(Dans le château.)
Entrent Othello, Desdémona, Cassio et des Serviteurs.OTHELLO.
— Mon bon Michel, veillez à la garde cette nuit ; sachons contenir le plaisir dans l’honorable limite — de la modération.
CASSIO.
Iago a reçu les instructions nécessaires. — Néanmoins, je veux de mes propres yeux — tout inspecter.
OTHELLO.
Iago est très-honnête. — Bonne nuit, Michel ! Demain, de très-bonne heure, — j’aurai à vous parler.
À Desdémona.
Venez, cher amour : — l’acquisition faite, l’usufruit doit s’ensuivre ; — le rapport est encore à venir entre vous et moi.
À Cassio.
— Bonne nuit !
Sortent Othello, Desdémona et leur suite.
Entre Iago.
CASSIO.
Vous êtes le bienvenu, Iago : rendons-nous à notre poste.
IAGO.
Pas encore, lieutenant : il n’est pas dix heures. Notre général ne nous a renvoyés si vite que par amour pour sa Desdémona. Ne l’en blâmons pas. Il n’a pas encore fait nuit joyeuse avec elle, et la fête est digne de Jupiter.
CASSIO.
C’est une femme bien exquise.
IAGO.
Et, je vous le garantis, pleine de ressources.
CASSIO.
Vraiment, c’est une créature d’une fraîcheur, d’une délicatesse suprêmes.
IAGO.
Quel regard elle a ! il me semble qu’il bat la chamade de la provocation.
CASSIO.
Le regard engageant, et pourtant, ce me semble, parfaitement modeste.
IAGO.
Et quand elle parle, n’est-ce pas le tocsin de l’amour ?
CASSIO.
Vraiment, elle est la perfection même.
IAGO.
C’est bien ! bonne chance à leurs draps !… Allons, lieutenant, j’ai là une cruche de vin, et il y a à l’entrée une bande de galants Chypriotes qui seraient bien aises d’avoir une rasade à la santé du noir Othello.
CASSIO.
Pas ce soir, bon Iago ! j’ai pour boire une très-pauvre et très-malheureuse cervelle. Je ferais bien de souhaiter que la courtoisie inventât quelque autre plaisir sociable.
IAGO.
Oh ! ils sont tous nos amis. Une seule coupe ! je la boirai pour vous.
CASSIO.
Je n’en ai bu qu’une ce soir, et prudemment arrosée encore ; voyez pourtant quel changement elle fait en moi. J’ai une infirmité malheureuse, et je n’ose pas imposer à ma faiblesse une nouvelle épreuve.
IAGO.
Voyons, l’homme ! c’est une nuit de fête. Nos galants le demandent.
CASSIO.
Où sont-ils ?
IAGO.
Là, à la porte : je vous en prie, faites-les entrer.
CASSIO.
J’y consens, mais cela me déplaît.
Il sort.
IAGO, seul.
— Si je puis seulement lui enfoncer une seconde coupe — sur celle qu’il a déjà bue ce soir, — il va être aussi querelleur et aussi irritable — que le chien de ma jeune maîtresse… Maintenant, mon fou malade, Roderigo, — que l’amour a déjà mis presque sens dessus dessous, — a ce soir même porté à Desdémona — des toasts profonds d’un pot, et il est de garde ! — Et puis ces trois gaillards chypriotes, esprits gonflés d’orgueil, — qui maintiennent leur honneur à une méticuleuse distance, — et en qui fermente le tempérament de cette île belliqueuse, — je les ai ce soir même échauffés à pleine coupe, — et ils sont de garde aussi… Enfin, au milieu de ce troupeau d’ivrognes, — je vais engager Cassio dans quelque action — qui mette l’île en émoi… Mais les voici qui viennent. — Si le résultat confirme mon rêve, — ma barque va filer lestement, avec vent et marée !
Cassio rentre, suivi de Montano et de quelques gentilshommes.
CASSIO.
Par le ciel ! ils m’ont déjà fait boire un coup.
MONTANO.
Un bien petit, sur ma parole : pas plus d’une pinte, foi de soldat !
IAGO.
Holà ! Du vin !
Il chante.
Et faites-moi trinquer la canette,
Et faites-moi trinquer la canette.
Un soldat est un homme, et la vie n’est qu’un moment.
Faites donc boire le soldat.
Du vin, pages !
On apporte du vin.
CASSIO.
Par le ciel ! voilà une excellente chanson.
IAGO.
