Carmosine
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ACTE PREMIER - Scène première

Alfred de Musset

ACTE PREMIER - Scène première


(MAÎTRE BERNARD , DAME PÂQUE .)

DAME PÂQUE
Faites-moi le plaisir de laisser là vos drogues, et d'écouter un peu ce que je vous dis.

MAÎTRE BERNARD
Faites-moi la grâce de ne pas me le dire du tout, ce sera tout aussitôt fait.

DAME PÂQUE
Comme il vous plaira. Mélangez vos herbes empestées tout à votre aise. Le seul résultat de votre obstination sera de la voir mourir dans nos bras.

MAÎTRE BERNARD
Si mes remèdes ne peuvent rien, que peut donc votre bavardage ? Mais c'est votre unique passe- temps de nous inonder de discours inutiles. Dieu merci, la patience est une belle vertu.

DAME PÂQUE
Si vous aimiez votre pauvre fille, elle serait bientôt guérie.

MAÎTRE BERNARD
Pourquoi me dites-vous cela ? Êtes-vous folle ? Ne voyez-vous pas ce que je fais du matin au soir ? Pauvre chère âme ! tout ce que j'aime ! Dites-moi, n'est-ce donc pas assez de voir souffrir l'enfant de mon cœur, sans avoir sur le dos vos éternels reproches ? car on dirait, à vous entendre, que je suis cause de tout le mal. Y a-t-il moyen de rien comprendre à cette mélancolie qui la tue ? Maudites soient les fêtes de la reine, et que les tournois aillent à tous les diables !

DAME PÂQUE
Vous en revenez toujours à vos moutons.

MAÎTRE BERNARD
Oui, on ne m'ôtera pas de la tête qu'elle est tombée malade un dimanche, précisément en revenant de la passe d'armes. Je la vois encore s'asseoir là, sur cette chaise ; comme elle était pâle et toute pensive ! comme elle regardait tristement ses petits pieds couverts de poussière ? Elle n'a dit mot de la journée, et le souper s'est passé sans elle.

DAME PÂQUE
Allez, vous n'êtes qu'un vieux rêveur. Le meilleur de tous les remèdes, je vous le dirai, malgré votre barbe : c'est un beau garçon et un anneau d'or.

MAÎTRE BERNARD
Si cela était, pourquoi refuserait-elle tous les partis qu'on lui présente ? Pourquoi ne veut-elle même pas entendre parler de Perillo, qui était son ami d'enfance ?

DAME PÂQUE
Vraiment, elle s'en soucie bien ! Laissez-moi faire. On lui proposera telle personne qu'elle ne refusera pas.

MAÎTRE BERNARD
Je sais ce que vous voulez dire, et pour celui-là, c'est moi qui le refuse. Vous vous êtes coiffée d'un flandrin.

DAME PÂQUE
Vous verrez vous-même ce qui en est.

MAÎTRE BERNARD
Ce qui en est ? Mais, dame Pâque, il y a pourtant dans ce monde certaines choses à considérer. Je ne suis pas un grand seigneur, madame, mais je suis un honnête médecin, un médecin assez riche, dame Pâque, et même fort riche pour cette ville ; j'ai dans mon coffre quantité de sacs bien et dûment cachetés. Je ne donnerai pas plus ma fille pour rien, que je ne la vendrai, entendez-vous ?

DAME PÂQUE
Vraiment, vous ferez bien, et votre fille mourra de votre sagesse, si elle ne meurt de vos potions. Laissez donc là ce flacon, je vous en prie, et n'empoisonnez pas davantage cette pauvre enfant. Ne voyez-vous donc pas, depuis deux mois, que vos drogueries ne servent à rien ? Votre fille est malade d'amour, voilà ce que je sais, moi, de bonne part. Elle aime ser Vespasiano, et toutes les fioles de la terre n'y changeront pas un iota.

MAÎTRE BERNARD
Ma fille n'est point une sotte, et ser Vespasiano est un sot. Qu'est-ce qu'un âne peut faire d'une rose ?

DAME PÂQUE
Ce n'est pas vous qui l'épouserez. Essayez donc d'avoir le sens commun. Ne convenez-vous pas que c'est en revenant des fêtes de la reine que votre fille est tombée malade ? N'en parle-t-elle pas sans cesse ? N'amène-t-elle pas toujours les entretiens sur ce chapitre, sur l'habileté des cavaliers, sur les prouesses de celui-là, sur la belle tournure de celui-ci ? Est-il rien de plus naturel à une jeune fille sans expérience que de sentir son cœur battre tout à coup pour la première fois, à la vue de tant d'armes resplendissantes, de tant de chevaux, de bannières, au son des clairons, au bruit des épées ? Ah ! quand j'avais son âge !…

MAÎTRE BERNARD
Quand vous aviez son âge, dame Pâque, il me semble que vous m'avez épousé, et il n'y avait point là de trompettes.

DAME PÂQUE
Je le sais bien, mais ma fille est mon sang. Or, dans ces fêtes, je vous le demande, à qui peut-elle s'intéresser ? Qui doit-elle chercher dans la foule, si ce n'est les gens qu'elle connaît ? Et quel autre, parmi nos amis, quel autre que le beau, le galant, l'invincible ser Vespasiano ?

MAÎTRE BERNARD
À telle enseigne, qu'au premier coup de lance, il est tombé les quatre fers en l'air.

DAME PÂQUE
Il se peut que son cheval ait fait un faux pas, que sa lance se soit détournée, je ne nie pas cela ; il se peut qu'il soit tombé.

MAÎTRE BERNARD
Cela se peut assurément ; il a pirouetté en l'air comme un volant, et il est tombé, je vous le jure, autant qu'il est possible.

DAME PÂQUE
Mais de quel air il s'est relevé !

MAÎTRE BERNARD
Oui, de l'air d'un homme qui a son dîner sur le cœur, et une forte envie de rester par terre. Si un pareil spectacle a rendu ma fille malade, soyez persuadée que ce n'est pas d'amour. Allons, laissez-moi lui porter ceci.

DAME PÂQUE
Faites ce que vous voudrez. Je vous préviens que j'ai invité ce chevalier à souper. Que votre fille ait faim ou non, elle y viendra, et vous jugerez par vous-même de ce qui se passe dans son cœur.

MAÎTRE BERNARD
Et pourquoi ne parlerait-elle pas, si vous aviez raison ? Suis-je donc un tyran, s'il vous plaît ? Ai-je jamais rien refusé à ma fille, à mon unique bien ? Est-ce qu'il peut lui tomber une larme des yeux sans que tout mon cœur… Juste ciel ! plutôt que de la voir ainsi s'éteindre sans dire une parole, est-ce que je ne voudrais pas ?… Allons ! vous me rendriez fou !
(Ils sortent chacun d'un côté différent.)


ACTE PREMIER - Scène première

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