(LES PRÉCÉDENTS , LE ROI , LA REINE .)
LE ROI
Que je n'entende jamais pareille chose ! Ce malheureux royaume est-il donc si maudit du ciel, si ennemi de son repos, qu'il ne puisse conserver la paix au dedans, tandis que je fais la guerre au dehors ! Quoi ! l'ennemi est à peine chassé, il se montre encore sur nos rivages, et lorsque je hasarde pour vous ma propre vie et celle de l'infant, je ne puis revenir un instant ici sans avoir à juger vos disputes !
LA REINE
Pardonnez-leur au nom de votre gloire et du nouveau succès de vos armes.
LE ROI
Non, par le ciel ! car ce sont eux précisément qui me feraient perdre le fruit de ces combats, avec leurs discordes honteuses, avec leurs querelles de paysans ! Celui-là, c'est l'orgueil qui le pousse, et celui-ci c'est l'avarice. On se divise pour un privilège, pour une jalousie, pour une rancune ; pendant que la Sicile tout entière réclame nos épées, on tire les couteaux pour un champ de blé. Est-ce pour cela que le sang français coule encore depuis les Vêpres ? Quel fut alors votre cri de guerre ? La liberté, n'est-ce pas, et la patrie ! et tel est l'empire de ces deux grands mots, qu'ils ont sanctifié la vengeance. Mais de quel droit vous êtes-vous vengés, si vous déshonorez la victoire ? Pourquoi avez-vous renversé un roi, si vous ne savez pas être un peuple ?
LA REINE
Sire, ont-ils mérité cela ?
LE ROI
Ils ont mérité pis encore, ceux qui troublent le repos de l'État, ceux qui ignorent ou feignent d'ignorer que, lorsqu'une nation s'est levée dans sa haine et dans sa colère, il faut qu'elle se rassoie, comme le lion, dans son calme et sa dignité.
LE ROI
Je vous le répète, soyez unis ; plus de dissentiments, de rivalité, chez les grands comme chez les petits ; sinon, si vous ne voulez pas ; si, au lieu de vous entr'aider, comme la loi divine l'ordonne, vous manquez au respect de vos propres lois, par la croix-Dieu ! je vous les rappellerai, et le premier de vous qui franchit la haie du voisin pour lui dérober un fétu, je lui fais trancher la tête sur la borne qui sert de limite à son champ. — Jérôme, ôte-moi cette épée.
(La foule se retire.)
LA REINE
Permettez-moi de vous aider.
LE ROI
Vous, ma chère ! vous n'y pensez pas. Cette besogne est trop rude pour vos mains délicates.
LA REINE
Oh ! je suis forte, quand vous êtes vainqueur. Tenez, don Pèdre, votre épée est plus légère que mon fuseau. — Le prince de Salerne est donc votre prisonnier ?
LE ROI
Oui, et monseigneur d'Anjou payera cher pour la rançon de ce vilain boiteux. — Pourquoi ces gens-là s'en vont-ils ?
(Il s'assoit.)
LA REINE
Mais, c'est que vous les avez grondés. Il ne reste plus dans la galerie qu'un jeune homme qui se promène là, d'un air bien triste et bien modeste. Il jette de temps en temps vers nous un regard qui semble vouloir dire : Si j'osais ! — Tenez, je gagerais qu'il a quelque chose de très-intéressant, de très-mystérieux à vous confier. Voyez cette contenance craintive et respectueuse en même temps ; je suis sûre que celui-là n'a pas de querelles avec ses voisins… Il s'en va. — Faut-il l'appeler ?
LE ROI
Si cela vous plaît.(La Reine fait un signe à l'officier du palais, qui va avertir Perillo ; celui-ci s'approche du roi et met un genou en terre. )
As-tu quelque chose à me dire ?
PERILLO
Sire, je crains qu'on ne m'ait trompé.
LE ROI
En quoi trompé ?
PERILLO
On m'avait dit que le roi daignait permettre au plus humble de ses sujets d'approcher de sa personne sacrée, et de lui exposer…
LE ROI
Que demandes-tu ?
PERILLO
Une place dans votre armée.
LE ROI
Adresse-toi à mes officiers.(Perillo se lève et s'incline.)
Pourquoi es-tu venu à moi ?
PERILLO
Sire, la demande que j'ose faire peut décider de toute ma vie. Nous ne voyons pas la Providence, mais la puissance des rois lui ressemble, et Dieu leur parle de plus près qu'à nous.
LE ROI
Tu as bien fait, mais tu as un habit qui ne va guère avec une cuirasse.
PERILLO
J'ai étudié pour être avocat, mais aujourd'hui j'ai d'autres pensées.
LE ROI
D'où vient cela ?
PERILLO
Je suis Sicilien, et Votre Majesté disait tout à l'heure…
LE ROI
L'homme de loi sert son pays tout aussi bien que l'homme d'épée. Tu veux me flatter. — Ce n'est pas là ta raison.
PERILLO
Que Votre Majesté me pardonne…
LE ROI
Allons, voyons ! parle franchement. Tu as perdu au jeu, ou ta maîtresse est morte.
PERILLO
Non, Sire, non, vous vous trompez.
LE ROI
Je veux connaître le motif qui t'amène.
LA REINE
Mais, Sire, s'il ne veut pas le dire ?
PERILLO
Madame, si j'avais un secret, je voudrais qu'il fût à moi seul, et qu'il valût la peine de vous être dit.
LA REINE
S'il ne t'appartient pas, garde-le. — Ce n'est pas la moins rare espèce de courage.
LE ROI
Fort bien. — Sais-tu monter à cheval ?
PERILLO
J'apprendrai, Sire.
LE ROI
Tu t'imagines cela ? Voilà de mes cavaliers en herbe, qui s'embarqueraient pour la Palestine, et qu'un coup de lance jette à bas, comme ce pauvre Vespasiano !
LA REINE
Mais, Sire, est-ce donc si difficile ? Il me semble que moi, qui ne suis qu'une femme, j'ai appris en fort peu de temps, et je ne craindrais pas votre cheval de bataille.
LE ROI
En vérité !(À Perillo.)
Comment t'appelles-tu ?
PERILLO
Perillo, Sire.
LE ROI
Eh bien ! Perillo, en venant ici, tu as trouvé ton étoile. Tu vois que la reine te protège. — Remercie-la et vends ton bonnet, afin de t'acheter un casque.
(Perillo s'agenouille de nouveau devant la reine, qui lui donne sa main à baiser.)
LA REINE
Perillo. La première cause de la tienne aura été (souviens-toi de cela)
la discrétion dont tu as fait preuve. Fais ton profit de l'avis que je te donne, car je suis femme et curieuse, et je puis te dire, à bon escient, que la plus curieuse des femmes, si elle s'amuse de celui qui parle, n'estime que celui qui se tait.
LE ROI
Je vous dis qu'il a un chagrin d'amour, et cela ne vaut rien à la guerre.
PERILLO
Pour quelle raison, Sire ?
LE ROI
Parce que les amoureux se battent toujours trop ou trop peu, selon qu'un regard de leur belle leur fait éviter ou chercher la mort.
PERILLO
Celui qui cherche la mort peut aussi la donner.
LE ROI
Commence par là ; c'est le plus sage.
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