Je l’ai apprise en Angleterre, où vraiment les gens ne sont pas impotents devant les pots. Votre Danois, votre Allemand et votre Hollandais ventru… À boire, holà !… ne sont rien à côté de votre Anglais.
CASSIO.
Votre Anglais est-il donc si expert à boire ?
IAGO.
Oh ! il vous boit, avec facilité, votre Danois ivre-mort ; il peut sans suer renverser votre Allemand, et il a déjà fait vomir votre Hollandais, qu’il a encore un autre pot à remplir !
Tous remplissent leurs verres.
CASSIO.
À la santé de notre général !
MONTANO.
J’en suis, lieutenant, et je vous fais raison.
IAGO.
Ô suave Angleterre !
Il chante.
Le roi Étienne était un digne pair.
Ses culottes ne lui coûtaient qu’une couronne ;
Il trouvait ça six pence trop cher,
Et aussi il appelait son tailleur un drôle.
C’était un être de haut renom,
Et toi, tu n’es qu’un homme de peu.
C’est l’orgueil qui ruine le pays.
Prends donc sur toi ton vieux manteau !
Holà ! Du vin !
CASSIO.
Tiens ! Cette chanson est encore plus exquise que l’autre.
IAGO.
Voulez-vous l’entendre de nouveau ?
CASSIO, d’une voix avinée.
Non, car je tiens pour indigne de son rang celui qui fait ces choses… Bon !… Le ciel est au-dessus de tous ; il y a des âmes qui doivent être sauvées, et il y a des âmes qui ne doivent pas être sauvées.
IAGO.
C’est vrai, bon lieutenant.
CASSIO.
Pour ma part, sans offenser le général ni aucun homme de qualité, j’espère être sauvé.
IAGO.
Et moi aussi, lieutenant.
CASSIO.
Oui, mais permettez ! après moi. Le lieutenant doit être sauvé avant l’enseigne… Ne parlons plus de ça ; passons à nos affaires… Pardonnez-nous nos péchés !… Messieurs, veillons à notre service !… N’allez pas, Messieurs, croire que je suis ivre ! Voici mon enseigne, voici ma main droite et voici ma gauche… Je ne suis pas ivre en ce moment : je puis me tenir assez bien et je parle assez bien.
TOUS.
Excessivement bien.
CASSIO.
Donc, c’est très bien : vous ne devez pas croire que je suis ivre.
Il sort, en chancelant.
MONTANO.
À la plate-forme, mes maîtres ! Allons relever le poste.
IAGO, à Montano.
— Vous voyez ce garçon qui vient de sortir : — c’est un soldat digne d’être aux côtés de César — et fait pour commander. Eh bien, voyez son vice : — il fait avec sa vertu un équinoxe exact ; — l’un est égal à l’autre. C’est dommage. — J’ai bien peur, vu la confiance qu’Othello met en lui, qu’un jour — quelque accès de son infirmité — ne bouleverse cette île.
MONTANO.
Mais est-il souvent ainsi ?
IAGO.
— C’est pour lui le prologue continuel du sommeil ; — il resterait sans dormir deux fois douze heures, — si l’ivresse ne le berçait pas.
MONTANO.
Il serait bon — que le général fût prévenu de cela. — Peut-être ne s’en aperçoit-il pas ; peut-être sa bonne nature, — à force d’estimer le mérite qui apparaît en Cassio, — ne voit-elle pas ses défauts. N’ai-je pas raison ?
Entre Roderigo.
IAGO, à part.
Ah ! C’est vous, Roderigo ! — Je vous en prie, courez après le lieutenant, allez !
Roderigo sort.
MONTANO.
— C’est grand dommage que le noble More — hasarde un poste comme celui de son lieutenant — sur un homme ayant une infirmité si enracinée. — Ce serait une honnête action de le dire — au More.
IAGO.
Moi, je ne le ferais pas pour toute cette belle île. — J’aime fort Cassio, et je ferais beaucoup — pour le guérir de son mal… Mais écoutez ! Quel est ce bruit ?
CRIS AU DEHORS.
Au secours ! au secours !
Rentre Roderigo, poursuivi par Cassio.
CASSIO.
— Coquin ! chenapan !
MONTANO.
Qu’y a-t-il, lieutenant ?
CASSIO.
— Le drôle ! vouloir m’apprendre mon devoir ! — Je vais battre ce drôle jusqu’à ce qu’il entre dans une bouteille d’osier.
