(ORONTE, CLITON.)
Oronte
Que tu raisonnes mal ! Quoi, tu te figures…
Cliton
Moi ? J'y perds mon latin et toutes ses mesures,
Et pourrois raisonner jusques au Jugement.
Que j'y perdrois encor tout mon raisonnement.
Oronte
Confesse que je sais, Cliton, comme il faut vivre.
Cliton
Vous allez si beau train qu'on ne vous sauroit suivre ;
Quant à moi, j'y renonce. Après les rudes coups
Que vous reçûtes hier à vos deux rendez-vous,
Qui n'auroit pas juré que dans votre colère
Vous eussiez dû maudire et l'Amour et sa Mère,
Soupirez et gémir tout le long de la nuit,
Ne sortir de trois jours, et peut-être de huit,
L'esprit chargé d'ennuis, le cœur gros d'amertume ?
Cependant vous voilà plus gai que de coutume,
Vous chantez, vous dansez, vous faites l'entendu,
Et vous semblez n'avoir ni gagné ni perdu.
Votre façon d'agir est bien hétéroclite.
Oronte
En quoi te surprend-elle ? On me quitte, et je quitte.
Cliton
Si l'on montre pour vous quelques légèretés,
On ne vous rend, Monsieur, que ce que vous prêtez.
Et Maîtresse, et Suivante, et blanche, et brune, et blonde,
Vous vous accommodez de tout le mieux du monde,
Votre haut appétit en prend à gauche, à droit,
Et rien à votre goût n'est trop chaud ni trop froid.
Oronte
C'est aimer à peu près comme il faut que l'on aime.
Cliton
Aussi commence-t-on à vous aimer de même
Oronte
Je ne m'en fâche point.
Cliton
À vous parler sans fard,
Je crois que votre amour est quelque amour bâtard.
Oronte
Il est vrai que sur lui je garde assez d'empire.
Cliton
Plus je vous examine, et plus je vous admire.
Tantôt l'œil vif et gai vous faites le Galant,
Tantôt morne et pensif vous faites le dolent ;
Ici l'air enjoué vous contez des merveilles,
Là de soupirs aigus vous percer les oreilles,
Je m'y laisse duper moi-même assez souvent,
Vous pleurez, vous riez, et tout cela du vent.
Quels tours de passe-passe !
Oronte
Et mon humeur t'étonne ?
Cliton
Je n'en connu jamais de si Caméléonne,
Chaque objet lui fait prendre un jeu tout différent.
Oronte
C'est ainsi que l'amour jamais ne me surprend,
Je le brave, et par là rendant ses ruses vaines,
J'en goûte les douceurs sans en sentir les peines.
Cliton
Quoi, donner tout ensemble et reprendre son cœur,
C'est amour ?
Oronte
C'est amour, Cliton, et du meilleur.
Cliton
Mais l'Amour, n'est-ce pas une ardeur inquiète,
(Car si j'y suis Grec depuis que j'en tiens pour Lisette.)
Un frisson tout de flamme, un accident confus,
Qui brouille la cervelle, et rend l'esprit perclus,
Une peine qui plaît encor qu'elle incommode ?
Oronte
C'est l'amour du vieux temps, il n'est plus à la mode.
Cliton
Il n'est plus à la mode ?
Oronte
Il est lourd et grossier.
Cliton
Que faut-il faire donc pour le modifier ?
Oronte
Ma conduite aisément te lèvera ce doute.
Examine-la bien.
Cliton
Ma foi, je n'y vois goutte ;
Si vous voulez m'instruire, il faut mieux s'expliquer.
Oronte
Écoute pour cela ce qu'il faut pratiquer.
Avoir pour tous Objets la même complaisance,
Savoir aimer par cœur et sans que l'on y pense,
En conter par coutume et pour se divertir,
Se plaindre d'un grand mal et n'en point ressentir,
En faire adroitement le visage interprète,
N'avertir point son cœur de quoi que l'on promette,
D'un mensonge au besoin faire une vérité,
Se montrer quelquefois à demi transporté,
Parler de passion, de soupirs et de flammes,
Et pour ne risquer rien en pratiquant les femmes,
Les adorer en gros toutes confusément,
Et les mésestimer toutes séparément.
Voilà la bonne règle.
Cliton
Ô la haute science !
Vous savez de l'amour tirer la quintessence.
N'importe, pour Lisette avisez, tout ou rien,
Songez pour elle-même à lui vouloir du bien,
Autrement…
Oronte
Sans colère ; un jour ou deux peut-être
Me feront consentir à t'en laisser le Maître,
Je ne suis pas encor dépourvu tout à fait,
Dorotée est fidèle, et j'en suis satisfait.
Cliton
Mais Éraste caché fait assez voir qu'on l'aime ?
Oronte
J'ai su toute l'intrigue.
Cliton
Et de qui ?
Oronte
De lui-même,
Que retournant chez lui hier soir assez tard,
Il s'étoit à sa porte arrêté par hasard,
Que la trouvant ouverte, et la croyant entendre,
Seule avec sa Suivante il l'avoit pu surprendre,
Et qu'à peine il goûtoit un entretien si cher,
Que son Père frappant on l'avoit fait cacher.
Vois s'il m'en doit rester quelque scrupule en l'âme.
Cliton
Vous êtes né coiffé.
Oronte
Le bon est pour Florame.
S'il brûloit de savoir qui possède son cœur,
C'étoit pour Dorotée, et non pas pour sa Sœur,
Si bien que lui contant par quelle tyrannie
Lui donnant Dorotée on l'arrache à Lucie,
Je l'ai vu prêt soudain de répondre à ses vœux,
S'il rompoit un Hymen si contraire à ses feux.
Là Florame passant, bons Amis, et sans peine,
À l'amour qui les pique ils ont donné leur haine,
Et par ce doux accord leurs différents cessés,
Devant moi sans contrainte ils se sont embrassés.
Cliton
De sorte que Lucie à Florame est acquise ?
Oronte
Oui, son Frère y consent, et par mon entremise.
Cliton
Vous ne la verrez plus ?
Oronte
Moi ? Comme auparavant.
Cliton
Mais elle vous endort d'un espoir décevant,
Et tandis qu'autre part sa franchise arrêtée
Fait voir…
Oronte
J'en crus bien hier autant de Dorotée,
Et cependant, Cliton, je le crus faussement.
Cliton
Mais celle-ci, Monsieur, vous fourbe apparemment.
Oronte
Peut-être suis-je encor trompé par l'apparence.
Cliton
Quoi, vous croyez Florame assez…
Oronte
Vois qu'il s'avance ;
J'en puis fort aisément sur l'heure être éclairci.
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