses yeux sont calmes, son front est calme, sa bouche est calme.
DUPLAN
Mais elle n'a pas de raison pour se mettre en colère !
MAURICE
Non… mais elle pourrait au moins parler… elle ne sait que répondre : "Oui,
monsieur; non, monsieur"; enfin, s'il faut vous le dire… je la trouve gnangnan !
DUPLAN
Gnangnan! qu'est-ce que c'est que ça?
MAURICE
Elle me fait l'effet d'une jolie petite salade de laitue dans laquelle on aurait oublié le vinaigre.
DUPLAN
Elle est pourtant musicienne.
MAURICE
Ah ! oui, parlons-en !
DUPLAN
Il m'a semblé qu'elle touchait du piano.
MAURICE
Trop !
DUPLAN
Quoi?
MAURICE
Trop de piano ! Le matin de sept à neuf… après déjeuner de deux à quatre… et le soir de huit à dix… six heures de piano, aux applaudissements de sa famille… et toujours le même air… la Rêverie de Rosellenn. (Il fredonne l'air en grinçant.)
Cela prenait les proportions d'une scie… c'était à vous rendre enragé.
DUPLAN
Que tu es bête!… on fait comme moi, on n'écoute pas… (A part.)
On dort.
MAURICE
Ma foi, je me suis sauvé… C'est alors que le souvenir de Lucie m'est revenu! oh! les brunes! voilà les vraies femmes! c'est gai, c'est vif, ça parle!
DUPLAN
Quelquefois ça crie !
MAURICE
Après tout, qu'est-ce que vous voulez? Que je me marie?
DUPLAN
Oui.
MAURICE
Eh bien, qu'est-ce que ça vous fait que j'épouse l'une ou l'autre?
DUPLAN
Sans doute.,, ça ne me fait rien… cependant…
MAURICE
Vous ne voudriez pas me voir malheureux, n'est-ce pas?
DUPLAN
Non… mais, sapristi! qu'est-ce que je vais dire à la belle madame Carbonel?
MAURICE
Rien… c'est fait.
DUPLAN
Quoi?
MAURICE
Je lui ai écrit une petite lettre… charmante… dans laquelle je lui annonce qu'une affaire imprévue m'oblige d'interrompre mes visites pendant quelque temps… je lui parle d'un voyage.
DUPLAN
Eh bien… elle attendra ton retour.
MAURICE
Mais non!… elle comprendra à demi-mot; dans le monde, ça ne se passe jamais autrement.
DUPLAN
Et moi… je n'aurai rien à lui dire? bien sûr, bien sûr?
MAURICE
Absolument rien.
DUPLAN(mélancolique.)
C'est égal… si quelqu'un m'avait dit, il y a vingt-cinq ans : "Vous causerez un gros chagrin à la belle femme qui est là dans ce comptoir, (S'attendrissant.)
en manches courtes… au milieu de ses petits tas de sucre…"
MAURICE
Voyons, papa!…ne pensez pas à cela.
DUPLAN
Maurice… si tu revoyais la demoiselle?
MAURICE
Tenez, je vous déclare une chose… j'épouserai Lucie… ou je resterai garçon toute ma vie!
DUPLAN
Garçon! malheureux!
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