RODERIGO.
— Me battre !
CASSIO.
Tu bavardes, coquin ?
Il frappe Roderigo.
MONTANO, l’arrêtant.
Voyons, bon lieutenant ; — Je vous en prie, monsieur, retenez votre main.
CASSIO.
Lâchez-moi, monsieur, — ou je vous écrase la mâchoire.
MONTANO.
Allons ! allons ! Vous êtes ivre.
CASSIO.
Ivre !
Cassio et Montano dégainent et se battent.
IAGO, bas, à Roderigo.
En route, vous dis-je ! Sortez et criez à l’émeute !
Roderigo sort.
— Voyons, mon bon lieutenant !… par pitié, messieurs !… — Holà ! au secours !… Lieutenant ! seigneur Montano !… — Au secours, mes maîtres !… Voilà une superbe faction, en vérité.
Le tocsin sonne.
— Qui est-ce qui sonne la cloche ?… Diable ! ho ! — Toute la ville va se lever… Au nom de Dieu ! lieutenant ! arrêtez ! — Vous allez être déshonoré à jamais !
Entrent Othello avec sa suite.
OTHELLO.
Que se passe-t-il ici ?
MONTANO.
— Mon sang ne cesse de couler : je suis blessé à mort. Qu’il meure !
Il s’élance sur Cassio.
OTHELLO.
— Sur vos têtes, arrêtez !
IAGO.
— Arrêtez ! holà ! Lieutenant ! Seigneur Montano ! Messieurs ! — Avez-vous perdu tout sentiment de votre rang et de votre devoir ? — Arrêtez ! le général vous parle. Arrêtez ! par pudeur !
Le tocsin sonne toujours. Les combattants se séparent.
OTHELLO.
— Voyons ! qu’y a-t-il ? Holà ! Quelle est la cause de ceci ? — Sommes-nous changés en Turcs pour nous faire à nous-mêmes — ce que le ciel a interdit aux Ottomans ? — Par pudeur chrétienne, laissez là cette rixe barbare ; — celui qui bouge pour se faire l’écuyer tranchant de sa rage — tient son âme pour peu de chose : il meurt au premier mouvement.
Aux gens de sa suite.
— Qu’on fasse taire cette horrible cloche qui met cette île effarée — hors d’elle-même ! De quoi s’agit-il, mes maîtres ? — Honnête Iago, toi qui sembles mort de douleur, — parle. Qui a commencé ? Sur ton dévouement, je te somme de parler.
IAGO.
— Je ne sais pas : tout à l’heure, tout à l’heure encore, il n’y avait au quartier — que de bons amis, affectueux comme des fiancés — se déshabillant pour le lit ; et aussitôt, — comme si quelque planète avait fait déraisonner les hommes, — les voilà, l’épée en l’air, qui se visent à la poitrine — dans une joûte à outrance. Je ne puis dire comment — a commencé cette triste querelle, — et je voudrais avoir perdu dans une action glorieuse — les jambes qui m’ont amené pour être témoin de ceci.
OTHELLO, à Cassio.
— Comment se fait-il, Michel, que vous vous soyez oublié ainsi ?
CASSIO.
— De grâce, pardonnez-moi ! Je ne puis parler.
OTHELLO.
— Digne Montano, vous étiez de mœurs civiles ; — la gravité et le calme de votre jeunesse — ont été remarqués par le monde, et votre nom est grand — dans la bouche de la plus sage censure. Comment se fait-il — que vous gaspilliez ainsi votre réputation, — et que vous échangiez votre riche renom pour le titre — de tapageur nocturne ? Répondez-moi.
MONTANO.
— Digne Othello, je suis dangereusement blessé. — Votre officier Iago peut, — en m’épargnant des paroles qui en ce moment me feraient mal, — vous raconter tout ce que je sais. Je ne sache pas — que cette nuit j’aie dit ou fait rien de blâmable, — à moins que la charité pour soi-même ne soit parfois un vice, — et que ce ne soit un péché de nous défendre — quand la violence nous attaque.
OTHELLO.
Ah ! par le ciel, — mon sang commence à dominer mes inspirations les plus tutélaires, — et la colère, couvrant de ses fumées mon calme jugement, — essaye de m’entraîner. Pour peu que je bouge, — si je lève seulement ce bras, le meilleur d’entre vous — s’abîmera dans mon indignation. Dites-moi — comment cette affreuse équipée a commencé et qui l’a causée ; — et celui qui sera reconnu coupable, — me fût-il attaché dès la naissance comme un frère jumeau, — je le rejetterai de moi… Quoi ! Dans une ville de guerre, — encore frémissante, où la frayeur déborde de tous les cœurs, — engager une querelle privée et domestique, — la nuit, dans la salle des gardes, un lieu d’asile ! — C’est monstrueux !… Iago, qui a commencé ?
