Carmosine
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ACTE PREMIER - Scène III

Alfred de Musset

ACTE PREMIER - Scène III


(PERILLO , MAÎTRE BERNARD .)

MAÎTRE BERNARD
Silence ! elle dort. Quelques heures de bon sommeil, et elle est sauvée.

PERILLO
Qui, monsieur ?

MAÎTRE BERNARD
Oui, sauvée, je le crois, du moins.

PERILLO
Qui, monsieur ?

MAÎTRE BERNARD
C'est toi, Perillo ? ma pauvre fille est bien malade.

PERILLO
Carmosine ! Quel est son mal ?

MAÎTRE BERNARD
Je n'en sais rien. Eh bien ! garçon, tu reviens de Padoue ; j'ai reçu ta lettre l'autre jour ; tu as terminé tes études, passé tes examens, tu es docteur en droit, tu vas recevoir et bien porter le bonnet carré ; tu as tenu parole, mon ami ; tu étais parti bon écolier, et tu reviens savant comme un maître. Hé ! hé ! voilà une belle carrière devant toi. Ma pauvre fille est bien malade.

PERILLO
Qu'a-t-elle donc, au nom du ciel ?

MAÎTRE BERNARD
Hé ! je te dis que je n'en sais rien. C'est une joie pour moi de te revoir, mon brave Antoine, mais une triste joie ; car pourquoi viens-tu ? Il était convenu entre ton père et moi que tu épouserais ma fille dès que tu aurais un état solide ; tu as bien travaillé, n'est-ce pas ? ton cœur n'a pas changé, j'en suis sûr, le mien non plus, et maintenant… Ô mon Dieu ! Qu'a-t-elle donc fait ?

PERILLO
Vos paroles me font frémir. Quoi ! sa vie est-elle en danger ?

MAÎTRE BERNARD
Veux-tu me faire mourir moi-même, à te répéter cent fois que je l'ignore ? Elle est malade, Perillo, bien malade.

PERILLO
Se pourrait-il qu'un homme aussi habile, aussi expérimenté que vous ?…

MAÎTRE BERNARD
Oui, expérimenté, habile ! Voilà justement ce qu'ils disent tous. Ne croirait-on pas que j'ai dans ma boutique la panacée universelle, et que la mort n'ose pas entrer dans la maison d'un médecin ?

PERILLO(à part.)
Mes pressentiments étaient donc fondés ; je suis venu pour trouver cela.(Haut.)
Ce que vous me dites, monsieur, est horrible. Me sera-t-il permis de voir Carmosine ?

MAÎTRE BERNARD
Sans doute, quand elle s'éveillera ; mais elle est bien faible, Perillo. Peut-être nous faudra-t-il d'abord la préparer à ta venue, car la moindre émotion la fatigue beaucoup et suffit quelquefois pour la priver de ses sens. Elle t'a aimé, elle t'aime encore, tu devais l'épouser… tu me comprends.

PERILLO
J'agirai comme il vous plaira. Faut-il que je m'éloigne pour quelques jours, pour un aussi long temps que vous le jugerez nécessaire ? Parlez, mon père, j'obéirai.

MAÎTRE BERNARD
Non, mon ami, tu resteras. N'es-tu pas aussi de la famille ?

PERILLO
Il est bien vrai que j'espérais en être, et vous appeler toujours de ce nom de père que vous me permettiez quelquefois de vous donner.

MAÎTRE BERNARD
Toujours, et tu ne nous quitteras plus.

PERILLO
Mais vous me dites que ma présence peut être nuisible ou fâcheuse. Quand ma vue ne devrait causer qu'un moment de souffrance, la plus faible impression, la plus légère pâleur sur ses traits chéris, ô Dieu ! plutôt que de lui coûter seulement une larme, j'aimerais mieux recommencer le long chemin que je viens de faire, et m'exiler à jamais de Palerme.

MAÎTRE BERNARD
Ne crains rien, j'arrangerai cela.

PERILLO
Aimez-vous mieux que j'aille loger dans un autre quartier de la ville ? Je puis trouver quelque maison du faubourg (j'en avais une avant d'être orphelin)
. J'y demeurerais enfermé tout le jour, afin que mon retour fût ignoré ; le soir seulement, n'est-ce pas, ou le matin de bonne heure, je viendrais frapper à votre porte et demander de ses nouvelles, car vous concevez que sans cela je ne saurais… Elle souffre donc beaucoup ?

MAÎTRE BERNARD
Tu pleures, garçon ? Écoute donc, il ne faut pourtant pas nous désoler si vite. Cette incompréhensible maladie ne nous a pas dit son dernier mot. Elle dort dans ce moment-ci, et, je te l'ai dit, cela est de bon augure. Qui sait ? Prenons nos précautions tout doucement, avec ménagement. Évitons, avant tout, qu'elle ne te voie trop vite : dans l'état où elle est, je n'oserais pas répondre…


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