(DOROTEE, LISETTE.)
Dorotée
La promenade est belle, et ce lieu fort charmant.
Lisette
Voici l'heure à peu près qu'on y voit le beau monde.
Dorotée
Aux rendez-vous publics d'ordinaire il abonde,
Et surtout, nos galants prennent soin chaque jour
D'y venir débiter leur gazette d'amour,
C'est-à-dire, Lisette, autant de menteries…
Lisette
Donc le bureau d'adresse en est aux Tuileries ?
Dorotée
Tu dis vrai, c'est ici qu'on nous en vient conter,
Et j'y suis comme une autre à dessein d'écouter.
Les hommes sont trompeurs, mais quoi qu'on puisse faire,
Il faut quitter le monde, ou tâcher de leur plaire,
Puisque enfin la beauté n'est qu'un triste ornement
Si de la complaisance elle n'a l'agrément.
Les plus charmants attraits qui parent un visage
Sans cette qualité n'ont qu'un appas sauvage,
Ce sont trésors cachés qui ne servent de rien.
Pour moi, j'ai ma méthode, et je m'en trouve bien,
À plaire aux yeux de tous mon esprit s'étudie,
Je tâche d'être belle afin qu'on me le die,
Et fais fort peu d'état de ces dons précieux
Dont le farouche éclat ne frappe point les yeux.
Ce n'est pas toutefois que je sois si facile,
La plainte auprès de moi, n'est jamais fort utile
C'est en vain qu'on affecte une fausse langueur,
L'amour par les soupirs n'entre point dans mon cœur.
L'orgueil de notre sexe élevant mon courage,
D'un air impérieux j'en soutiens l'avantage,
Et ne le croyant né que pour donner des lois,
À qui porte mes fers j'en fais sentir le poids,
Sur ses propres désirs je règne en souveraine,
C'est sans abaissement que je flatte sa peine,
Et qu'après un longtemps que l'on m'a fait sa cour,
Un peu d'espoir permis est le prix de l'amour.
Lisette
Vous vous y gouvernez d'une étrange méthode.
Dorotée
C'est comme il faut aimer pour aimer à la mode ;
Pour peu qu'on se relâche, on expose son cœur
Aux suprêmes mépris d'un insolent vainqueur.
Un Amant que l'on flatte, enflé de sa victoire,
De ses soumissions perd bientôt la mémoire,
Pour en avoir raison il le faut gourmander,
Et s'il n'est à la chaîne on ne le peut garder.
Lisette
Et dans cette rigueur vous trouvez votre compte ?
Dorotée
Je t'avouerai, Lisette, avec un peu de honte…
Mais comme un jour t'acquiert mon inclination,
Reçois ma confidence avec discrétion.
Lisette
Si ce jour est trop peu pour vous marquer mon zèle,
Le temps vous fera voir que je vous suis fidèle,
Et que votre secret est sûr entre mes mains.
Dorotée
Sache donc qu'aujourd'hui les hommes sont si vains,
Que depuis plus d'un mois peut-être ou davantage,
De trois Amants à peine ai-je reçu l'hommage,
Puisque sur l'un des trois la qualité d'époux,
Quoique encore incertaine, attire mon courroux.
En faveur de Florame un Père m'assassine,
J'en estime le bien, et l'esprit, et la mine,
Mais par quelques serments qu'il m'engageât sa foi,
L'esclave me fait peur qui doit être mon Roi.
Éraste aussi m'en veut, un galant d'importance,
Et propre en un besoin à mourir de constance,
Mais si fort hors de mode et du temps de jadis,
Qu'il te disputeroit à tous les Amadis.
Il est vrai que depuis, la défaite d'Oronte
D'un triomphe si bas efface bien la honte.
Lisette
Ce cavalier vous sert ?
Dorotée
Quoi, sais-tu quel il est ?
Lisette
Je l'entends estimer.
Dorotée
Lisette, qu'il me plaît !
L'air en est noble, aisé, la mine peu commune,
Une humeur enjouée et jamais importune,
L'esprit aussi charmant que le port gracieux,
S'il parle galamment, il écrit encor mieux,
À son propre mérite il doit toute sa gloire,
Et connoît ce qu'il vaut sans trop s'en faire accroire.