MONTANO, à Iago.
— Si, par partialité d’affection ou d’esprit de corps, — tu dis plus ou moins que la vérité, — tu n’es pas un soldat !
IAGO, à Montano.
Ne me touchez pas de si près… — J’aimerais mieux avoir la langue coupée — que de faire tort à Michel Cassio ; — mais je suis persuadé que je puis dire la vérité — sans lui nuire en rien, voici les faits, général : — tandis que nous causions, Montano et moi, — arrive un individu criant au secours ! — et, derrière lui, Cassio, l’épée tendue, — prêt à le frapper. Alors, seigneur,
Montrant Montano.
Ce gentilhomme — s’interpose devant Cassio et le supplie de s’arrêter. — Moi, je me mets à la poursuite du criard — pour l’empêcher, comme cela est arrivé, — d’effrayer la ville par ses clameurs. Mais il avait le pied si leste — qu’il a couru hors de ma portée, et je suis revenu d’autant plus vite — que j’entendais le cliquetis et le choc des épées — et Cassio qui jurait très-fort : ce que jusqu’ici — il n’avait jamais fait, que je sache. Quand je suis rentré, — et ce n’a pas été long, je les ai trouvés l’un contre l’autre, — en garde et ferraillant, exactement comme ils étaient — quand vous êtes venu vous-même les séparer. — Je n’ai rien à dire de plus, — si ce n’est que les hommes sont hommes, et que les meilleurs s’oublient parfois. — Quoique Cassio ait eu un petit tort envers celui-ci — (on sait que les gens en rage frappent ceux à qui ils veulent le plus de bien), — il est certain, selon moi, que Cassio — a reçu du fuyard quelque outrage excessif — que la patience ne pouvait supporter.
OTHELLO.
Je le vois, Iago, — ton honnêteté et ton affection atténuent cette affaire — pour la rendre légère à Cassio… Cassio, je t’aime, — mais désormais tu n’es plus de mes officiers.
Entrent Desdémona et sa suite.
— Voyez si ma douce bien-aimée n’a pas été réveillée !…
À Cassio.
Je ferai de toi un exemple.
DESDÉMONA.
— Que se passe-t-il donc, cher ?
OTHELLO.
Tout est bien, ma charmante ! — Viens au lit.
À Montano.
Monsieur, pour vos blessures, — je serai moi-même votre chirurgien… Qu’on l’emmène !
On emporte Montano.
— Iago, parcours avec soin la ville, — et calme ceux que cette ignoble bagarre a effarés… — Allons, Desdémona ! C’est la vie du soldat — de voir ses salutaires sommeils troublés par l’alerte.
Tous sortent, excepté Iago et Cassio.
IAGO.
Quoi ! Êtes-vous blessé, lieutenant ?
CASSIO.
Oui, et incurable.
IAGO.
Diantre ! au ciel ne plaise !
CASSIO.
Réputation ! Réputation ! Réputation ! Oh ! J’ai perdu ma réputation ! J’ai perdu la partie immortelle de moi-même, et ce qui reste est bestial !… Ma réputation, Iago, ma réputation !
IAGO.
Foi d’honnête homme ! J’avais cru que vous aviez reçu quelque blessure dans le corps : c’est plus douloureux là que dans la réputation. La réputation est un préjugé vain et fallacieux : souvent gagnée sans mérite et perdue sans justice. Vous n’avez pas perdu votre réputation du tout, à moins que vous ne vous figuriez l’avoir perdue. Voyons, l’homme ! Il y a des moyens de ramener le général. Il vous a renvoyé dans un moment d’humeur, punition prononcée par la politique plutôt que par le ressentiment ; juste comme on frapperait son chien inoffensif pour effrayer un lion impérieux. Implorez-le de nouveau, et il est à vous.
CASSIO.
J’aimerais mieux implorer son mépris que d’égarer la confiance d’un si bon chef sur un officier si léger, si ivrogne et si indiscret !… Être ivre ! jaser comme un perroquet et se chamailler ! Vociférer, jurer et parler charabia avec son ombre !… Ô toi, invisible esprit du vin, si tu n’as pas de nom dont on te désigne, laisse-nous t’appeler démon !
