(LES PRÉCÉDENTS , SER VESPASIANO .)
SER VESPASIANO(en entrant.)
J'attendrai ! c'est bon, j'attendrai ! Messeigneurs, je vous annonce le roi.(À Minuccio.)
Ah ! c'est toi, bel oiseau de passage ! Je t'ai mené hier un peu rudement, à souper chez cette petite ; mais je ne veux pas que tu m'en veuilles. Que diable, aussi ! tu t'attaques à moi, sous les regards de la beauté !
MINUCCIO
Je vous assure, seigneur, que je n'ai point de rancune, et que, si vous m'aviez fâché, vous vous en seriez douté tout de suite.
SER VESPASIANO
Je l'entends ainsi ; il y a place pour tout. Si tu t'avisais, dans ce palais, de gouailler un homme de ma sorte, on ne laisserait point passer cela ; mais tu conçois que je déroge un peu quand je vais chez la Carmosine, et qu'on n'est plus là sur ses grands chevaux.
MINUCCIO
Vous êtes trop bon de n'y pas monter. S'il ne s'agissait que de vous en faire descendre…
SER VESPASIANO
Ne te fâche pas, je te pardonne. En vérité, je joue depuis hier, en toute chose, d'un merveilleux guignon. Il faut que je t'en fasse le récit.
PERILLO(à part.)
Quelle espèce d'homme est-ce là ? Il a parlé de Carmosine.
SER VESPASIANO
Je t'ai dit combien j'aurais à cœur de posséder ces champs de Ceffalù et de Calatabellotte ; tu n'ignores pas où ils sont situés ?
MINUCCIO
Pardonnez-moi, illustrissime.
SER VESPASIANO
Ce sont des terres à fruits, près de mes pâturages.
MINUCCIO
Mais vos pâturages, où sont-ils ?
SER VESPASIANO
Hé, parbleu ! près de Ceffalù et de Calata…
MINUCCIO
J'entends bien, mais quand j'y ai été, autant qu'il peut m'en souvenir, il n'y avait là que des pierres et des moustiques.
SER VESPASIANO
Calatabellotte est un lieu fertile.
MINUCCIO
Oui, mais autour de ce lieu fertile, je dis qu'il n'y a…
SER VESPASIANO
Tu es un badin. Je souhaitais d'avoir ces terres, non pour le bien qu'elles rapportent, mais seulement pour m'arrondir ; cela m'encadrait singulièrement. Hier, sur un avis que je reçus de cette bonne dame Pâque…
PERILLO
Se pourrait-il ?…
SER VESPASIANO
Vous la connaissez ? Ce sont de petites gens, mais de bonnes gens, chez qui je vais le soir me débrider l'esprit, et me débotter l'imagination. La fille a de beaux yeux, c'est vous en dire assez ; car si ce n'était cela…
MINUCCIO
Et la dot ?
SER VESPASIANO
Eh bien ! oui, si tu veux, la dot. Ces gens de peu, cela amasse, mais ce n'est point ce dont je me soucie. Il suffit que l'enfant me plaise ; j'en avais touché un mot à la mère, et la bonne femme s'était prosternée. Hier donc, on m'invite à souper, et je m'attendais à une affaire conclue. Devines-tu, maintenant, beau trouvère ?
MINUCCIO
Un peu moins qu'avant de vous entendre.
SER VESPASIANO
Ce bouffon-là goguenarde toujours. Eh, mordieu ! au lieu d'un festin et d'une joyeuse fiancée, voilà des visages en pleurs, une créature à demi pâmée, et on me régale d'un écrit…
MINUCCIO(bas à Vespasiano.)
Taisez-vous, pour l'amour de Dieu !
SER VESPASIANO
Pourquoi donc en faire mystère, quand la fillette elle-même m'a dit qu'elle n'en fait point ! Quelle épître, bon Dieu ! quelle lettre ! quatre pages de lamentations…
MINUCCIO(bas.)
Vous oubliez que j'étais là, et que j'en sais autant que vous.
SER VESPASIANO
Mais non, pas du tout, c'est que tu ne sais rien, car tout le piquant de l'affaire, c'est que j'avais annoncé mon mariage au roi.
MINUCCIO
Et vous comptiez sur Ceffalù ?
SER VESPASIANO
Et Calatabellotte, cela va sans dire. À présent, que vais-je répondre, quand le roi, rentrant au palais, va me crier d'abord du haut de son destrier : Eh bien ! chevalier Vespasiano, où en êtes- vous de vos épousailles ? Cela est fort embarrassant. Tu me diras qu'en fin de compte la belle ne saurait m'échapper, je le sais bien ; mais pourquoi tant de façons ? Ces airs de caprice, quand je consens à tout, sont blessants et hors de propos.
PERILLO(bas à Perillo.)
Minuccio, que veut dire tout ceci ?
MINUCCIO(bas.)
Ne vois-tu pas quel est le personnage ?
SER VESPASIANO
Du reste, ce n'est pas précisément à la Carmosine que j'en veux, mais à ses sots parents ; car, pour ce qui la regarde, son intention était bien claire en me lisant cette lettre d'un rival dédaigné.
PERILLO
Qui avait écrit, s'il vous plaît, cette lettre dont vous parlez ?
SER VESPASIANO
Je ne sais qui, un certain Antoine, un clerc, je crois, un homme de la basoche…
PERILLO
J'ai l'honneur d'en être un, monsieur, et je vous prie de parler autrement.
SER VESPASIANO
Je suis gentilhomme et chevalier. — Parlez vous-même d'autre sorte.
MINUCCIO(à ser Vespasiano.)
Et moi je vous conseille de ne pas parler du tout.(À Perillo.)
Es-tu fou, Perillo, de provoquer un fou ?
PERILLO(tandis que ser Vespasiano s'éloigne.)
Ô Minuccio ! ma pauvre lettre ! mon pauvre adieu écrit avec mes larmes, le plus pur sanglot de mon cœur, la chose la plus sacrée du monde, le dernier serrement de main d'un ami qui nous quitte, elle a montré cela, elle l'a étalé aux regards de ce misérable ! Ô ingrate ! ingénéreuse fille ! elle a souillé le sceau de l'amitié, elle a prostitué ma douleur ! Ah, Dieu ! je te disais tout à l'heure que je ne pouvais plus souffrir ; je n'avais pas pensé à cela.
MINUCCIO
Promets-moi du moins…
PERILLO
Ne crains rien. Je n'ai pas été maître d'un mouvement d'impatience ; mais tout est fini, je suis calme.(Regardant ser Vespasiano qui se promène sur la scène.)
Pourquoi en voudrais-je à cet inconnu, à cet automate ridicule que Dieu fait passer sur ma route ? Celui-là ou tout autre, qu'importe ? Je ne vois en lui que la Destinée, dont il est l'aveugle instrument ; je crois même qu'il en devait être ainsi. Oui, c'est une chose très ordinaire. Quand un homme sincère et loyal est frappé dans ce qu'il a de plus cher, lorsqu'un malheur irréparable brise sa force et tue son espérance, lorsqu'il est maltraité, trahi, repoussé par tout ce qui l'entoure, presque toujours, remarque-le, presque toujours c'est un faquin qui lui donne le coup de grâce, et qui, par hasard, sans le savoir, rencontrant l'homme tombé à terre, marche sur le poignard qu'il a dans le cœur.
MINUCCIO
Il faut que je te parle, viens avec moi ; il faut que tu renonces à ce projet que tu as…
PERILLO
Il est trop tard.
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