Je sens presque pour lui déjà je ne sais quoi,
Et s'il continuoit à soupirer pour moi,
Encor que de mon cœur la garde me soit chère,
Je pourrois me résoudre enfin à m'en défaire.
Par là juge, Lisette, où j'en suis aujourd'hui
Lisette
(montrant deux billets qu'elle tient.)
L'un de ces deux billets ne vient donc pas de lui,
Puisque sans demander seulement à les lire…
Dorotée
Donne-les moi, Lisette, et te prépare à rire.
Étant prête à sortir quand je les ai reçus,
Il m'a suffi pour lors d'en lire le dessus ;
Mais quoique Oronte ait part à la galanterie,
La pièce à mon avis vaut bien que l'on en rie.
Sache qu'Éraste et lui m'offrent ici leurs vœux,
Et qu'à la même lettre ils répondent tous deux.
Lisette
Comment ?
Dorotée
C'est assez de quoi faire un assez plaisant conte.
J'écrivois ce matin un Billet pour Oronte,
Et voyant que pour l'autre il sembloit fait exprès,
J'ai voulu l'obliger sur l'heure à peu de frais,
J'ai transcrit le billet, et sans cérémonie
Régalé son amour d'une belle copie.
Son pauvre esprit sans doute y répond de travers,
Voici sa lettre, ouvrons. Ô Dieu ! Ce sont des vers,
J'ignorois qu'il en fît.
Lisette
Ce sont vers de ménage,
Chacun communément en fait pour son usage.
Dorotée (, lit.)
Transparente beauté dont le cœur est ouvert…
Le ridicule mot dont ce lourdaud se sert !
Et qui me faites voir jusqu'au fond de votre âme…
C'est fort bien commencer à dépeindre sa flamme.
Laissons-là son billet, et voyons le second.
Sans doute en galant homme Oronte me répond,
Et je gagerois bien, avant que d'en rien lire,
Que la moindre pensée est digne qu'on l'admire ;
Son style du premier sera bien différent.
Lisette
L'autre croyoit bien dire avec son Transparent.
Dorotée (, lit.)
Transparente Beauté…
Lisette
Le mot est bon, je pense,
Puisque Oronte lui-même use de transparence.
Dorotée
Dont le cœur est ouvert… Que veut dire ceci ?
C'est le même.
Lisette
En effet je le croirois ainsi.
Dorotée
N'importe, il faut tout voir, et que je les confronte,
Tiens, lis celui d'Éraste, et moi celui d'Oronte.
Lisette (, lit.)
(lit.)
Transparente Beauté dont le cœur est ouvert,
Et qui me faites voir jusqu'au fond de votre âme,
Je confesse à ce coup que je suis pris sans vert,
Voyant qu'à peine encor vous y logez ma flamme.
Je la croyois pour elle un Palais assuré,
Où vous songez bientôt à la traiter en Reine,
Car enfin j'ai pour vous souffert, gémi, pleuré,
Et ma langueur en est une preuve certaine.
Je ne veux pas pourtant supputer avec vous,
Ce que vous proposez irait à votre honte,
Si pour chaque tourment dont j'ai senti les coups,
Il vous falloit tirer une ligne de compte.
De mes brûlants soupirs vous riez toutefois,
Quoiqu'en foule souvent vous connoissiez qu'ils sortent,
Votre cœur toujours ferme en dédaigne le poids,
Mais tout légers qu'ils sont, gardez qu'ils ne l'emportent.
Dorotée
La pièce est concertée, il le faut avouer ;
Mais Oronte lui seul me fait ainsi jouer,
Éraste est trop grossier…
Lisette
Ma pensée est la vôtre.
Et son style est-il bien différent de l'autre ?
Dorotée
Sans rien faire paroître il faut dès aujourd'hui…
Mais Dieux, voici mon Père.
Lisette
Oronte est avec lui.
Dorotée
Comme il te connoît peu, demeure ici, Lisette,
J'épierai de plus loin l'heure de sa retraite.
Toi, lorsque tu verras partir notre Vieillard,
Joins Oronte, et l'arrête en ce lieu de ma part.
Lisette (, abaissant sa coiffe.)
Elle me laisse à faire un joli personnage.
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