IAGO.
Quel était celui que vous poursuiviez avec votre épée ? Que vous avait-il fait ?
CASSIO.
Je ne sais pas.
IAGO.
Est-il possible ?
CASSIO.
Je me rappelle une masse de choses, mais aucune distinctement ; une querelle, mais nullement le motif. Oh ! se peut-il que les hommes s’introduisent un ennemi dans la bouche pour qu’il leur vole la cervelle, et que ce soit pour nous une joie, un plaisir, une fête, un triomphe, de nous transformer en bêtes !
IAGO.
Eh ! mais, vous êtes assez bien maintenant : comment vous êtes-vous remis ainsi ?
CASSIO.
Il a plu au démon Ivrognerie de céder sa place au démon Colère : une imperfection m’en montre une autre pour me faire bien franchement mépriser de moi-même.
IAGO.
Allons ! Vous êtes un moraliste trop sévère. Vu l’époque, le lieu et l’état de ce pays, j’aurais cordialement désiré que ceci ne fût pas arrivé : enfin, puisque la chose est ce qu’elle est, réparez-la à votre avantage.
CASSIO.
Que je veuille lui redemander ma place, il me dira que je suis un ivrogne. J’aurais autant de bouches que l’Hydre, qu’une telle réponse me les fermerait toutes… Être à présent un homme sensé, tout à l’heure un fou, et bientôt une brute ! Oh ! étrange ! Chaque coupe de trop est maudite et a pour ingrédient un démon.
IAGO.
Allons, allons, le bon vin est un bon être familier quand on en use convenablement ; ne vous récriez plus contre lui. Bon lieutenant ! vous pensez, je pense, que je vous aime.
CASSIO.
Je l’ai bien éprouvé, monsieur !… Moi, ivre !
IAGO.
Vous, comme tout autre vivant, vous pouvez être ivre une fois par hasard, l’ami ! Je vais vous dire ce que vous devez faire. La femme de notre général est maintenant le général. Je puis le dire, en ce sens qu’il s’est consacré tout entier, remarquez bien ! à la contemplation et au culte des qualités et des grâces de sa femme. Confessez-vous franchement à elle. Importunez-la pour qu’elle vous aide à rentrer en place : elle est d’une disposition si généreuse, si affable, si obligeante, si angélique, qu’elle regarde comme un vice de sa bonté de ne pas faire plus que ce qui lui est demandé. Eh bien, cette jointure brisée entre vous et son mari, priez-la de la raccommoder, et je parie ma fortune contre un enjeu digne de ce nom qu’après cette fracture votre amitié sera plus forte qu’auparavant.
CASSIO.
Vous me donnez là de bons avis.
IAGO.
Ce sont ceux, je vous assure, d’une amitié sincère et d’une honnête bienveillance.
CASSIO.
Je le crois sans réserve ; aussi irai-je, de bon matin, supplier la vertueuse Desdémona d’intercéder pour moi. Je désespère de ma fortune, si elle me tient échoué là.
IAGO.
Vous êtes dans le vrai. Bonne nuit, lieutenant ! Il faut que je fasse ma ronde.
CASSIO.
Bonne nuit, honnête Iago.
Sort Cassio.
IAGO, seul.
— Et qu’est-ce donc qui dira que je joue le rôle d’un fourbe, — quand l’avis que je donne est si loyal, si honnête, — si conforme à la logique, et indique si bien le moyen — de faire revenir le More ? Quoi de plus facile — que d’entraîner la complaisante Desdémona — dans une honnête intrigue ? Elle a l’expansive bonté — des éléments généreux. Et quoi de plusfacile pour elle — que de gagner le More ? S’agît-il pour lui de renier son baptême — et toutes les consécrations, tous les symboles de la Rédemption, — il a l’âme tellement enchaînée à son amour pour elle, — qu’elle peut faire, défaire, refaire tout à son gré, — selon que son caprice veut exercer sa divinité — sur la faible nature du More. En quoi donc suis-je un fourbe — de conseiller à Cassio la parallèle qui le mène droit au succès ? Divinité de l’enfer ! — Quand les démons veulent produire les forfaits les plus noirs, — ils les présentent d’abord sous des dehors célestes, — comme je fais en ce moment. En effet, tandis que cet honnête imbécile — suppliera Desdémona de réparer sa fortune — et qu’elle plaidera chaudement sa cause auprès du More, — je verserai dans l’oreille de celui-ci la pensée pestilentielle — qu’elle ne réclame Cassio que par désir charnel ; — et plus elle tâchera de faire du bien à Cassio, — plus elle perdra de crédit sur le More. — C’est ainsi que je changerai sa vertu en glu, et que de sa bonté je ferai le filet — qui les enserrera tous… Qu’y a-t-il, Roderigo ? —
Le jour commence à poindre.
Entre Roderigo.
RODERIGO.
Je suis ici à la chasse, non comme le limier qui relance, mais seulement comme celui qui donne le cri. Mon argent est presque entièrement dépensé ; j’ai été cette nuit parfaitement bâtonné, et l’issue que je vois à tout ceci, c’est que j’aurai de l’expérience pour mes peines, et qu’alors avec tout mon argent de moins et un peu d’esprit de plus, je retournerai à Venise.
IAGO.
— Pauvres gens ceux qui n’ont pas de patience ! — Quelle blessure s’est jamais guérie autrement que par degrés ? — Tu sais bien que nous opérons par l’intelligence et non par la magie, — et l’intelligence est soumise aux délais du temps. — Tout ne va-t-il pas bien ? Cassio t’a battu, — et toi, par cette légère contusion, tu as cassé Cassio. — Il y a bien des choses qui poussent vite sous le soleil, — mais les plantes qui sont les premières à porter fruit commencent d’abord par fleurir. — Patience donc !… Par la messe, voici le matin : — le plaisir et l’action font paraître courtes les heures. — Rentre, va au logement que t’indique ton billet. — En route, te dis-je ! tu en sauras bientôt davantage. — Allons, esquive-toi.
Roderigo sort.
Deux choses restent à faire. — Ma femme doit agir pour Cassio auprès de sa maîtresse. — Je vais la faire mouvoir ; — moi-même, pendant ce temps, je prends le More à part, — et je l’amène brusquement dès qu’il peut surprendre Cassio — sollicitant sa femme… Oui, voilà la marche ; n’énervons pas l’idée par la froideur et les retards.
Il sort.
Dans un château, Othello, Desdémona, Cassio et des serviteurs se retrouvent. Othello confie à Cassio de veiller lors de la nuit et montre de l'affection pour Desdémona. Cassio insiste pour inspecter lui-même la situation. Iago entre et, après quelques échanges, propose à Cassio de boire du vin avec lui et d'autres officiers. Malgré des réticences, Cassio cède, mettant en évidence son penchant pour l'alcool. Iago, calculateur, envisage de provoquer Cassio pour l'entraîner dans des problèmes. Alors que les autres commencent à boire et à chanter, des tensions montent et Cassio, hâtivement, se retrouve en désaccord avec Roderigo. Une bagarre éclate, provoquant l'alarme dans le château.
Othello arrive sur les lieux de la rixe, inquiet de la situation qui se déroule sous ses yeux. Montano est grièvement blessé et fait appel à Othello pour résoudre le conflit. Iago, toujours habile dans sa manipulation, feint l'ignorance mais émet des hypothèses pour apaiser Othello. Cassio, malgré sa défaite, tente d'expliquer son comportement mais finit par être renvoyé par Othello. Sa réputation, précieuse pour lui, est en jeu, et il se sent abattu.
Iago, profitant de la situation, encourage Cassio à demander l'aide de Desdémona pour regagner la confiance d'Othello. Cassio, désespéré par la tournure des événements, projette de demander une faveur à Desdémona pour restaurer sa position. Iago continue de manipuler les circonstances à son avantage, se moquant de la réputation de Cassio et ruminant ses propres plans pour influencer Othello contre sa femme. Roderigo, un autre conspirateur des desseins d'Iago, exprime son impatience face à la situation et à la perte d'argent dans cette conspiration.
Iago, en contrôlant les informations, envisage d'utiliser Desdémona pour exacerber la jalousie d'Othello et détourner son attention des manigances qui se trament autour de lui. Il projette de se servir des traits affectueux de Desdémona pour instrumentaliser la situation à ses propres fins, tout en s'assurant que Cassio continue de dépendre de l'assistance de la femme d'Othello. Le texte met ainsi en lumière les thèmes de la manipulation, de l'ivresse et de la réputation, alors qu'Iago ourdit ses plans pour provoquer le malheur des autres tout en préservant l'apparence de l'honnêteté.
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